Chapitre 52 (Partie 3)

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Une fois le vantail ouvert, Artie fila vers l'étage. Cassandre fit craquer bruyamment ses phalanges et allait refermer la porte sur son crime à venir quand elle entendit sa chienne aboyer furieusement.

Sans réfléchir, elle attrapa ses jupes et se précipita à sa suite. Mrs Stampton devrait attendre avant de recevoir son juste châtiment.

Elle gravit les marches de l'escalier monumental et trouva Mr Baker dans la grande galerie. Le teint rougi, luisant de sueur, les mains levées, il tentait d'apaiser la colère d'Artie, qui le poil hérissé ressemblait à une boule duveteuse garnie de dents acérées. Hadès qui avait suivi Cassandre et tournait de sa démarche sautillante autour de l'indésirable comme un requin autour d'un marin perdu, se mit à gronder et le postier blêmit de peur face à ses 130 livres*.

– Mr Baker, vous seriez-vous égaré par hasard ? L'interrogea la jeune femme d'une voix suave.

– C'est exactement cela Milady ! Ce château est si grand ! J'ai cru devoir tourner à droite, mais j'ai eu tort.

– Oui ! Quelle étourderie de votre part.

– J'ai finalement trouvé cette fresque et je me suis permis de m'arrêter un instant afin de l'admirer. Son regard glissa sur le char et se fixa la très belle Perséphone, sans pouvoir s'en détacher, il continua. J'étais en extase devant l'œuvre quand votre chien m'a attaqué. C'est une véritable bête féroce !

– Dieu du ciel ! Mais ils sont nus ! S'égosilla Mrs Stampton, qui n'appréciant pas de ne plus être au centre de l'attention, avait hissé sa carcasse jusqu'à eux. Elle ne goûtait guère le spectacle des nymphes et des faunes courant dans les champs dans leur plus simple appareil ou seulement couverts d'une gaze légère.

Avec un peu de chance l'émotion serait trop forte à la vue de tant de chair et son cœur allait lâcher espéra Cassandre.

Vaine espérance. La vieille était plus solide qu'un roc.

– Je pense que vous devriez rentrer chez vous pour vous remettre de vos émotions Madame, siffla Lady Blake entre ses dents qui était arrivée au bout de sa patience.

– C'est affreusement choquant ! Ce décor ! On se croirait dans un lupanar parisien.

– Je ne peux pas vous le dire. Je n'en ai jamais fréquenté moi-même. Mais comme nous sommes entre amis, je vous fais confiance.

– Je ne sous entendais pas ...

– Avec moi votre secret sera bien gardé. Cassandre lui fit un clin d'œil de connivence. Vous avez dû avoir une jeunesse des plus intéressantes.

– Mais...

– Ronald !

Elle se tourna vers le majordome qui venait de rejoindre au pas de course la galerie, alerté par les aboiements et les braiments de la veuve. Il se redressa, s'essuya le front et reprit instantanément son apparence d'imperturbable majordome.

– Veuillez raccompagner nos invités. Il semblerait que Churbedley soit un vrai labyrinthe pour qui n'en connaît pas les arcanes.

Mr Baker prit congé en s'inclinant, sans un mot. Mrs Stampton, outrée et aussi rouge que sa robe était orange pivota comme une toupie sans un mot et quitta la salle.

Cassandre eut un soupir de soulagement.

Cette comédie était terminée, mais elle était curieuse d'apprendre à quoi elle avait rimé. La disparition du postier l'avait intrigué. Pourquoi avait-il gravi le grand escalier ? Que faisait-il dans cette pièce ? Le visage souriant de Perséphone paraissait la narguer.

Artie attrapa l'ourlet de sa robe et la tira vers l'escalier de la petite tour au fond de la galerie dont la porte était entrouverte. Elle était dissimulée derrière une tapisserie, ce n'était pas à proprement parler un passage secret, mais si vous ne la connaissiez pas vous pourriez passer devant sans vous en rendre compte. Cassandre s'engagea dans le petit corridor qui faisait le lien entre les deux parties du bâtiment, l'une datait du Moyen-Âge, l'autre de la Renaissance. Cela créait une cassure car même la pierre utilisée était différente puisque le tour avait été bâtie dans une roche volcanique sombre. Elle gravit les marches de pierres usées par des siècles d'usage, brillantes et lisses.

Il n'y avait pas de rambarde et le mur était poli à hauteur de mains.

Tous ceux qui avaient gravi cette construction s'étaient appuyés contre cette paroi pour ne pas trébucher. Le colimaçon donnait le tournis à la plupart des grimpeurs qui y perdaient leurs repères. La seule ouverture qui rompait la monotonie abrutissante avant la porte menant au quatrième étage de la demeure (il n'y avait pas de possibilité d'atteindre le troisième par-là) était une fenêtre étroite donnant sur l'à-pic. La jeune femme y risqua un coup d'œil et devina la rivière impétueuse en contrebas.

Elle continua son ascension.

Quand elle atteint enfin le palier, elle eut la sensation qu'une force terrible l'avait heurtée en pleine poitrine. Elle sentit ses côtes se plier, l'air quitter ses poumons et comme si elle était un ressort, en réaction, elle chavira en arrière. Sous ses talons, les marches se dérobèrent. Elle battit des bras dans le néant, la matière semblait la fuir comme intangible autour de son corps. Elle chuta et elle retrouva un contact solide quand elle percuta le parapet de la fenêtre quelques mètres plus bas. La vitre se brisa sous son dos et son corps bascula par la mince ouverture.

Dans un réflexe instinctif, elle réussit à agripper in extremis le châssis de la main gauche mais les éclats de verres cisaillèrent ses doigts. Ses pieds battaient dans le vide, la surface de la tour n'offrait aucune prise. Elle vit avec effroi sa mule de velours tomber lentement avant d'être engloutie dans les eaux tumultueuses qui quelques années plus tôt avaient déjà pris la vie de la sœur de Joshua.

Se détournant du gouffre, avec sa main droite, elle essaya de se hisser par l'ouverture mais elle avait beau se contorsionner, elle ne trouvait aucune accroche suffisante pour se soulever. Et elle sentait son autre main poisseuse de sang s'engourdir. Comme si des poids étaient pendus à ses chevilles, elle se sentait écartelée.

En contrebas, surgissant des flots, les rochers aux arrêtes tranchantes paraissaient s'étirer vers elle. Elle ferma les yeux. Respira à fond et s'apprêta à hurler comme jamais dans sa vie pour appeler à l'aide, quand une tête rouge apparut sur la margelle.

Artémis s'appuya ses pattes antérieures sur le rebord de la fenêtre, ouvrit son énorme gueule et saisit l'avant-bras de Cassandre qui sentit les crocs aiguës transpercer sa chair, mais mieux valait ceux-là, aux pierres de la rivière. La chienne remonta lentement sa maîtresse à l'intérieur.

Cassandre, enfin à l'abri, se laissa aller contre le mur pour reprendre son souffle avant d'entourer de ses bras, le large cou d'Artie.

– Tu m'as sauvée. Tu t'es transformée pour moi.

En pleine journée, sans le support de la pleine lune. La jeune femme n'en revenait pas. Hadès s'approcha en remuant la queue et se serra contre Cassandre. Il lui donna un coup de langue à ses cheveux pour le principe.

Elle entendit des pas précipités venant de la grande galerie.

Artie dressa l'oreille et eu la présence d'esprit de se précipiter à l'étage afin se cacher.

Quand Ronald ainsi que d'autres serviteurs trouvèrent une lady Blake ensanglantée sur les marches de la tour. Elle leur raconta qu'ayant basculé dans le vide, son chien l'avait remonté.

Personne ne releva que la mâchoire d'Hadès était trop petite pour avoir laissé de telles marques sur son bras.

*130 livres = 60 kilos. Hadès a repris du poids même s'il n'est pas encore au plus 80 kilos que peut atteindre un irish wolfhound 

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant