Chapitre 63 (Partie 2)

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Pas question ! Vous allez me faire le plaisir de prendre le premier bateau en partance pour l'Angleterre ! Vous allez vous mettre à l'abri ! Je ne vous ai pas parler de ce qui s'est passé cette horrible nuit pour mes parents pour que vous vous mettiez en danger. Bien au contraire.

Il souligna trois fois qu'il n'y avait pas de discussion possible, que son départ était impératif et qu'il s'agissait d'un ordre.

Puis il se coucha. Au milieu de la nuit, n'arrivant pas à dormir, il ajouta un post-scriptum.

Ps : Je vous embrasse tendrement. Pensez à bien vous couvrir sur le bateau.

Au petit matin, il croisa le jeune capitaine Antoine qui devait se rendre à Balaklava. Il lui confia sa lettre rageuse avec ordre de la remettre à Jimmy qui ferait le lien avec Diana.

Il pestait encore sur l'inconscience de cette femme quand il dut rejoindre son régiment. Les russes avaient décidé d'attaquer.

***

Le soir même il écrivait une autre lettre à l'infirmière.

Diana, ma très chère Diana

Je vous en prie ne tenez pas compte de ma précédente lettre. Croyez bien qu'elle n'était dictée que par-là peur terrible qu'il puisse vous arriver malheur et la frustration d'être trop loin de vous pour vous apporter mon aide.

Vous avez réagi avec courage et présence d'esprit. Un dément de Harispe comme moi aurait certainement foncé dans le tas et y aurait laissé la vie. Je vous béni d'être moins folle que votre dévoué ami car je ne supporterais pas un monde où vous ne seriez pas. Il perdrait toute saveur à mes yeux.

Pardonnez ma colère ! Brûlez l'autre lettre. Vous le savez que je suis un imbécile ?

Aujourd'hui il y a eu une bataille et de nouveaux blessés seront ballottés bien vite sur la mer pour rejoindre votre hôpital au lieu d'être remis sur pieds ici. Dans notre camp, on en compte plus de trois mille à ce qu'ai j'ai pu en entendre, sans compter les morts.

Les armées du tsar ont réuni leurs forces et ont profité que la péninsule était plongée sous une épaisse couche de brouillard, pour attaquer à quatre kilomètres de Sébastopol quelques bastions anglais qui n'ont pas pu être fortifiés à temps et sont toujours aussi faciles à prendre que le château de sable d'un enfant de cinq ans. Je vais être gentil, je vais dire un enfant de cinq ans un peu hargneux, mais uniquement pour ne pas heurter la sensibilité de nos camarades britanniques.

Menchikov avait donc décidé de prendre les hauteurs d'Inkerman qui dominaient la vallée. Il a bien failli réussir.

Je n'ai moi-même pas participé aux combats. Le général Bosquet a préféré m'utiliser pour faire les liaisons entre les régiments français. D'après lui, rapide comme je suis, il n'était même pas nécessaire de me donner un cheval puisqu'il fallait que je sois discret. Je porte un pantalon bouffant rouge, pour la discrétion, on repassera, mais je pense que cet homme voit le monde en noir et blanc. Et il m'a fait courir d'un bout à l'autre du pays.

J'ai ruiné mes bottes, j'ai des ampoules plein les pieds.

Lors de mes trajets dans le brouillard, j'ai croisé des silhouettes.

Les russes portent d'immenses manteaux gris fort commodes eux, qui dans cette brume leur donnaient des airs de rochers qui marchent. Mais de loin ils pourraient tout aussi bien être autre chose. Parfois j'ai l'impression que je deviens fou, je vois des ombres longilignes penchées sur des corps inanimés partout où je vais.

Et j'ai beau essayer de les poursuivre, je n'arrive pas à les rejoindre. Ce ne sont jamais plus que des images furtives ou les illusions d'un mon cerveau malade.

Et VOUS, vous faites face à un monstre, et vous trouvez même le moyen de lui prendre un trophée. Je l'enverrai à Londres dès que je recevrai la visite du coursier de Brogan. Ils sauront peut-être en tirer quelque chose là-bas, mais nous ne savons même pas de quoi il s'agit.

Vers onze heures, alors que je tentais de rejoindre le colonel Edmond Jean Filhol de Camas pour lui remettre des instructions, je passais dans les marais en contrebas pour tenter d'éviter les troupes du tsar et j'y ai trouvé le corps d'un soldat turc. Il avait été dévoré, pas seulement tué, il avait des bouts de chairs arrachées et les traces de dents aiguës d'une mâchoire large comme la main. Je ne connais aucun animal qui pourrait faire de tels dégâts.

Je crois qu'effectivement, il se passe des choses effrayantes dans cette partie du monde. La guerre n'en est que l'aspect le plus visible. Mais je me sens démuni face à tout cela. Je n'étais sans doute pas le meilleur choix pour cette mission.

Soyez prudente, je vous en prie ne parcourez plus les couloirs de l'hôpital le soir venu.

Votre toujours fidèle Arcas.

Il n'eut pas à se soucier de la première lettre. Elle fut retrouvée sur le corps du capitaine Antoine dont le cadavre éventré fut récupéré sur la route entre Kamiesh et Balaklava une semaine plus tard.

Quand les loups se mangent entre euxWhere stories live. Discover now