L'invitation

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Jane

Il y a deux jours de cela, nos fiancés ont rendu une visite inopinée chez les Gardinier où nous séjournons. C'était pour moi troublant de les voir pénétrer tous deux dans ce modeste petit salon empreint d'intimité familiale et de souvenirs heureux.

Charles, le sourire aux lèvres, salua chaleureusement l'assemblée, puis se dirigea d'un pas pressé et sur ma joue y poser un baiser. Je fus embarrassée qu'il ose une telle familiarité devant mes proches. Ma petite cousine Garance, juste à mes côtés, dans sa main se mit à glousser.

Mr Darcy, quant à lui, avait une certaine assurance de ceux qui connaissent déjà le lieu, parla à nos aînés avec aisance mais salua avec plus de timidité les enfants qui le dévisageaient. Il s'approcha enfin de Lizzie, la priant de rester assise, ses genoux encombrés de notre plus jeune cousin Arthur fraîchement endormi. Elle lui tendit avec grâce sa main qu'il embrassa avec complicité.

L'étroite pièce devint vite animée et la gouvernante fut appelée pour emmener les enfants s'amuser dans la pièce à côté.

À entendre notre oncle relater à Charles leurs souvenirs de pêche à Pemberley et Mr Darcy s'enquérir de la famille de notre tante, je me pris à regretter de ne pas avoir accompagné Lizzie lors de ce périple dans le Derbyshire cet été.

Mais je n'eus pas le temps de m'apitoyer que déjà Charles se racla la gorge et sans préambule nous annonça joyeusement qu'ils avaient une surprise à nous annoncer.

Darcy nous invite à l'opéra !

Une clameur, des « oh » et des « ah » retentirent. Mr Darcy précisa que notre oncle et notre tante étaient évidement invités à jouer les chaperons pour la soirée. Il prit le temps de répondre à toutes nos questions, le jour, l'heure, l'œuvre qui sera jouée et qu'il disposait d'un grand balcon pour tous les invités.

Miss Darcy nous accompagnera t'elle également? Demanda Lizzie
Si cela vous convient, Elisabeth.
Évidemment ! Je serais enchantée qu'elle soit à nos côtés ! Elle qui adore tant la musique. Lui répondit-elle, sincèrement ravie.

La nouvelle nous enchantait. Jamais nous n'avions eu, Lizzie et moi, l'occasion d'entrer à l'opéra, encore moins pour y voir jouer et depuis un balcon de surcroît. Je me sentis flattée de l'invitation même si je me doutais que c'était à Lizzie qu'elle était initialement destinée.

Nous en parlâmes toutes deux dans notre chambre le soir même, imaginant lieu, le sujet de la pièce et les nobles personnes que nous risquions de rencontrer. Je ressentais conjointement de l'impatience et de la gêne, Lizzie, elle, exprimait surtout sa curiosité.

Je prenais conscience de la chance que nous avions d'être ainsi choyées, ma cadette gardant pour elle son ressenti, plus silencieuse qu'à l'accoutumée. Je présumais que l'entretien qu'elle a eu en aparté avec son fiancé devait encore la troubler.

Mais à sortie exceptionnelle, bien vite nous comprîmes que devaient l'être également les tenues que nous allions porter. Rien de ce que nous avions emporté à Londres ne convenait aussi nous trouvâmes avec l'aide de Mrs Annesley une solution à cet extrême délai.

Parmi les nombreuses robes que nous avions récemment commandé, deux des plus élégantes furent choisies et une amie de notre tante, fine couturière, fut appelée en urgence pour les accommoder. 

Afin de parer au plus pressé, la pragmatique Miss Darcy eut l'idée de réquisitionner le salon de Darcyhouse où on y disposa des paravents, ainsi essayages, couture et bavardages pouvaient aisément s'y dérouler en présence de Mrs Annesley toujours indisposée. Miss Darcy, entre deux répétitions de piano pouvait, de cette manière, nous rejoindre et donner son avis.

Je ris lorsqu'elle nous raconta comme elle avait donné congé à ces messieurs, les priant de ne rentrer qu'en fin de journée. Elle nous décrivis avec beaucoup de taquinerie la moue de son frère face à cette audacieuse demande. Ce fut un moment drôle et exquis. J'apprécie grandement la présence de Miss Darcy, ou peut-être devrais-je dire Georgiana, comme elle souhaite de nous être appelée.

