– Pfff ! Je comprends pas, déclara Arcas en croisant les bras sur sa poitrine efflanquée.

– Je ne l'espérais pas vraiment. Cassandre concentre-toi et dis-nous où devons-nous aller ton idiot de frère, ton vieux grand-papy et toi maintenant.

– Par-là ! Il y a de la terre humide sur le tronc. Il s'est frotté dessus et il est gros, son dos arrive jusqu'à là. Elle mit sa petite main à plus d'un mètre du sol.

– Ça on le savait déjà, grommela Arcas.

– Ah oui ! S'étonna Horos. Et comment le savons-nous ?

– La taille des empreintes, l'écartement des doigts et le fait qu'elles soient enfoncées dans la terre.

– Bien ! Nous ferons peut-être quelque chose de toi si tu réfléchis un peu.

Horos avait fait un clin d'œil à Cassandre, il aimait bien taquiner Arcas parce qu'il montait presque toujours aux créneaux.

***

Elle parcourut la forêt à grand pas, suivant trace après trace le chemin laisser par l'homme. Il marchait à grandes enjambées, sur la pointe des pieds. Il voulait être discret ? Non, il courrait. Il avait dû entendre le hurlement des chiens et avait pris peur. Là, près d'un églantier, il était tombé au sol, il y avait même l'empreinte de sa veste en laine dans la boue, épaisse plutôt bas de gamme. Soit il n'était pas suffisamment riche pour se payer un manteau de qualité, soit il avait préféré ne pas parcourir la campagne dans des vêtements de prix, par discrétion ou par soucis d'économie, là était toute la question.

Les bois s'éclaircissaient. Les arbres centenaires aux ramures épaisses abandonnaient leur combat et la lumière perçait leurs feuillages. À chaque pas, les troncs devant lesquels Cassandre passait se faisaient plus fins. De jeunes pousses aux feuilles tendres, des arbustes graciles tapissaient la terre noire. Quelques mètres plus loin se trouvait la route très fréquentée menant de Cattown à Worcester si elle ne se trompait pas. Des calèches, des chariots, des quidams à pied parcouraient ce chemin sans cesse. Elle entendit une malle-poste passer. Son conducteur, un gros bonhomme au langage fleuri semblait de mauvaise humeur à cause du retard qu'il avait pris par la faute d'une "grosse dinde". Cassandre ne saisit pas la suite. La diligence passait déjà à fond de train.

De toutes les manières, elle n'allait pas emprunter cette route en caleçon, où on la penserait bonne à interner. Cela ne l'avait menée nulle part de pister son espion. Elle avait ruiné ses vêtements, s'était recouverte d'éraflures, et du fait de cette poudre jaune avait récolté une affreuse migraine, et tout cela pour rien. Elle avait suivi un homme de corpulence moyenne, capable de courir et portant des vêtements bon marché.

Elle s'assit en tailleur à même le sol à l'ombre d'un buisson de frênes et regarda un long moment passer les gens sur cette route où ils piétinaient ses indices.

Elle devenait aussi colérique et emportée que son frère, se tança-telle. Ce n'était pas bon pour un chef de meute. Il se devait de garder son sang-froid sinon il ne sera jamais un bon meneur, disait Horos. Ses mots lui revinrent en mémoire.

– Regarde mieux petite. Le chemin te parle. Vois où chercher ce dont tu as besoin.

Là ! Derrière le roncier.

Prenant garde à ne pas être vue depuis la route, elle rampa.

Le parfum des mûres pourrissantes avait dissimulé l'odeur infecte de la poudre jaune.

Elle s'empara de la bourse de cuir noir qui avait été jetée ou perdue là et retourna d'où elle était venue, d'abord discrètement, puis dès qu'elle fut certaine de ne pas prendre le risque d'être vue en courant. Elle retrouva heureusement ses jupes là où les avaient laissées, renfila les mètres de tissus en se tortillant comme un asticot sur son hameçon. Elle arrangea ses cheveux du mieux qu'elle pouvait et sortit des bois.

Les deux chiens se jetèrent sur elle. Ils labourèrent le devant de sa robe, finissant de ruiner son amazone. Évidemment, le fait qu'elle ait simplement mis la bourse de cuir dans sa poche, ne les empêcha pas de sentir la poudre et ils éternuèrent, recouvrant le tissu ocre de trainées de morve canine du plus bel effet.

Mais Hadès qui avait eu peur d'être abandonné s'en fichait royalement. Artie avait plus de scrupules, malgré sa toute nouvelle iroquoise.

Son grand compagnon avait dû s'ennuyer ferme ou simplement dû tenter de s'élancer dans la forêt à sa suite. Mais la chienne rouge avait veillé à ce que les ordres soient respectés en bon petit soldat discipliné qu'elle était et tant pis si cela lui valait un nouveau bain.

Scamandre qui mâchait tranquillement de l'herbe, renâcla dès que lady Blake s'approcha de lui. L'odeur le gênait lui aussi, mais il en avait vu d'autres et dès qu'elle fut sur son dos, il supporta stoïquement son sort.

Après avoir rangé son pistolet dans ses fontes, Cassandre s'élança vers Churbedley, suivit de ses chiens.

Sur le chemin, elle croisa Madame Stampton qui se promenait sur les terres des Blake sans que cela ne semble la déranger le moins du monde. Néanmoins, malgré son sans gêne et son mépris de la propriété privée, la veuve du capitaine de marine parut horrifiée par l'apparence de lady Blake. Quelqu'un devrait lui rappeler l'histoire de la paille et de la poutre. Pourtant, elle changea rapidement d'expression pour peindre sur son visage un sourire amène et emplie de compréhension bienveillante. Hélas il n'atteignit pas ses yeux, ce qui en atténuait considérablement l'effet.

Ce sourire était de mauvais augure. Il déplut à Cassandre au plus haut point. 

Quand les loups se mangent entre euxWhere stories live. Discover now