L'étalon

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John

Mère m'avait de nouveau contraint à assister à un évènement public, un de plus dans le calendrier bien chargé de mes obligations. Un devoir de ma nouvelle condition, selon ses dires. Cependant, je n'ai guère le souvenir que Père ait un jour assisté à pareilles mondanités.

Mais cette sortie était moins pour le goût des arts et le plaisir des oreilles que pour se montrer et me présenter à toute la société, immanquablement qualifiée de bonne, noble et titrée. Quelle mère ayant une fille en âge de se marier ne m'a t'on pas présenté ?

Je me sens comme un étalon dans une vente aux enchères de purs sang. On m'inspecte, on y admire ma santé et ma crinière, on flatte ma prestance, on s'épanche sur mon pedigree, mon titre, ma généalogie et sur ma récente fortune, cela s'entend.

Mère ne semble faire peu de cas de son veuvage et de la longue période de deuil qu'il sied de respecter. Une seule obsession la traverse : me voir marié. Mais demande t'on à un cheval ce qu'il souhaite?

J'étais là, perdu dans mes pensées, n'écoutant que d'une oreille les palabres des mères qui s'agglutinaient autour de la mienne et des jeunes filles qui ne faisaient que minauder.

C'est alors que je reconnus dans l'assemblée un charmant petit couple, à l'image même de la simplicité et de la tendresse. Ils montaient le large escalier d'honneur, accompagné d'un homme plus âgé. Ils étaient tous trois visiblement impressionnés par les lieux ornés de sculptures dorées, la profusion de coiffures à plumes, la foule et le brouhaha qui régnait. Personne ne prêtait attention à eux et, d'une certaine manière, je les enviais.

Je m'approchais d'eux afin de m'offrir un petit interlude et les saluais en regrettant presque de les déranger. Mr Bingley m'offrît le sourire le plus franc et sincère que cette assemblée pouvait comporter. Sa fiancée Miss Bennet me fit une timide révérence et me présenta son oncle qui les chaperonnait.

Je lui ai demandé des nouvelles de Mrs Annesley et j'appris qu'elle souffrait d'une vilaine entorse et devrait éviter de se déplacer.
J'ai pensé lui rendre visite mais j'ai crains que cela ne soit pas approprié.
– Je pense qu'elle sera flattée de l'apprendre, Mr le Comte, fit Miss Bennet. Elle est reconnaissante de ce que vous avez fait.
– Je suppose que ce soir elle tient compagnie à sa protégée. Tentai-je à tout hasard, afin d'en savoir un peu plus sur cette dernière.
Oh non, Miss Darcy ne devrait pas tarder à arriver, en compagnie de son frère et de sa fiancée, fit spontanément Mr Bingley.

La perspective de croiser Miss Darcy à l'opéra rendait cette soirée soudainement bien plus supportable et je me retenais pour ne pas diriger mon regard vers l'entrée.

Cette demoiselle a un je-ne-sais-quoi qui la rend différente. La façon dont elle a pris la défense de ses amies l'autre jour avec aplomb et mots choisis l'a rendu à mes yeux bien plus intéressante que toutes les péronnelles que mère me présente. Elle a une grâce naturelle et ne fait pas de coquetteries en ma présence. Il me tarde de faire avec elle plus ample connaissance.

Avez-vous obtenu hier ce que vous désiriez ? me demanda Mr Bingley en me faisant sortir de mes pensées.
Effectivement, lui répondis-je en lui rendant son sourire de connivence. Nous ne pouvions en dire d'avantage devant Mr Gardinier et sa nièce.

Mr Bingley faisait allusion à notre rencontre fortuite au Boodle's club la veille. Je comptais alors les heures dans un endroit nommé, à juste titre, « the purgatory », une pièce austère, bardée de bois sombre, à l'entresol de l'immeuble du célèbre club. C'est la pièce où l'on fait patienter chaque postulant avant de le faire passer devant un jury qui détermine s'il est digne de faire partie des éminents membres.

À mon arrivée, deux autres hommes peu loquaces attendaient leur tour.
C'est plus tard qu'apparut Mr Bingley, agité et intimidé.

Oh, Bonjour Mr le comte! Je ne m'attendais pas à vous voir ici !
– Moi de même Mr Bingley ! J'aurai cru que vous en faisiez déjà partie.
– L'occasion ne s'était pas présentée. Je vous avoue que je me sens quelque peu nerveux.
– Je ne me sens guère assuré également.
– Vous me faites marcher, Mr Le Comte !
– Aucunement, dites-moi, qui est votre parrain ?
– Mr Darcy me fait cette faveur, dit-il fièrement.
– Alors avec le parrainage d'un tel membre, vous n'avez rien à craindre.
– Pensez-vous ? Je ne suis pas comme vous, je n'ai ni titre ni grosse fortune. Sans l'amitié de Darcy, je ne serais personne.
– Mais la réputation de Mr Darcy n'est plus à faire. S'il vous a accordé son amitié c'est que vous être quelqu'un qui le mérite. Je ne le connais pas personnellement mais on m'a dit qu'il valait mieux être parmi ses amis que ses ennemis. Et qu'il peut être aussi méfiant en affaire qu'il est fidèle en amitié, à condition de ne pas la perdre. Il opina de la tête.
– Et vous, Mr le Comte, pourquoi craignez vous que votre candidature ne soit pas acceptée ? Votre nom et votre titre doivent à eux seuls, j'imagine, vous ouvrir bien des portes !
– Mon nom et mon titre, comme vous dites, risquent bien de me fermer plus de portes que d'en ouvrir, surtout celles de ce club.

Il était rafraîchissant de parler avec un homme n'ayant aucun apriori et que la société n'avait pas encore pervertie. Il me parlait sans me juger, sans cérémonie, essayant de me connaître comme le ferait un ami.

Je lui expliquais donc en toute franchise avoir hérité d'un nom bien lourd à porter. Celui de feu mon père, qui avait, hélas, un caractère bien tranché. Il se retournerait dans sa tombe s'il voyait son hériter tenter de devenir membre de ce club aux idées avant-gardiste et humanistes, à l'opposé de celles qu'il prônait dans le club dont il était administrateur. Nous ne pûmes converser plus longtemps car je fus appelé et je n'ai plus revu Mr Bingley par la suite.

John. John? John!
Mr le Comte, il semble que l'on vous appelle, fit Mr Gardinier en dirigeant ses yeux par dessus mon épaule.

Je me retournais lentement vers la voix caractéristique de ma mère. De loin, je pouvais remarquer combien elle dénotait, sévère et toute noir vêtue parmi toutes ces couleurs chamarrées et emplumées qui l'encerclaient. Ses yeux à eux seuls suffisaient à me faire comprendre son exaspération et il me fallait, à mon grand regret, la rejoindre pour éviter que tout le reste de la soiree soit reproches et fulmination.

– Messieurs, mademoiselle Bennet, il me faut vous laisser. Madame la Comtesse a probablement d'autres prétendantes à me préconiser et il est temps pour moi de rejoindre le poulailler!
Je fus moi-même surpris de l'audace dont je faisais preuve en disant tout haut mes pensées mais cela eut le mérite de faire rire les personnes dont je prenais congé.

Orgueil & Conséquences Where stories live. Discover now