Concernant ma tenue, d'un premier abord, je n'étais guère convaincue par le choix d'apposer des manches gigots sur cette petite robe de taffetas de soie, je craignais que cela fasse trop démesuré, mais les dames présentes m'ont certifié que cela se portait dans la haute société. J'ai donc cédé car elles avaient bien plus d'expérience que moi. On y ajouta également quelques ornements dans le bas. 

Lizzie, elle, débattais avec la couturière, un illustré à la main, montrant ce qu'elle souhaitait obtenir. Jamais oh grand jamais je ne l'avais vu prendre part à un essayage avec autant de détermination ! Elle, qui d'ordinaire se contente d'une tenue pratique et confortable et évite les coquetteries extrêmes, voici qu'elle s'affairait comme si sa vie en dépendait. Mère serait très fière d'elle si elle la voyait !

Et alors que je l'observais avec étonnement, ma tante vint s'assoir à mes côtés.
Notre Lizzie semble très investie dans cette activité !
C'est tout juste si je la reconnais, confirmai je. Puis je lui avouais tout bas : Oh ma tante, je suis inquiète ! Tout ceci n'est-il pas excessif ? Ne dépassons-nous pas le budget de Père? Je crains qu'il ne restera plus rien pour nos sœurs encore à marier!

Ma tante posa sa main sur la mienne.
Oh chère Jane, vous êtes, ma foi, bien naïve si vous croyez cela. Vous me faite penser à une oie blanche qui s'apprête à être lâchée en pleine basse-cour ! Ne vous tourmentez pas pour votre père, il a discuté avec vos fiancés avant votre départ et tout est arrangé.
Que voulez-vous dire? dis-je atterrée. Aurait-il osé réclamer à Charles et Mr Darcy de participer?
Non voyons, me fit elle en souriant, l'initiative ne vient pas de votre père mais de vos fiancés eux-même ! Même si j'imagine aisément que cette situation doit soulager grandement Mr Bennet. Puis elle ajouta : Entre nous, je ne serais guère surprise que l'idée soit entièrement de Mr Darcy !
Cela n'est-il pas embarrassant?
N'y voyez aucun affront ou entorse à la bienséance, Jane. En agissant de la sorte, ces messieurs vous font ainsi preuve de l'affection qu'ils vous portent. Ils sont visiblement conscients de votre situation et de celle qui sera bientôt la vôtre en vous épousant. Ils remédient juste, à leur manière, à quelques manquements afin que vous soyez prêtes.

Ma tante s'éclipsa pour parler à son amie qui avait fini les essayages de Lizzie. Cette dernière était pensive devant la fenêtre donnant sur le jardin,  petite manie qu'elle a toujours eu lorsque son esprit préfère être au dehors qu'entre quatre murs. Je me suis approchée d'elle en songeant qu'avant de nous coucher, j'aimerai bien connaître ses pensées.

Je lui fis remarquer gentiment qu'il n'était pas convenable d'ainsi se poster devant une baie si légèrement vêtue. De fait, elle ne s'était pas encore rhabillée et ne portait que sa brassière au dessus de sa simple fine chemise. Comme elle ne réagissait pas, je la questionnais:
À quoi pensez vous Lizzie?
Je me demandais quelles couleurs allaient avoir ces rosiers palissés en plein été.
Dubitative, je dirigeais mon regard là où allait le sien sur ce jardin de ville entouré de hauts murs. Je ne suis pas experte comme elle en ce qui est des plantes et je ne voyais que des haies rigoureusement taillées, des arbustes sans feuilles et un tapis aux couleurs d'automne.

C'est alors que le portail du fond de ce jardin s'ouvrît soudainement et deux hommes à la stature familière le franchirent d'un pas assuré. J'observais mon fiancé, frappant des bottes le sol afin d'en ôter la boue, puis réajuster sa redingote. Je savais qu'il avait volé mon cœur depuis longtemps mais la simple vue de Charles en cet instant me confirmait combien je l'aimais.

C'est alors que Mr Darcy leva les yeux en notre direction et nous sursautâmes toutes deux. Je cru détecter un petit sourire en coin alors que Lizzie s'était reculée en toute hâte les bras croisés, tentant de cacher mais trop tard son impudeur.

Orgueil & Conséquences Where stories live. Discover now