Alors que notre première fois... je ne l'oublierai jamais. Un nouveau Cléandre s'est révélé à moi. Attentionné, presque amoureux et surtout, surtout, pleinement offert. Mon seul regret — car j'en ai tout de même un — ma cheville m'a empêché de prendre les rênes. J'aime diriger, j'aime contrôler. Et là, impossible. 

Le souvenir rosit mes joues, me donne chaud, sentiment accentué par les lèvres de Cléandre dans mon cou... mais bientôt interrompu par une voix nasillarde demandant s'il peut se servir dans le frigo. Après un sursaut, mon bel amant acquiesce à voix haute.

Une idée germe dans mon esprit : me débarrasser au plus vite de Jared. J'adore mon meilleur ami, mais là, il empiète sur mon précieux temps de tête-à-tête avec mon cher angelot. Sauf que je ne peux pas le mettre à la porte. Tout d'abord, mes béquilles se trouvent trop loin, Cléandre a bien pris soin de les poser hors de portée. Ensuite, nous devons travailler notre exposé d'anglais. Après le retour de Sarah — et d'âpres négociations —, mon meilleur ami a rejoint notre groupe, de quoi m'effarer autant que me faire bouillir.

Effarer parce que je crains qu'il ne commette une bourde avec Cléandre, une bourde qui pousserait mon beau blondinet à mettre fin à notre relation secrète. Bouillir parce que les moments avec mon Capuche préféré sont rares et que Jared va tenir la chandelle. Même s'il ne m'ignore pas comme je m'y attendais, être relégué dans le rôle du pote sympathique n'a rien d'agréable. Sans parler de Sarah... la voir se pendre à son bras, à son cou, tripoter ses mains ou encore ses cheveux m'a rendu fou. Il l'a deviné sans peine, au hasard d'un couloir, il m'a glissé à l'oreille que je devrais être plus discret si je voulais que ça dure entre nous. La facilité qu'il a de passer de l'ami à l'amant me déstabilise.

– Qu'est-ce que vous fabriquiez ?

– Quoi ? Nous ? Mais rien voyons, on est juste ami !

Du coin de l'œil, je vois un Cléandre atterré se passer une main sur le visage. Mon empressement à répondre était peut-être un tantinet étrange. Toutefois, si Jared me dévisage d'un air incrédule, il n'ajoute rien. Le calme avant la tempête. Je le connais, d'un moment à l'autre, il va nous lâcher la bombe qu'il prépare depuis quelques jours. Mon silence l'intrigue, pire, il l'obnubile. Jared veut savoir. 

– Je parlais juste du fait que vous n'avez pas sorti l'exposé, ni vos ordis, ni rien en fait. 

– Ha, oui... 

Cléandre se gratte la nuque, visiblement en quête d'une excuse, quand mon ami s'enquiert de but en blanc.

– Au fait, il représente quoi ton tatouage ?

– Mon tatouage ?

Jared pointe l'index sur sa nuque.

– On en voit un bout, là. C'est un elfe? Une fée? 

– J'ai une tête à me faire tatouer une fée sérieux ? 

– Oui, avec tes mèches rouges et ton visage délicat, ça t'irait très bien. Ou alors une licorne, j'ai vu que tu adorais les licornes, continue Jared sans prêter attention à l'expression désespérée de Cléandre. 

Voilà une bonne occasion d'agir en héros et de le tirer de ce mauvais pas !

– C'est un scorpion, dans le style un peu tribal. Et il a un autre tatouage sur les côtes. 

– Tiens donc, et par quel miracle es-tu au courant de ça ?

Ma carrière de héros s'achève sitôt commencée. Heureusement, celle de mon amant semble avoir de plus beaux jours devant elle :

– Ne me dis pas que tu ignores que ma copine et ton meilleur ami ont fini bourrés chez moi il y a quelques jours ? Ils n'ont rien trouvé de mieux que de s'introduire dans ma chambre en pleine nuit. Et je dors à poil. Pour la licorne, figure-toi que ça devait être mon troisième tatouage.

– Et pourquoi tu ne l'as pas fait ?

L'espace d'un instant, je crains le désormais habitue tu parles trop Nathéo. Pourtant, il se contente de lever les yeux au ciel avant de répondre :

– J'étais quelqu'un d'autre il y a quatre ans, ça ne me correspond plus vraiment maintenant. 

– T'as des photos ?

Quatre ans. Cléandre devait avoir tout juste seize ans quand il s'est fait tatouer alors.  Il nous dévisage un long moment tour à tour, avant de se lever et d'aller chercher un cadre qu'il balance sur la table. Celui avec le garçon frisé et la fille aux longs cheveux lisses. Je n'avais pas remarqué, l'autre jour, la manière démente dont ses yeux ressortent. Les prunelles lavande pétillantes d'une joie que je rêve d'y observer, un léger trait noir soulignant ses yeux. Je ne peux retenir un sifflement appréciateur.

– Tu étais canon là-dessus ! Enfin, tu l'es toujours, et...

Encore une fois, j'ai l'impression de nous trahir, alors je tente de rattraper le coup comme je peux.

– Je veux dire, d'un point de vue purement subjectif, tu es beau. Mais je te drague pas, rassure-toi ! 

– Tu ne le dragues pas ? C'est nouveau, ça ! s'exclame Jared.

Les yeux clos, je prends une profonde inspiration pour servir un bon gros mensonge à mon meilleur ami. Je me sens un peu coupable, mais c'est pour la bonne cause.

– Je me suis pris un râteau. 

Les yeux de mon ami s'écarquillent de stupeur juste avant de se plisser de suspicion.

– Et je peux savoir ce qui t'a empêché de m'en parler ?

– Je...

– Je lui ai demandé de ne rien dire pour ne pas alarmer Sarah. 

La pertinence de l'argument m'échappe, tout comme à Jared qui lèvre un sourcil. Manifestement, Cléandre n'est lui-même pas convaincu ; il hausse les épaules et secoue la tête en murmurant « je sais pas » lorsque je lui adresse un regard interrogatif. 

– À mon avis, c'est tout l'inverse. Vous sortez ensemble. 

Cléandre se crispe, je ferme les yeux. Grillés. Nous sommes grillés. 

Indéchiffrable CléandreWhere stories live. Discover now