CHAPITRE 29

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La petite Rottweiler a quitté la piscine et j'entrevois la possibilité de pouvoir débrieffer avec mon frère, loin de ses oreilles indiscrètes.

Diego, mon pirate informatique, a réussi à copier le téléphone de Tya et j'ai découvert un enregistrement très intéressant. Je compte bien partager avec Matt cet élément - dérangeant - du passé de sa collègue.

Mais avant, une question me brûle les lèvres, malgré le fait que je pense déjà en connaître la réponse :

— Tu l'aimes ? balancé-je sans préambule.

— Hein, quoi ?

— Cette fille. Tu l'aimes n'est-ce pas ?

Matt, qui a relevé la tête, interpelé par ma première question, détourne le regard vers Tya. Elle s'est éloignée pour avoir une conversation apparemment privée mais nous l'apercevons encore de l'endroit où nous nous trouvons.

Elle évolue avec une allure mi-femme mi-enfant, allant du mur de la villa à la bordure d'un petit massif de rocaille.

D'un oeil expert, j'apprécie la silhouette féminine et je comprends mieux qu'elle ait pu, physiquement, plaire à mon frère. Elle me plaît à moi aussi, je dois bien le reconnaître. Par contre, niveau tempérament... Quelle plaie ! C'est une furie. Elle est comme un cheval sauvage que l'on échoue à apprivoiser. 

Indomptable, ni plus, ni moins. Prémices de soucis et autres problèmes en pagaille.

Matt me sort de ma contemplation, en m'avouant être fondu.

— J'aime sa force de caractère, taillée dans le roc et qui se cache sous un humour parfaitement maîtrisé. Mais y'a plus que ça . Elle a aussi ce truc...une sorte de fêlure dans son armure, qui me donne envie de l'envelopper de tendresse, et de faire face à sa place à tout ce qui pourrait arriver. Elle me chavire...

— Ouais, ben fais attention de ne pas couler, frérot.

— Pardon ? Tu veux dire quoi exactement ?

— Disons que j'ai eu accès à des informations confidentielles la concernant qui me font penser qu'elle est le genre de personne écorchée par la vie, et qui n'en guérit jamais.

— Explicite, s'il te plaît, t'es pas très clair là. Quel genre d'informations ? Qui plus est confidentielles !

Je le regarde tout en tentant de trouver la meilleure manière qui soit pour lui dire que sa copine est apparemment une victime de viol. Le genre de nanas qu'il vaut mieux fuir, car elles finissent toujours par déraper et briser des coeurs au passage, incapables qu'elles sont d'avoir une relation avec qui que ce soit.

— Je veux dire... Elle est brisée, ta Tya. Faut pas que tu t'accroches comme ça à elle, dans l'espoir que vous deveniez intimes...

— Comment ça ? Qu'est-ce que t'essaies de me dire, là ?

— Écoute, dans son téléphone, il y avait un enregistrement récent qu'elle a visiblement programmé pour recueillir les aveux de la personne qu'elle a passée à tabac. Et de ce que j'ai pu en comprendre, elle aurait été vio...

— Putain Daryl, j'y crois pas ! éclate mon frère en frappant de la paume de la main la plage de la piscine.

Il est furieux, je le lis dans ses yeux, je l'entends dans sa voix. Et visiblement, il semble ne pas en avoir fini avec son tirage d'oreilles et sa morale en bonne et due forme. Il enchaîne : 

— T'es allé fouiller dans ses affaires ? T'as dépassé les bornes là ! Tu sais ce que ça veut dire "sphère privée" ?

— Je l'ai fait pour savoir un peu mieux avec qui tu traînes. Après tout, ta minette elle aurait pu faire de la taule pour coups et blessures !

Ses yeux lancent des éclairs. S'ils étaient chargés de balles, ils ne feraient qu'une bouchée de moi, me transperçant de part en part. J'essaie tant bien que mal de lui expliquer la raison de mon intrusion dans ce qu'il appelle "sphère privée" :

— Je voulais te protéger, Matt. Cette fille, elle est pas faite pour toi. Y'a trop de souffrances dans son passé ! T'as pas besoin de ça, surtout pas après ce que t'as vécu avec Lana.

— T'inquiète, je suis au courant, elle m'a déjà tout raconté ! Et niveau souffrances, je pense que j'ai eu mon lot aussi justement. Alors si on peut s'apporter un soutien mutuel, je vois pas en quoi t'aurais ton mot à dire.

Il se lève et s'approche de moi, la main tendue :

— Et maintenant, tu vas gentiment me refiler cette copie que t'as osé faire, si tu ne veux pas que je te la reprenne à coup de poings.

Je lève les mains en signe de reddition, il sait se montrer plus buté qu'un âne. Je ne peux m'empêcher néanmoins de le tacler, plein d'ironie :

— C'est bon, c'est bon... Si t'es au courant, alors tout va bien. T'es un grand garçon Matt. Tu ne veux pas de mon aide ? Pas de souci. Mais ne viens pas pleurer sur mon épaule comme tu l'as fait après Lana, quand ton petit coeur sera brisé... Encore.

Je le vois serrer les mâchoires et me tendre à nouveau sa main bien à plat, de manière assez brusque. De la mienne, je fouille dans la poche de mon pantalon et en sors une clef USB. Je la lui donne, il s'en saisit. 

Transaction effectuée. Point barre.

J'envisage de lui conseiller d'écouter l'enregistrement quand même mais il ne m'en laisse pas le temps. Le clef tombe au sol dans un petit bruit métallique et il l'écrase de son pied, d'un coup sec.

— J'espère que c'était la seule copie, Daryl.

Je hoche la tête, plein de déception mais sincère.

— Je voulais juste t'aider, Matt.

— La prochaine fois, abstiens-toi.

Au même moment, nous remarquons que Tya a raccroché et qu'elle revient lentement vers nous. Mon frère marmonne entre ses dents :

— T'es au courant de rien : ni de son passé, ni de ce fameux enregistrement. Rien, t'as saisi ? Niet, Nada.

— Entendido, hermano.

Il reprend sa place près du bord de la piscine et Tya nous rejoint enfin. Elle a l'air de quelqu'un complètement dans la lune. Matt, en preux chevalier, s'enquiert aussitôt de ce qui la travaille. Elle répond que tout va bien, que son père va se marier.

Manquait plus que ça, qu'on se mette à parler mariage.

Ils se regardent dans le blanc des yeux. Je me sens comme un pion de jeu de dames perdu sur un échiquier. Avec espoir, j'espère qu'ils vont se mettre à jouer aux osselets, plutôt que de rester là, à se tourner autour sans en avoir l'air.

Qu'est-ce que je fous là, moi, d'abord ?

Ou plutôt non, ce sont eux qui sont chez moi. Donc : qu'est-ce qu'ils fabriquent encore ici ?

Ce moment, comme suspendu hors du temps, s'éternise un peu trop, mon malaise avec. D'un raclement de gorge, je décide de briser la magie de cet instant où mon frère, transi d'amour, ne détache pas ses yeux de sa belle brune.

— Hum hum... Dites, les tourtereaux... Vous comptez décoller ou vous envisagez de vous incruster ? Nan parce que j'ai des chambres, là haut, sinon...

Avec un A comme Am...Where stories live. Discover now