Chapitre 12, partie 1

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Eve s'est isolée dans sa chambre après sa discussion avec Salazar, déversant sa rage sur une mortelle qu'elle avait rencontré dans une boite de nuit quelques soirées plus tôt.

La jeune femme était venue, pour ne plus jamais repartir.

Eve s'était nourrie, à s'en donner la nausée, oubliant, dans le sang et la torture, la cicatrice encore brulante qui déchirait son cœur. Salazar avait fait remonter à la surface des images qu'elle ne voulait voir.

Les cris de plaisir de sa proie la rassuraient quelque part et, lorsqu'ils se teintèrent de terreur et de douleur, elle ne tenta pas de les faire cesser. Elle se contenta de faire taire les pensées de la mortelle alors que ses ongles et ses dents s'enfonçaient dans la peau tatouée et qu'elle mêlait à l'encre de nouveaux sillons carmin. Elle ne voulait rien entendre, juste voir la douleur qu'elle infligeait comme on lui avait infligé. Elle voulait faire souffrir comme elle souffrait, sans qu'aucune larmes ne viennent glisser sur ses joues. Les mots de Salazar étaient emplis de trop de vérités qu'elle refusait d'accepter. Eve portait un masque depuis qu'Alexis était parti et l'avait abandonnée. Elle le revoyait, les mains tâchées de sang, le regard suppliant.

Elle n'avait pas réussi à lui emboiter le pas, pas réussit à abandonner leur sire. Salazar lui avait donné la vie en la tuant, il l'avait arraché à sa cellule. Elle, la folle qui entendait des voix. Elle, qu'on ne pourrait jamais marier.

Elle avait dit non à Alexandre, le laissant s'enfoncer dans les ténèbres pour mieux retourner aux côtés de Salazar, pour mieux la ramener à la non vie.

Elle s'en mordait encore leurs doigts alors qu'elle était maintenant la chienne de compagnie du monstre. Le lien qui l'attachait à Salazar était trop fort pour qu'elle ne puisse jamais le rompre. Elle trainait dans les ténèbres, à tenter de s'inventer des intrigues avec les dragons. Mais elle savait parfaitement qu'elle n'échapperait jamais à son Sire.

A l'aube, Eve a abandonné le corps mort de la brune à la peau tachée d'encre sur son lit. Elle s'est coulée sous une douche brulante.

Avec émerveillement et fascination, elle a regardé le sang se mêler à l'eau avant de disparaitre.

Puis elle s'est lassée, comme toujours. Elle n'a pas accordé un regard au corps qui refroidissait sur son lit ni à l'hémoglobine qui caressait la poitrine nue de son repas.

Ce soir, lorsqu'elle rentrerait, sa chambre serait de nouveau impeccable et le cadavre aura nourri la Goule.

Eve attrape son téléphone et ses doigts glissent sur l'écran tactile, formant des suites de caractères qu'elle finit par envoyer à Joshua. Salazar veut qu'elle le rencontre le plus rapidement possible.

Elle lui donne rendez-vous dans la journée.

La vampire n'a jamais été patiente, comme tout ceux de sa lignée. Les ordres de Salazar doivent être effectué vite, sous peine de subir des tortures pires encore que la mort véritable.


Il ne s'agit pourtant pas de chasse ce soir.

Les proies sont des informations qu'un sourire enjôleur et un regard de braise ne lui offriront pas. Eve doit jouer de tout son charme.

Elle enfile alors un costume sombre, teinte ses lèvres d'écarlates et ses yeux de charbons. Sa peau, trop pâle, semble étinceler sous les lumières artificielles de la salle de bain. Elle retrouve, imperceptible, les restes de la mortelle qu'elle avait été en rougissant ses joues de poudres.

Eve laisse ses sens tenter d'entendre quelque chose dans le silence. La nuit dernière, alors qu'elle oubliait son cœur entre les reins de l'humaine dont elle ne savait pas même le nom, Eve avait entendu Salazar faire venir Abigaël à lui. Elle n'avait pas voulu entendre le moindre mot, pas voulu savoir ce qu'il faisait avec la chasseuse à ses côtés. Son Sire avait des plans que la dépassait.

Elle finit par sortir de sa chambre. Sans plus un regard pour le manoir, la vampire sort en plein soleil, ses iris fragiles protégés par une paire de lunettes de soleil.

Eve est encore trop jeune pour que l'astre brule son corps comme il le faisait des Anciens. Elle sent seulement une piqure désagréable sur son derme et la sensation que ses pouvoirs sont devenus aussi inutiles que lorsqu'elle n'était qu'une simple mortelle.

Joshua ne lui a pas encore répondu alors qu'elle se dirige vers le Bloody Sky. Autre bar, autre lieu, même quartier. Celui où l'argent n'est plus un problème, vide de jour et déserté de nuit.

L'Ancien ne touchera sûrement pas à son téléphone avant le début de la soirée, quand il s'éveillera enfin. Ils se rencontreront au crépuscule, lorsque l'immortel pourra enfin marcher à la lueur de la lune.

C'était bien la seule chose qui permettait aux jeunes vampires de survivre plus que quelques heures. Et qui permettait surtout au Secret que d'exister. Les mortels étaient bien trop amoureux de littérature fantastique, persuadé que les vampires brûlaient – ou explosait, selon les romans qu'ils dévoraient- en plein soleil.

Le parking du club où Eve se rend est pour l'heure encore vide et le néon qui l'illumine normalement de bleu éteint.

La vampire ne s'en formalise pas et se dirige d'un pas assuré vers une porte dérobée. Cette dernière se font parfaitement sur le mur sombre. Eve embrasse d'un regard l'asphalte vide avant de déverrouiller la serrure invisible à l'œil nu.

Elle se glisse dans le noir, ses iris se dilatant pour s'habituer à la pénombre ambiante. Il n'y a personne et seuls les battements de cœur animaux lui indiquent la présence de rats cachés dans les profondeurs du Bloody Sky. Les habitants les plus habituels du club en pleine journée.

Eve suit des chemins de traverses, empruntant des couloirs qu'elle connait par cœur. Ils finissent par la mener jusqu'à une salle éclairée à l'ancienne. Les bougies sombres diffusent une faible lumière, suffisante pour ceux qui hante le club.

Les iris de la vampire embrasse la scène qui s'offrent à elle. Quatre personnes siègent à une table sur laquelle un immense dragon est gravé. La flamme des bougies illumine par intermittence le globe d'obsidienne et de lumière qu'il tient dans sa gueule.

Dans l'ombre, Eve capte la présence d'un chasseur mais elle ne se met pas en garde. Il est là pour protéger la sorcière irlandaise qui rit en compagnie d'un loup. Sophia réchauffe l'atmosphère à elle toute seule, son visage enfantin encadrée par des boucles brunes impeccablement mises. Elle relève des yeux rieurs en voyant l'immortelle et ses lèvres pleines teintées de rose clair s'étirent sur un grand sourire.

— Eve. Nous ne t'attendions plus.

— Sophia, répond l'immortelle, son visage coupant court à toute autre futile politesse. 

Violet comme les ombresWhere stories live. Discover now