Comme Emma

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Georgiana

Je ne regrette en rien d'avoir poussé mon frère à venir jusqu'en Hertfordshire. Bingley nous a accueillis chez lui à bras ouverts sans poser la moindre question. Quel homme bon et chaleureux, je suis ravie de le savoir à présent fiancé à celle qui hantait si longtemps ses pensées.

La demeure de Netherfield est agréable et très bien située. Elle aura sûrement besoin d'être remise au goût du jour mais je ne doute pas que celle qu'il va bientôt épouser saura l'aider avec amour.
Une maison de cette taille me suffirait amplement. Je ne sais ce que la vie m'a réservé mais je ne ressens point le besoin de vivre dans un second Pemberley.

Pendant que Fitzwilliam suivait son ami jusque chez les Bennet empli d'appréhension, je me suis, de mon côté, bien reposée. Installée sur un banc au pied d'un saule, je méditais. Je venais de relire pour la troisième fois le dernier roman de Jane Austen et je me sentais un peu comme Emma, destinée à unir les couples autour de moi.

Après tout n'avais je pas insisté pour que Bingley retourne ici et auprès de « son ange » se déclarer? N'avais je pas œuvré à éloigner Caroline de mon frère pour le rapprocher d'Elisabeth ? Et c'est maintenant à son tour de franchir le pas.
Quel autre cœur à prendre aurait donc besoin de mon aide ?

Je songeais que si tout se concrétisait comme je l'espérais, je connaissais une belle âme qui aurait besoin d'être comprise et écoutée. Une douce personne qui risquait fort d'essuyer les foudres d'une mère désemparée de ne pas avoir réussi à la marier comme elle le désirait.
Le souvenir de notre Tante Catherine faisant son irruption tardive à Londres m'a fort marquée et je ne cesse depuis de penser à notre pauvre cousine qui doit quotidiennement la supporter.

Alors que j'échafaudais un plan pour aider Anne, au loin je vis Mrs Annesley revenir de la bourgade voisine accompagné de Mr Herbert, le valet de mon frère. De là où je m'étais posée, ils ne pouvaient me percevoir. Je les observais au naturel, lui parlant détendu, elle riant.

Cette image m'a donné matière à réflexion. En choisissant cette voie et cette profession, nos domestiques et notre personnel nous suivent là où nous allons, peu importe la durée, peu importe la saison. Nous leur imposons nos choix, notre rythme de vie et les soumettons aussi à tous nos caprices en oubliant qu'ils ont un cœur et des envies.

Mon frère et son ami sont rentrés tard ce soir là et chaque heure qui passait me donnait raison d'espérer. Le large sourire qu'il m'adressa lorsqu'il me vit m'ôta toute inquiétude et emplit mon cœur de gratitude.

Je ne pus me retenir d'accourir à lui et le féliciter devant le regard interloqué de Mr Bingley qui semblait lui aussi d'une humeur enjouée.

– Il est tard, vous n'êtes donc pas couchée? Fit mon frère, les yeux rieurs.
– Comment le pourrais-je, sans avoir de vos nouvelles?
– Miss Darcy, je connaissais l'affection que vous portez à votre frère, s'amusa son ami, mais j'ignorais qu'il puisse vous manquer tant après quelques heures seulement !
– Ne lui avez-vous encore rien dit? Demandais-je à Fitzwilliam.
– Je voulais que vous soyez la première informée, Georgie.
– Me dire quoi ? Nous interrogea Bingley, soudainement piqué de curiosité.

Flattée de son intention d'avoir gardé jusque là le secret, nous nous installâmes au salon pour écouter ce que mon frère avait à nous raconter. Et pendant que les hommes se versèrent un brandy, que je m'installais confortablement dans un sofa, serrant fort un coussin dans mes bras, impatiente et ravie.

La stupéfaction de Bingley m'apporta à elle seule la satisfaction d'avoir patienté toute la soirée.
Ainsi donc, comme je l'avais deviné, Miss Elisabeth n'a point repoussé mon nigaud de frère et, bien au contraire, lui a avoué les sentiments qu'elle lui vouait.
Elle a dit oui!
Comme je suis heureuse pour lui ! Après des mois à se morfondre, une seule conversation a suffi à le rendre à présent détendu et épanoui.

Bingley ne cessait de le questionner, se levant de son siège, faisant les cents pas, gesticulant en tous sens. Cet amusant spectacle témoignait du bonheur sincère d'un véritable ami qui prenait conscience petit à petit qu'ils seraient bientôt frères. Il s'étonnait de n'avoir rien décelé, taquinait Fitzwilliam de ses cachotteries, s'extasiait sur les qualités des filles Bennet et se demandait comment réagirait sa douce Jane à cette extraordinaire nouvelle.

Le lendemain, ils repartirent en direction de Longbourn, Bingley avait promis de garder le secret jusqu'à ce que le nouveau fiancé ait obtenu l'approbation de Mr Bennet, ce qui semblait fort crisper le concerné.
Moi, je profitais d'un jour de plus de répit, avant de rencontrer la belle famille de mon frère que celui-ci m'avait dépeint comme fort bruyante, rustique et désordonnée.

Photographie de © Richard Jenkins

Orgueil & Conséquences Where stories live. Discover now