Chapitre 15

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Il n'avait fallu qu'une journée à Faith pour éplucher les grimoires qu'elle avait emporté avec elle dans sa fuite. Elle avait cherché, à travers les lignes obscures, des informations sur ses pouvoirs. Si elle les avait pendant si longtemps pensé trop faibles, elle avait compris qu'elle pourrait enfin faire tomber les ombres de sa vie de leur piédestal sanglant grâce à certain détails qu'elle avait oublié, ceinturée par la peur. Pis encore, si la magie verte qu'elle maîtrisait, cadeau de la Grande, aidait la vie à s'installer, soignait les blessures et faisait grandir la nature, Faith, du haut de ses dix-huit ans, n'avait pu suivre bon nombre de leçon. Sa fuite de l'Irlande avait interrompu son apprentissage sur le revers de sa magie et sur les créatures immortelles qui peuplaient la Terre.

Elle ne pouvait compter que sur des brides de souvenirs pour en apprendre plus sur les Protecteurs. Elle avait bien rencontré le grand blond qui s'occupait de sa meilleure amie mais elle n'avait posé aucune question tant il l'effrayait La famille de Aldrik était un mystère qu'elle essayait de percer. Car Abigaël ne pouvait être une simple chasseuse, elle en était certaine.

Faith avait fui son vert pays et sa magie. Elle avait cru. Pour mieux se jeter dans les bras de Salazar. Son pouvoir, trop puissant pour celle qu'elle était, n'aurait jamais dû être mit entre les mains de l'immortel. Mais les sorcières n'avaient pas essayé bien veillé sur la malédiction enfouie dans ses chairs et avaient reproduits les mêmes erreurs que leurs ancêtres. Faith aurait dû pouvoir aimer Shiloz en paix. Elle ne serait pas aux Etat-Unis aujourd'hui à lutter contre des fantômes. 

Elle essaye pourtant d'oublier le Coven, d'oublier les souvenirs. Elle devait faire avec ce qu'elle savait déjà. Ne restait qu'à convaincre la jeune chasseuse. La sorcière imaginait déjà la complexité de la manœuvre. Salazar, cet immonde monstre, avait déjà dû utiliser ses pouvoirs pour percer ses barrières psychiques et changer sa vision du monde.

Plus encore. Si Faith croisait Eve, l'immortelle lirait dans ses pensées et aurait tôt fait de détruire tous les vœux de rébellion de l'irlandaise. Elle tuerait Shiloh, prenant un plaisir certain à le torturer devant les yeux de la sorcière. Et elle la laisserait en vie.

Faith se relève, fermant d'un coup sec le grimoire qu'elle finissait d'éplucher. Remplissant son sac en toile de totem en tout genre, elle y jette une potion à l'odeur atroce et relève la couverture de son lit sur ses divers artéfacts de magie. Le propriétaire de l'immeuble avait toujours la bonne idée de se glisser dans l'appartement pour vérifier si ces locataires étaient « bien comme il fait ». Totalement illégal mais Faith ne pouvait se permettre de faire la fine bouche. Se loger à San Francisco relevait du miracle.

Elle ferme son appartement, offre un sourire à son nouveau voisin avant de sortir de son immeuble. S'engouffrant dans le métro jusqu'à the Embarcadero & Brannan Station, elle s'échappe avec bonheur de la foule de badôts. L'air iodé la prendre au visage, caressant les quelques taches de rousseurs qui avaient survécu aux temps de son visage.

La baie est couverte, comme d'habitude. A loin, le pont écarlate de la ville se distingue à peine. Il fait suffisamment froid pour que les touristes se soient barricadés dans des musées, pour le plus grand bonheur de la sorcière.

Ses pieds s'enfoncent dans le sable sale alors qu'elle se dirige jusqu'à une plage isolée, à l'abri des regards de la route. Elle inspire, focalise ses pensées sur le manoir des vampires et disparait, happée par des volutes de fumée émeraude.

La nuit n'est pas encore tombée sur l'île privative. L'air semble figé, gonflé de magie. Le manoir se détache sur l'horizon, si gothique qu'il en paraitrait cliché. Sa pierre sombre se réchauffe au soleil, tel un vieux chat paresseux.

La sorcière franchit la porte, les sens aux aguets. Salazar doit dormir, comme toujours la journée, mais son Infante est bien plus insomniaque. Si Faith n'a aucune idée de l'âge de l'immortelle, elle est bien assez jeune pour supporter la brulure du soleil et passer ses jours à errer dans les couloirs comme une mariée fantôme pleurant ses amours déchus.

Elle ne sait si la chance lui sourit enfin mais elle ne l'entend ni ne la croise. D'un pas décidé, Faith grimpe jusqu'aux appartements des invités, engloutissant les marches quatre par quatre. Les couloirs, sans le soleil de l'extérieur, sont aussi froids que la mort et elle se prend à frissonner.

Elle déglutit avant de s'enfoncer un peu plus dans les dédales du manoir, cherchant un rail de lumière qui lui indiquerait la chambre qu'elle cherche. Le son de ses pas lui parait tenu face aux battements frénétiques de son cœur.

Elle n'a jamais été si proche de ce dont elle rêve, jamais été aussi proche de les libérer tout deux.

Arrivée devant une grande porte en bois brun, Faith s'arrête une seconde pour reprendre son souffle et canaliser ses pensées. Puis elle finit par entrer, sans prendre la peine de frapper.

Violet comme les ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant