Chapitre 3 - Un soir de demi-brume à Londres

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Londres

Janet fit un bond de presque trois mètres en arrière. Une jolie performance pour une si petite personne. La peur était un stimulant puissant et se retrouver nez à nez avec Lord Blake aurait terrifié plus d'une femme de chambre. En général, elle arrivait à ne pas totalement perdre contenance en sa présence, mais que faisait-il plier en deux devant la porte ? Le corps parfaitement immobile, ses curieux iris jaunes décrivirent un arc de cercle entre elle et la poignée de cuivre lustrée. Ses mains immenses, toujours au-dessus de sa tête retombèrent lentement le long de ses flancs.

Il se recoiffait avant de rendre visite à la baronne, comprit-elle enfin. Comme si passer les doigts dans cette jungle pourrait changer quoi que ce soit à sa déplorable apparence. Si le destin avait été clément, il aurait fait naître cette énergumène un siècle plutôt, il se serait rasé le crâne et aurait porté une perruque poudrée. Puis Janet eut un petit reniflement désapprobateur en imaginant ses cuisses larges comme des poutres moulées dans des culottes de soies pastel. Ridicule.

La destinée avait complètement raté son coup pensa alors la servante. Ce n'était pas d'un siècle mais d'un millénaire ou deux qu'elle s'était trompée. Cet homme avait tout d'un barbare découpant à la hache de pauvres chrétiens. Ou alors, il y avait eu un échange de bébés et tout s'expliquait. Lord Blake devait être le fils d'un docker. À l'heure actuelle un jeune homme aux mollets fin, joliment galbé et développant une taille convenable, essayait de vivre dans les bas-fonds. Un jeune homme coiffé de cheveux ayant la bonne grâce de tomber vers les épaules et non de se dresser aux quatre vents. Un garçon qui n'arborait pas à vingt-cinq ans des favoris de vieux patriciens et qui ne donnait pas l'impression qu'il allait faire exploser les coutures de ses manches à chacun de ses mouvements. Comment sa maîtresse pouvait supporter la présence de cet animal sauvage, cela dépassait l'entendement. Bien sûr il était riche, mais il n'était pas le seul. Il lui faisait complètement perdre la tête, elle ne voyait que cela. Une véritable lady n'aurait jamais accepté de s'acoquiner avec ce sinistre individu.

Il jeta son haut de forme et ses gants sur une desserte, et détailla la camériste comme seul un homme issu de mille ans d'aristocratie anglaise le pouvait. Sous ses épais sourcils noirs, ses yeux jaunes la foudroyèrent et elle se ratatina sur elle-même, se souvenant enfin de qui elle avait en face d'elle, et de l'attitude qu'il convenait d'adopter devant un pair du royaume.

***

Il avait prévenue de sa visite bien plus tôt dans la journée. Et il était très en retard, mais il avait voulu parler à son meilleur ami de la situation dans laquelle l'avait cloué son père.

***

Une heure plus tôt

Confortablement installé dans un fauteuil du White's, un verre de whisky à la main, Aidan Brogan semblait d'une humeur massacrante ce qui était suffisamment rare pour être remarqué.

– Donner de l'argent à cette pourriture de Crawley, ne ferait plaisir à personne, s'expliqua-t-il à son ami.

– Je croyais que tu ne voulais plus avoir à faire à lui ?

– Effectivement, mais mon frère a perdu près de mille livre la semaine dernière dans une de ses fameuses soirées. Il s'est embarqué ce matin pour la Crimée et charge à son cadet imbécile et complaisant de rembourser ce qu'il doit.

– Je ne vois toujours pas pourquoi tu prends cette peine, déclara Joshua.

– Parce qu'il est hors de question que cette ordure demande à mon père de rembourser les dettes de son fils. De toutes les manières, il n'en aurait pas les moyens. N'en parlons plus. À son retour je m'arrangerais pour lui donner une raclée.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant