Chapitre 79 (partie 9)

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Toula avait fait preuve d'une autorité qui avait rendu perplexe, autant qu'elle avait effrayé Diana. Comme souvent la jeune femme maudit le sort qui poussait des enfants à se comporter comme des adultes.

Avait-elle eu elle-même une pareille maturité à cet âge ? Elle en doutait. Elle avait toujours été d'une telle naïveté ! Et il fallait croire qu'elle n'avait rien appris pour réussir à se retrouver dans cette tente seule avec Darmain. Elle avait rencontré depuis son départ d'Angleterre, tant d'hommes bien, tout prêts à lui faire plaisir en échange d'un sourire ou d'un simple remerciement qu'elle avait oublié les vingt-quatre ans précèdent, durant lesquels chaque individu masculin ayant croisé sa route avait cherché à la rudoyer.

Et c'est Arcas qui allait sans doute pâtir de son amnésie volontaire.

Après la catastrophe, Fotoula l'avait traînée sans ménagement vers la sortie du camp, consciente de ce que le colonel serait capable de faire subir à l'infirmière s'il reprenait conscience avant qu'elle ne se soit extraite de sa sphère d'influence. Il pouvait la mettre en prison sous n'importe quel prétexte. Trahison, espionnage, tentative d'assassinat...

Quand elles avaient entendu derrière elles des bruits de pas s'approchant, elles s'étaient hâtées autant que leurs jupes le leur permettait, au point d'attirer les regards intrigués des soldats français qu'elles avaient croisés. Mais alors que Diana y aurait sans doute perçu une curiosité bienveillante encore quelques minutes auparavant, à présent elle n'y voyait que de la suspicion ou même de la concupiscence. Elle détestait Darmain pour lui avoir arraché sa confiance toute neuve. Elle avait serré davantage la main de la petite, trop consciente que celle-ci n'avait plus ce genre d'illusions depuis longtemps.

Heureusement leur poursuivant n'était autre que Duvernet, il soufflait comme une forge. Il commençait vraiment à être trop vieux pour courir après des jeunes femmes.

– Les Harispe semblent avoir déclaré la guerre au colonel cette semaine ! Rejoignez votre chariot et partez immédiatement pour Balaklava Madame la baronne. Je vais tenter de dénicher Jimmy et veiller à ce qu'il vous y retrouve.

– Mais Arcas ! Si Darmain décidait de le punir ! Il a sous-entendu qu'il avait eu de la chance de ne pas être fouetté mais...

– Je vais "emprunter" les clefs de sa cellule. Je les confierai à Bosquet dès son retour. Lui saura calmer Darmain. Le général a écrit qu'il serait là dès demain avec une grande partie de l'état-major allié, pour discuter encore de la façon dont ils pourront prendre Sébastopol. Ils n'arrivent pas à se mettre d'accord semble-t-il. Devant tant de hauts-gradés, Darmain ne voudra pas faire de scandale, j'en suis certain, il tient trop à sa carrière. Mais hâtez-vous mesdames. Vous n'avez pas de temps à perdre.

Sawyer et ses hommes quand ils les virent les deux jeunes femmes se diriger vers le chariot, commencèrent par se plaindre de leur retour précipité vers les lignes anglaises, mais devant le regard affolé de Diana, ils firent une croix sur leurs parties de dés gagnées d'avance. Le major trouva tout de même le moyen de ronchonner en juchant Toula sur la charrette.

– Je comptais bien récupérer la belle paire de bottes de ce Corbel. Elles au moins n'étaient pas trouées.

Il lança un regard mélancolique aux siennes dont le gros orteil du pied gauche pointait au travers d'une déchirure grosse comme une pièce d'un shilling.

Diana en temps normal aurait souri ou pris pitié du pauvre homme mais elle garda le silence, tout en serrant les rênes à s'en faire blanchir les jointures des doigts.

– Nous n'attendons pas le gamin et les clébards ?

– Non, répondit laconiquement Toula.

Il chercha une explication sur le visage de la petite grecque mais son expression était fermée, à peine s'autorisa-t-elle un soupir quand le petit cheval s'élança sur la route cabossée.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant