Chapitre 63 (Partie 2)

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Sur le chemin, il avait acheté une fortune, une boule de pain frais à la croûte bien craquante. Il salivait d'avance à l'idée d'y tartiner de la confiture.

Lui et sa sœur adoraient les desserts. Tous les dimanches leur mère veillait à ce qu'ils aient du gâteau, ils le savouraient sur la terrasse donnant sur les douves. Il adorait ses heures passées tous les trois. Mais depuis plus d'un mois la seule chose sucrée qu'il avait pu trouver à se mettre sous la dent était une pauvre poire blette.

Mais enfin, il allait avoir sa dose, pensa-t-il avec soulagement.

Son pain sous le bras, il sautilla, guilleret, jusqu'à sa tente.

À l'intérieur, il déplia un mouchoir blanc sur sa table, sortit son couteau de poche et se découpa une bonne tranche encore chaude qu'il posa religieusement sur sa nappe de fortune.

Puis il ouvrit délicatement le papier huilé qui entourait le bocal. C'était les petits doigts délicats de Diana qui avait fait ces ravissants nœuds de raphia. Il ne put retenir un rire niais. Il y avait plusieurs épaisseurs. Elle voulait évidement être certaine que son cadeau arrive à bon port. Mais quel amour ! Songea-t-il.

Puis, la dernière feuille de protection tombée, il poussa un cri étranglé digne d'un poulet qu'on égorge. Il avait été à un cheveu de lâcher le bocal.

‒ Mais qu'est-ce que c'est que cette... ?

Ce n'était définitivement pas de la confiture.

***

Lui qui s'était imaginé qu'au pire ce serait de la marmelade d'oranges. Au temps pour le romantisme et la tendresse.

Il leva le récipient devant sa lampe à huile et écœuré, regarda attentivement ces espèces de tentacules qui flottaient dans le formol. Il s'empara de la lettre et la décacheta. Il espérait une explication. Sinon il devrait se poser de sérieuses questions sur le sens de l'humour de la dame de ses pensées.

Il jeta un dernier coup d'œil empli de mélancolie à sa pauvre tranche de pain, esseulée sur sa petite table et poussa un soupir à fendre l'âme.

***

Il s'attendait recevoir des éclaircissements. Mais à chaque ligne qui défilait, il palissait davantage. Il relut la missive à plusieurs reprises afin d'être sûr d'avoir bien compris. Il aurait préféré qu'elle lui dise qu'elle avait trouvé cette horreur au détour d'une promenade dans un souk et qu'intriguée elle avait voulu partager sa découverte avec lui. Il l'aurait alors sermonnée gentiment sur les dangers qu'une aussi jolie femme courait en parcourant les rues d'une ville étrangère, qu'elle ne devait pas le faire sans être correctement accompagnée. Par correctement, il voulait dire par lui, aurait-il ajouté avec une pointe d'autodérision. Mais au vu de ce qu'il venait de lire... il lui était impossible de prendre les choses à la légère.

Il saisit du papier, de l'encre et une plume et commença à écrire à grands coups rageurs, raturant, maculant de taches, allant jusqu'à perforer sa page à quelques endroits.

Diana...

(Pas de si belle Cybelle, de Chère Diana, de Chérie... pour les jeunes femmes qui vous faisaient de fausses joies en vous envoyant des bocaux qui contenaient d'immondes bouts de corps et ne prenaient même pas la peine de commencer leur lettre par un Cher Arcas, un mot gentil ou quoique ce soit d'approchant. Fini les roucoulades. Elle avait juste écrit : Harispe. Elle ne l'avait même pas appelé par son prénom. Alors que voilà des jours qu'il soupirait en pensant à elle comme un godelureau sentimental et crétin !)

Comment pouvez-vous vous comporter de manière aussi irresponsable ? Sortir ainsi, de nuit, dans un gigantesque hôpital, où sont réunis des centaines d'hommes blessés, peut-être instables mentalement et seule de surcroît, sans la moindre protection ! Êtes-vous folle ? Vous, mieux que quiconque, savez à quel point la nuit peut être dangereuse. Vous auriez pu être enlevée, molestée, violée, assassinée... Mais c'était sans compter sur le fait que vous êtes VOUS ! Et que donc vous attirez les ennuis comme le miel les abeilles. Il a fallu que vous tombiez sur pire encore : une de ces créatures. Une créature assez puissante pour retenir mon père, un militaire, un meneur, dans la force de l'âge. Et vous vous amusez à lui couper les doigts, et à me dire tranquillement qu'elle n'est pas revenue jusqu'à présent ! Pourquoi ? Vous comptez l'affronter ? Comment ? En lui jetant votre ouvrage de broderie à la figure ?

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant