Chapitre 5 c'est presque une bonne chose que l'autre garce ...

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Sterenn

Grand-mère se retire peu après le dîner, non sans avoir posé un baiser sur mon front, un contact fugace mais qui m'a profondément émue. Vu comme elle est avare des gestes tendres, je suis sure que ça représente autant pour elle que pour moi. Quant à moi, impossible de penser à aller dormir ! Il est à peine 21 heures ; je ne suis pas une couche-tôt, surtout en vacances, mais ce soir ! Après cette journée ! J'aimerais crier, chanter, danser et hurler de sentiments contradictoires. Je suis heureuse de ces rencontres, bouleversée d'avoir vu ma mère, même dans ce contexte, frustrée de la distance que ma grand-mère maintient entre nous, excitée de la perspective de rencontrer tout ma famille, anxieuse ... pour la même raison et furieuse de ce que j'ai appris sur les silences ou les mensonges de mon père. Ça fait beaucoup d'idées pour mon petit cerveau et une seule personne peut entendre tout ça. D'ailleurs, Leslie a exigé un compte rendu détaillé de ma journée. Elle ne va pas être déçue ! Comme à notre habitude, je lui raconte tout. En fait, c'est plus que d'habitude : en général, dans notre binôme, je suis celle qui écoute, qui écrit et elle est l'élément lumineux, celle qui parle et qu'on écoute. Mais ce soir, elle sent que j'ai besoin de sortir tout ce qui m'a bouleversée : mes craintes du matin, la première impression mitigée sur ma grand-mère, plus froide que je ne l'avais escompté, mais certainement moins qu'elle ne voulait le laisser croire, la maison, le village, ces lieux que j'avais craint de détester et que je me suis surprise à chérir instantanément. Inexplicablement, je me sens chez moi.

Leslie me laisse parler avant de recentrer la discussion sur ma famille. Ma voix est nettement plus serrée lorsque je lui parle de ma visite au cimetière. Je n'ai pas pu lui en parler plus tôt ; à vrai dire, je n'ai même pas pensé à l'appeler pendant ma promenade ; et pas seulement pour ne pas la déranger ; je sais qu'elle a toujours du temps pour moi. Non, égoïstement, je voulais me recentrer sur mes sensations, mon émoi, avant de le partager avec quelqu'un d'autre, même elle.

Mon amie ne m'en tient pas rigueur. Elle est même heureuse, aussi étrange que ça pût paraître, de ce moment particulier et que, sans le savoir, j'attendais depuis si longtemps. Une fois cet aveu fait, je lui parle plus facilement de ma famille, de mon oncle et de ce qu'il pourrait m'apprendre, de mes cousins qui bouleversent leurs plans pour moi.

-Ca y est, j'entends parler de cousins ! rigole Leslie. N'oublie pas ma requête ! En bref, ma belle, reprend-elle plus sérieuse, c'est presque une bonne chose que l'autre garce ait convaincu ton père de te cloîtrer loin de moi.

-Ce n'est pas ce que je voulais dire, Les. Tu me manques, ...

-Je sais, Ste, ce n'est pas une critique. Mais toi qui as toujours rêvé d'en savoir plus sur ton origine, sur ta mère et qui es si malmenée dans ta famille, ... j'ai l'impression que ton été va être génial. Il ne manquerait plus qu'un beau breton...

-Arrête de dire des bêtises. S'il y a une chose qui me semble évidente c'est que je ne suis pas, au contraire de toi, dans un lieu propice aux rencontres amoureuses, ni pour tout te dire, dans un état d'esprit adéquat. Alors que toi, ...

La discussion se recentre sur mon amie qui, à son tour, me raconte tout sans se faire prier. Elle a déjà repéré les beaux gosses du coin, a pris possession de la plage et compte bien profiter de son été. Comme souvent, Leslie a nettement plus de choses à raconter et je fais silence pour l'écouter, admirant les talents de conteuse de mon inséparable, capable de croquer en une phrase une situation classique pour en faire une anecdote irrésistible. Je n'ai pas cette qualité à l'oral, mais mon amie m'assure qu'à l'écrit, je suis capable de tout, déclencher un fou rire ou une crise de larmes avec la même facilité. C'est ainsi que fonctionnait notre binôme, chacune brillant par ses qualités et admettant de ne pas avoir la première place. Régulièrement, les parents de Leslie tentaient de modérer sa parole, pour ne pas m'écraser, mais je ne souffre pas de ne pas être au premier plan. Au contraire. En attirant la lumière, Leslie m'offre un poste d'observation confortable, dans l'ombre, mais en pleine exposition. Bien sûr, peu de personnes comprennent ça. Au lycée, les vipères jasent sur mon incapacité à me sentir à l'aise en solo. Même Magali va en ce sens lorsque sa nouvelle torture a consisté à convaincre son mari que la fréquentation de Leslie était toxique. Comme si ça lui importait !

Un été pour une vieWhere stories live. Discover now