Chapitre 72 (Partie 2)

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Lorsqu'Arcas entra dans le port de Balaklava, le soleil pourtant à son zénith avait du mal à percer les épais nuages.

L'air sentait la neige. La nuit prochaine serait encore mortellement glaciale et combien ne se relèveraient pas de leurs lits, quand ils avaient la chance d'en avoir un ? Beaucoup de soldats dormaient à même la terre, heureux lorsqu'ils trouvaient un peu de paille pour s'isoler un tant soit peu du sol gelé. Si vous vous imaginiez qu'un lit de paille était une chose douillette en hiver c'est que vous n'y aviez pas goûté.

Il frappa à la porte de la petite maison blanche de Nathan Brogan. Une jeune fille à la peau dorée comme un rayon de miel et qui ne devait pas avoir plus de quinze ans lui ouvrit. Il lui sourit mais il n'eut droit qu'à un regard farouche en retour.

– Toula ! Laisse entrer le capitaine Harispe, s'exclama Nathan depuis le salon qui avait dû le voir s'approcher par la fenêtre.

– Bonjour Toula. C'est ton nom n'est-ce pas ? Demanda gentiment Arcas.

– Fotoula ! Asséna-t-elle avec un air farouche.

– Enchanté de te rencontrer jeune fille, dit-il avec douceur. Devant son expression bienveillante, les épaules de Toula retombèrent et elle prit un air "légèrement" contrit. Elle avait des yeux tristes pensa-t-il et les enfants ne devraient pas avoir de telles expressions désespérées.

Elle sursauta en voyant le molosse au pelage bringé qui jusque-là se tenait sagement derrière son maître.

– N'aie pas peur petite, il ne te fera pas de mal.

Courageusement, bien qu'un peu tremblante, elle tendit la main vers le chien qui lui donna un coup de langue. Elle rit comme une gamine.

– Dis-moi Fotoula, quel âge as-tu ?

Elle fit douze avec les doigts. Bien plus jeune encore qu'il ne l'avait cru au premier abord. La dureté de la vie l'avait prématurément vieillie.

– Et tes parents, où sont-ils ?

Son visage redevint triste, et elle fit un petit non de la tête.

– Je suis désolé mon chou.

Pour lui cacher ses larmes, elle se mit à genoux et câlina le chien qui macula de bave son tablier déjà sale.

– Tu veux bien t'occuper de Cerby pour moi.

Elle hocha vigoureusement la tête.

– Kerby ! Gentil chien ! Dit-elle avec un fort accent grec.

– Je compte sur toi demoiselle.

Elle prit un air extrêmement sérieux qui le fit rire.

– Vous avez fait la rencontre de ma nouvelle femme de ménage Monsieur le Baron ? Demanda l'irlandais avec un ton moqueur en le voyant apparaître dans l'encadrement de la porte. C'est le devoir d'un gentleman d'offrir de l'aide aux nécessiteux. Même s'ils ne sont pas capables de faire cuire un œuf. Mais je préfère cela à la laisser mendier dans le port. C'est trop dangereux.

Arcas trouva Nathan attablé, des cartes à la main, en face du major Sawyer qui avait triste mine et d'autres soldats qu'il ne connaissait pas. Mais quelle ne fut pas sa surprise de découvrir au milieu des britanniques, le caporal Blanchard. Le jeune homme nota les trois chevalières en or qui ornaient désormais ses doigts. Apparemment le tireur d'élite était en veine. Quand celui-ci vit le bel officier français entrer, il lui offrit un sourire mauvais. 

Brogan n'avait pas autant de chance que le caporal

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Brogan n'avait pas autant de chance que le caporal. Il n'avait plus rien devant lui, son teint était pâle, il semblait fébrile.

– Alors Blanchard, comment va votre nez ? Demanda ironiquement Arcas, ce qui provoqua une série de rires nerveux. Depuis la fois où il lui avait envoyé son poing dans la figure pour l'empêcher de tirer sur son chien, l'appendice nasal déjà disgracieux du caporal avait pris un angle bizarre qui ne faisait qu'enlaidir sa trogne de fouine.

Nathan intervint pour empêcher les choses de dégénérer, la rumeur de l'inimitié entre les deux hommes était parvenue jusqu'aux oreilles de leurs alliés anglais.

– Vous vous joignez à nous capitaine ?

– Je ne pense pas. Je venais seulement vous rendre votre livre et prévenir que j'avais retrouvé les restes de Cole.

– Merde ! Lâcha Sawyer. Je me disais qu'il se cachait seulement dans un trou quelque part en attendant que les russes se lassent de lui tirer dessus. Pauvre gars, il avait pas deux sous de malice. Fort comme il était, j'aurai cru qu'il était invincible. Et ses enfants ! Son affreuse mioche est pas plus vieille que celle-là ! Il fit un signe vers Fotoula qui essayait d'empêcher Cerby de faire le tour de la table mais le chien ignorait totalement ses tentatives et reniflait le sol avec obstination.
Quand la petite passa à portée de bras, Blanchard la saisit et la jucha de force sur son genou.

– Celle-là en tout cas n'a pas de soucis à se faire, mignonne comme elle est, elle trouvera toujours du travail. Il eut un rire gras qui en disait long. 

L'adolescente, terrifiée essaya de s'échapper mais il resserra sa poigne sur elle. C'est alors que Cerby qui s'était faufilé sous la table de jeu, saisit le mollet du caporal et le tira si violement qu'il tomba de sa chaise. Arcas qui avait traversé la pièce au pas de course saisit Fotoula qui tentait toujours de se dégager de Blanchard et la dissimula derrière lui. Le tireur hurlait de douleur, les dents du mastiff avaient percé ses guêtres et s'étaient profondément plantées dans sa chair. Il se débattait en tentant de dégager sa jambe. Il sortit un pistolet de sa ceinture mais Arcas lui écrasa le poignet au sol avant qu'il ne puisse la lever.

– Vous souvenez-vous Blanchard ? J'ai dit que si je voyais quiconque tirer sur cet animal, je lui trancherais la gorge.

– Mais voyons Harispe ! S'exclama Brogan. Cessez cela ! Vous êtes chez moi !

Arcas laissa s'écouler de longues secondes.

– Cerberus ! Lâche cette ordure !

– Qu'est-ce qui ne va pas chez vous ? S'exclama Nathan. Alors que l'un des soldats qu'Arcas ne connaissaient pas se plaignait de cette interruption dans leur partie.

– Je n'aime pas qu'on s'en prenne aux petites filles de douze ans. Vous avez quelque chose contre ça ?

– Je suis d'accord avec vous bien sûr, acquiesça Brogan, mais il se trouve qu'il est une connaissance de l'un de mes grands amis et...

Arcas se baissa et ramassa le pistolet qu'il pointa lentement vers la tête de Blanchard.

– Il est mon invité Capitaine, vous ne pouvez pas le tuer ici... Vous allez salir le tapis.

– Et il ne faudrait pas donner plus de travail à Toula, ajouta Sawyer, il regardait Blanchard du coin de l'œil comme s'il se retenait de vomir de dégoût.

Arcas glissa l'arme dans sa ceinture avec une lenteur délibérée.

– Vous avez raison major. Je pense même me joindre à vous pour une petite partie de carte amicale finalement, mais avant je vais faire un peu de nettoyage pour aider Fotoula.

Il saisit le tireur d'élite par le col, le traîna à travers la maison et le jeta dans la rue.

– Espèce de sombre merdaille ! Hurla Blanchard. J'aurai ta peau Harispe ! Et toi Brogan, tu ne t'en tireras pas comme ça. IL va entendre parler de ça, fait moi confiance. Vous allez tous me le payer !

Arcas lui claqua la porte au nez sans un mot de plus.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant