CHAPITRE 11

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Dans le taxi du retour, je suis submergée par les vagues de souvenirs qui déferlent en mon esprit. Je me sens lasse, complètement vidée et nauséeuse - encore.

Comme me parvenant de très loin, j'entends Monica qui peste et rumine, en rage. Je ferme les yeux et me niche, avec l'envie de changer de dimension pour ne plus être moi, ne plus être là, ne plus être moi vivant cette situation-là.

— Non mais tu te rends compte de ce qu'elle a osé dire ? Comment on peut être aussi abrutie ? Tu crois que c'est congénital ou bien elle le fait exprès ? Nan dis rien, j'suis sûre que c'est les deux. Pas possible autrement.

— Moon...

Ma voix n'est qu'un murmure suppliant. Mais elle ne m'entend pas, tant elle fulmine :

— Tu parles d'une soirée... Quelle pétasse ! On est à combien de kilomètres de la Nouvelle Zélande ?? Mais non, on n'est pas encore assez loin visiblement, faut qu'on se coltine cette crétine de Colleen !

— Moon... S'il te plaît...

— J'ai envie de la buter, sérieux... Lui faire bouffer son brushing par les trous de nez, lui faire limer sa french manucure avec ses dents, lui...

— Moon ! Arrête, je t'en supplie... 

Ma voix, bien que morne, est assez ferme et suffisamment forte pour stopper ma cousine au beau milieu de ses projets de vendetta.

— Oh Tya, je suis désolée, je... Je parlais toute seule. Je pensais que tu dormais... Tu avais les yeux fermés et la tête appuyée contre la portière.

— C'est rien, laisse tomber... On arrive.

Le chauffeur du taxi stoppe et nous signifie que nous sommes arrivées à destination en nous annonçant sans préambule son tarif prohibitif, arrachant un cri de surprise à ma cousine. Je lui fais signe de ne pas donner suite. Je sais bien qu'elle est remontée et qu'elle pourrait régler son compte au conducteur rien qu'en le fustigeant mais je préfère régler la course sans faire d'histoire et m'éjecter du taxi où je commence à étouffer. Nous montons en une silencieuse procession jusqu'à mon appartement, trois étages plus haut. Une fois arrivées, je m'échoue sur mon canapé, mon visage enfoui dans mes mains. Un long soupir s'échappe de mes lèvres.

Moon vient s'asseoir à mes côtés et caresse mes cheveux doucement puis, elle passe son bras autour de mes épaules et commence à me bercer lentement.

Quand elle sent mon corps se détendre enfin, elle se lève, faisant place nette à Major qui vient fourrer sa truffe dans mon cou. Son attitude vis à vis de moi me fait du bien, me réconforte. J'ébouriffe le poil de son poitrail, enlève ensuite mes escarpins et m'enfonce dans le sofa, jambes repliées sous moi.

Trois minutes plus tard, j'entends la bouilloire émettre son sifflement aigu, caractéristique d'une eau arrivée à ébullition. Monica apparaît immédiatement dans l'encadrement de la porte de cuisine, deux tasses sur un plateau, accompagnées de sucre et de oatcakes, une spécialité de chez nous.

— Je les ai préparés hier avant de prendre l'avion. Je me suis dit que tu en aurais peut-être envie. La Nouvelle Zélande me manque parfois... Je ne sais pas si ça te fait ça aussi.

Elle me tend une tasse en m'annonçant qu'il s'agit d'un rooibos vanille. Mon préféré.

— Comment tu te sens ?

—J'ai l'impression qu'un train m'est passé dessus.

— Ouais... Faut dire que dans le genre grosse micheline... Colleen se pose là...

J'esquisse un faible sourire et me renfrogne à nouveau, en murmurant :

— Le regard de Matt quand elle a lâché sa bombe...

— Arrête ça, Tya. Pourquoi ça changerait quoi que ce soit ?

— Je ne sais pas... On est devenus très proches en quatre mois et... Je ne lui ai jamais parlé de rien au sujet de...

Ma main vogue dans le vague pour terminer ma phrase. Je n'ai pas le courage de prononcer ces mots qui sonnent comme le glas.

— Et alors ? Il a besoin de savoir ? En quoi ça peut bien avoir de l'importance, ce qu'il pense de toi ?

— Non il n'a pas besoin de connaître ce pan de ma vie, mais maintenant il le sait ! Pas par moi, remarqué-je avec tristesse. Et ça compte parce que... parce qu'il compte. Il compte pour moi, c'est mon ami... Le meilleur, tu comprends ?

— Ben justement, si c'est ton ami, il n'accordera pas le moindre crédit à ce qu'a pu dire cette pimbêche.

Je repose ma tasse vide sur le plateau et me love dans le fond de mon canapé, les mains croisées sur le sommet de mon crâne. Je ferme les yeux et soupire. En temps normal, j'aurais débrieffé avec Monica au sujet de l'intuition de Lisa à propos de Matt mais dans l'immédiat, je préfère ne pas rajouter à ma vie cette complication supplémentaire. J'en ai bien assez à l'heure actuelle.

— Ecoute Tya, demain est un autre jour. Je pense que tu as eu assez d'émotions fortes pour la soirée. On y verra plus clair après une bonne nuit de sommeil, tu ne crois pas ?

J'écoute la voix de la sagesse et après un rapide démaquillage, j'enfile un vieux short, un vieux t-shirt et me couche. Monica ne tarde pas à me rejoindre : nous partageons mon lit car le canapé n'est qu'un deux places, qui plus est pas convertible. Nous éteignons chacune notre lampe de chevet en nous souhaitant une bonne nuit et très vite, je la sens me tourner le dos et commencer à ronflotter.

J'aimerais pouvoir m'endormir aussi vite qu'elle mais depuis ce qui s'est passé au Starlite, une sensation bizarre ne m'a pas quittée... Comme si quelque chose n'allait pas. Ça tourne dans ma tête, en boucle. C'est là mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus.

Je tourne et me retourne dans mon lit, repassant le film de cette soirée encore et encore. Je ne parviens pas à identifier ce qui cloche mais quelque chose cloche bel et bien.

De guerre lasse, je décide qu'il faut que je me change les idées, que je me vide la tête pour pouvoir mieux réfléchir à tout ça à nouveau.

J'attrape mon téléphone, pour regarder l'heure qu'il est : cinq heures du matin - ça fait, à peu de chose près, trois heures que je rumine.

Pour ne pas risquer de réveiller Moon qui dort du sommeil du juste, je me faufile hors du lit puis de la chambre et commence à faire les cent pas dans mon salon. Je vais et je viens, de mon sofa à la baie vitrée donnant sur la ville encore endormie. Major me tourne autour, ne comprenant pas pourquoi je suis déjà debout.

Je le gratifie d'une caresse puis reporte mon attention sur mon téléphone.

6h00.

Cette fois, je ne tiens plus, j'ai un trop plein d'énergie et de tension, il faut que j'évacue tout ça.

Avec un A comme Am...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant