La missive

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Le colonel Fitzwilliam

Le grand jour était enfin arrivé pour mon cousin et son ami et je ne pouvais qu'être heureux pour eux deux. Dans cette coquette maison de Netherfield, une étrange ambiance régnait. Entre euphorie et appréhension, entre joie et empressement.

Évidemment, Darcy fut le premier à descendre. Je l'ai suivi de peu. Il se tenait stoïque, les mains dans le dos. Je n'ai pu m'empêcher de le taquiner:

Hé bien Darcy, pour peu je vous prenais pour le beau George Brummell !
– Moquez-vous, Richard, mais vous verrez lorsque viendra votre tour.

Je le regardais de la tête aux pieds. Il était élégant comme l'était son père. Il portait une redingote bleu nuit très ajusté, et dessous un gilet brodé d'or. Il avait savamment noué une cravate de bal immaculée et fixé une jolie épingle en son centre.
– Je pense ne jamais vous avoir vu aussi fringant ! Miss Elisabeth ne pourra plus vous refuser!
– Je me demande ce qu'il m'a pris de vous inviter, soupira t'il sans s'empêcher de sourire malgré tout.
Peut-être aviez vous besoin que quelqu'un vous empêche de vous défiler?

Nous fûmes interrompus par l'arrivée des dames. Georgiana entra la première dans une jolie robe rose poudrée, un voile recouvrait pudiquement sa poitrine et des noeuds ornaient le bas de ses jupes. Elle fut suivie de Mrs Annesley qui s'aidait d'une canne pour marcher. Je me fis la réflexion que je n'avais pas remarqué ce détail la veille.

C'est alors qu'entra Anne et, pour peu, j'aurais eu mal à la reconnaître. Elle portait une robe légèrement semblable à celle de Georgiana mais plus simple et bleu ciel. Je ne l'avais plus jamais vue porter de couleur depuis le décès de notre oncle. Ses cheveux n'étaient plus étirés dans un stricte chignon mais des boucles venaient à présent encadrer son visage pâle. Elle se tenait timide, les mains gantées jointes.

Anne, Georgiana, vous êtes resplendissantes, fit Darcy en les saluant.
Georgiana m'a prêté cette robe, fit Anne de sa petite voix en fixant le parquet.
Je réalisais que notre départ de Rosing s'était fait à la hâte et notre pauvre cousine n'avait pu emporter, en tout et pour tout, qu'une petite manne.

Vous êtes tous deux très élégants aussi ! fit Georgiana tout sourire. Ne trouvez-vous pas Anne?
– Oui très élégants.

J'avais, pour ma part, choisi la facilité en portant mon uniforme rouge. C'était, à vrai dire, ce que je devais avoir de plus seyant.

– Avez-vous vu Charles? demanda Darcy, la main sur sa montre à gousset.
– J'arrive, j'arrive, fit ce dernier en entrant précipitamment. Il fit un sourire aussi large que sa gentillesse et salua l'assemblée. Veuillez m'excuser, je fais un hôte des plus inqualifiable.
– Vous êtes tout pardonné, Mr Bingley. Ce n'est pas tous les jours que vous vous mariez ! Taquina Georgiana.

Nous prenions une collation sur le coin d'une table en attendant l'heure de se rendre à l'église lorsqu'un valet entra, un plateau dans les mains.
– Encore un message, Stevenson? Mettez-le avec les autres dans l'entrée je vous prie, répondit notre hôte. Cela n'arrête pas depuis trois jours...
– C'est un message pour le Colonel, monsieur.

Je me levais et prit le billet en question. Pas besoin d'être devin pour savoir de quoi il s'agissait. Le cachet était largement explicite ainsi que la brièveté du message.

– De mauvaises nouvelles Richard? s'enquit mon cousin.
– Je me doutais qu'un tel courrier arriverait mais j'espérais disposer de plus de temps.
Je regardais la petite assemblée qui m'observait dans l'attente d'une explication.

– C'est un ordre de mission. Je ne peux vous en dire davantage. Je dois me rendre dans les plus bref délais à Dover pour embarquer.

Chacun alla de ses exclamations de surprise et de déception. Leur compassion était douce à entendre mais je réalisais que ce que j'avais encore à annoncer allait particulièrement faire de la peine à l'une d'entre eux.

– J'ai deux jours pour m'y rendre...
– Alors vous allez pouvoir assister au mariage! S'enthousiasma Mr Bingley.
– Je crains que non. Vous m'en voyez désolé mais j'ai amené ici Miss de Bourgh. Il me reste donc juste assez de temps pour la reconduire dans le Kent aujourd'hui avant de prendre la direction du sud.

Un silence se fit, le temps à chacun d'assimiler la mauvaise nouvelle. J'avais promis à ma cousine qu'elle assisterait à l'événement et je l'en privais le jour même. Je vis ses épaules se recroqueviller et son visage se fermer et cela me fendit le cœur.

– N'y a-t-il pas une autre solution? Demanda Mr Bingley toujours aussi optimiste. Nous pourrions nous en occuper plus tard!
– Mr Bingley, je ne peux vous demander de ramener Miss de Bourgh dans le Kent aux lendemains de vos noces!
– Fitzwilliam, ne pouvez-vous pas... commença Georgiana, puis elle se ravisa en prenant conscience de ce que cela impliquerait.
– Georgiana, je crains que ne notre présence à Rosing ne soit pas souhaitée et je ne voudrais pas imposer cela à Elisabeth.
– Je confirme que vous risquez d'être très mal accueillis, confirmai je. C'est pourquoi c'est à moi de le faire, répondis-je.

Puis-je faire une suggestion ? Demanda poliment Mrs Annesley qui n'avait rien perdu de notre conversation.
– Évidemment, Mrs Annesley, nous vous écoutons.
– Est-ce qu'il serait envisageable que Miss de Bourgh fasse un séjour à Pemberley après les festivités ? Elle pourrait ainsi tenir compagnie à Miss Darcy.

L'idée était excellente et laisserait les deux jeunes couples le loisir de profiter de leurs noces en toute quiétude.

– Merveilleux! S'exclama Georgiana en se tournant vers notre cousine. Anne m'avait écrit combien elle rêverait d'y retourner!
– D'après ce que vous m'avez dit Richard, j'avoue que je serais plus rassuré de la savoir à Pemberley plutôt que seule à Rosing, ajouta Darcy pensif.

Chacun allait de ses réflexions mais personne ne demandait ce que la principale concernée en pensait.

– Anne? Elle leva la tête vers moi, surprise qu'on lui adresse la parole et craintive. Que pensez-vous de cette suggestion ? Est-ce que cela vous plairait de séjourner quelques temps à Pemberley auprès de Georgiana et Mrs Annesley ?

Elle prit sa petite voix et demanda :
– Et j'assisterai au mariage ?
– Oui.
Un large sourire s'étira sur son visage.
Cette solution me permettait de tenir la promesse que je lui avais faite.

– Et vous?
– Moi?
– Assisterez-vous au mariage?
Je réfléchis et regardais Darcy qui attendait sûrement autant qu'elle ma réponse.
– Si je ne fais pas le détour jusqu'au Kent, cela pourrait être possible.
Mais avant que Darcy ne prenne la parole, j'anticipais:
Cependant je partirais juste après le repas.

Le soulagement fut collégial. Les uns félicitèrent Mrs Annesley pour son bon sens, Georgiana se réjouissait des jours à venir, Darcy éprouva de la consolation de me savoir présent et le regret anticipé de me voir partir.
Seule Anne me fixait sans rien dire, avec ce regard si particulier que je n'arrive jamais à déchiffrer.

Orgueil & Conséquences Where stories live. Discover now