Jour 32 : l'esclave

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— Ce n'est pas très malin de leur part, remarque-t-il. Trouver un maître parmi les citoyens est préférable à bien des destins.

Le rustre crache par terre.

— Ils s'en fichent. Ils n'ont peur de rien.

— Vous ne semblez pas désireux de vanter la qualité de votre marchandise.

L'homme hausse les épaules.

— Les arènes nous les prennent par lots. Ça rapporte moins, mais ça provoque aussi moins d'ennuis. Pas de mauvaises surprises, pas de plaintes. Ils savent ce qu'ils reçoivent : des bêtes. Tout le monde repart satisfait.

Lucius fronce les sourcils.

— Pourquoi les exposer, alors ?

— Parce qu'on ne sait jamais. Parfois, on tombe sur un patricien qui a la poigne pour en mâter un, ou des besoins de loisirs personnels. Puis il y a les femelles. Je suppose que c'est ce que vous êtes venu chercher.

Le jeune homme secoue la tête.

— Je ne cherche rien. C'est ma soeur...

Il scrute la tente des yeux, mais Lucilla est bien trop petite pour qu'il puisse la repérer.

— Sans doute une servante, oui.

L'homme vêtu de cuir acquiesce d'un air entendu.

— Vous voulez en voir un vraiment spécial ?

Lucius jette un nouveau regard circulaire autour de lui, mais distinguer une tête noire parmi toutes ces têtes noires tient de l'impossible.

— Pourquoi pas ? Qu'est-ce qu'il a de particulier ?

— Là où on l'a capturé, les gens disaient que c'est le fils d'un dieu.

Lucius sent sa curiosité frétiller. Quand l'homme se met en mouvement, il le suit.

— Le fils d'un dieu ? Rien que ça ?

— Une de leurs divinités sauvages et malfaisantes, vous savez. Difformes et bestiales.

Ils se faufilent entre plusieurs clients qui discutent des formes d'une jeune fille nue, les poings liés à un mât. Lucius s'excuse en les bousculant et débouche dans un espace découvert, entre la tente et le mur des thermes. Soudain, une seconde, il craint de s'être fourvoyé. Et si cet employé servile était un détrousseur, qui l'avait attiré à l'écart pour lui trancher la gorge et lui voler sa bourse ?

Mais l'inquiétude reflue. Ils ne sont pas seuls dans ce semblant de cours balisé de palissades en toile. Des esclaves rangent du matériel, des cageots de nourriture s'empilent, des ballots de paille, des tonneaux d'eau de la rivière voisine. Deux grands chariots cages, aussi, une paire de boeufs. L'intendance du commerce ambulant. L'air y est plus pur et Lucius, un instant, respire, avant de rejoindre son hôte.

Celui-ci s'est immobilisé devant une grande caisse couverte d'une toile de jute. À leur approche, un cliquetis retentit, un mouvement. Quelqu'un est terré sous l'étoffe, et le marchand le dévoile d'un geste d'habitué.

La cage ne lui permet pas de se tenir debout. Nu, assis, il est enchaîné aux poignets et chevilles, porte un lourd collier de fer autour de la gorge, dont la chaîne sort entre les barreaux jusqu'à un anneau fiché dans une grosse pierre, à quelques mètres. Lucius s'accroupit pour l'observer.

Hormis ses yeux d'un vert saisissant, il ne paie pas de mine. Peut-être est-ce sa position qui empêche d'apprécier sa taille et sa musculature. Il ressemble à un jeune homme ordinaire, les traits fins habités de l'habituel mélange de peur et de colère qui sied aux esclaves fraîchement capturés. Celui-là n'a pas été dressé, cela semble manifeste. Ou peut-être a-t-il résisté à toutes les tentatives de le mâter.

Projet 66Where stories live. Discover now