Chapitre 80 (Partie 3)

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Avec quelle horreur Arcas vit se découper dans le cadre du soupirail la petite silhouette de Toula tremblante de froid, Cerberus à sa droite !

Mais que faisaient-ils ici ?

Comme s'il ne suffisait pas que Darmain ait déboulé dans l'ancienne cave avec l'intention manifeste de lui ficher une balle dans la poitrine. C'était sans doute de bonne guerre, puisqu'il avait lui-même dans l'idée de lui arracher la tête pour s'en être pris à Diana. Malgré tout il trouvait le timing du colonel absolument déplorable, mais à quoi aurait-il dû s'attendre de la part de cet homme ? S'il avait un jour été un individu censé, quelques mois de cette guerre en Crimée avaient sapé ce qu'il avait pu avoir de bon sens. Et il n'était pas le seul. Était-ce dû au froid, aux maladies, à la faim, à cette succession de carnages, ou devait-on y voir l'intervention maligne des Flambeaux qui infusait dans chaque homme son pernicieux venin ? Si Arcas n'avait pas été si renseigné sur la nature humaine, il aurait été tenté de le croire.

À l'extérieur, cette brume qui s'était levé avait assourdi les cris et les plaintes. Arcas en savait à présent assez pour supposer que cette manifestation météorologique étrange était certainement liée aux strygoïs. Diana ne lui avait-elle pas dit, qu'alors qu'elle s'était retrouvée en face de l'une de ces créatures, elle avait été incapable de crier, et à Arlon, il avait lui-même été frappé par le même mutisme, la même surdité comme si cette vapeur paralysait les tympans aussi bien que les cordes vocales. On avait alors fait taire son père. Cette faculté particulière avait bien des avantages lorsque l'on combattait un meneur de loups, et était bien pratique pour empêcher leurs victimes de savoir d'où venait le danger. Le système n'était pourtant pas infaillible, puisqu'il arrivait qu'on entende des cris transpercer cette purée de pois. Mais peut-être était-ce à dessein ? Distillaient-ils la peur ? Jouaient-ils avec leurs proies comme des chats avec des souris ?

Savoir les strygoïs ici n'avait rien de rassurant et Arcas savait qu'ils suivaient un plan. Sans doute avaient-ils un contrôle sur les morts-vivants et les avaient-ils utilisés comme un cheval de Troie ou une bombe à retardement, les dispersant savamment sur la péninsule aux endroits les plus stratégiques, frappant au moment le plus propice, comme par exemple lors d'un rassemblement des états-majors.

Le baron avait une certitude au milieu de cet océan de suppositions, de conjecture et d'approximation : une petite fille comme Toula aurait dû se trouver à mille lieux de cet enfer.

Dans la cave, la magie des strygoïs était atténuée, il n'y avait qu'un mince filet de brume qui s'infiltrait lentement par le soupirail. Arcas avait eu le plaisir de parfaitement entendre Darmain lui dire qu'il n'était qu'un immonde salopard, à peine avait-il franchi la porte. Cette si cavalière entrée en matière avait été suivie par une interminable logorrhée paranoïaque.

D'Arlon avait eu bien du mal à suivre le fil de ses pensées incohérentes mais il avait fini par comprendre que le commandement avait été attaqué comme cela était à prévoir par l'escouade si miraculeusement réapparue. Darmain en était venu à la conclusion que c'était Arcas qui avait semé dans leurs esprits, fragilisés par le conflit, les dangereuses graines de la sédition. Alors qu'il avait prétendu ne pas les avoir retrouvés, le baron les avait exhortés à la rébellion et à l'anarchie. C'était pour libérer leur chef qu'ils étaient revenus à Kamiesh. Ils étaient d'une sauvagerie sans nom et s'étaient livrés devant ses yeux horrifiés au cannibalisme. Cette infamie devait cesser mais d'après lui cela ne serait pas possible tant qu'un monstre tel qu'un Harispe foulerait cette terre.

– Je vais vous tuer capitaine, puis je jetterais votre tête aux pieds de vos amis, cela leur rendra leur bon sens.

– Darmain, vous n'allez pas bien. Vous rendez-vous compte de ce que vous dites ? Où est le général Bosquet ?

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant