La question inattendue

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Mr Bennet

Lorsque cet homme a demandé à me rejoindre dans le bureau ce soir-là, j'étais bien loin de me m'imaginer la teneur de la conversation que nous allions avoir.
Ce Mr Darcy, que j'ai toujours qualifié de hautain, au regard dédaigneux et aussi jovial qu'un croque-mort, s'est présenté à moi sous une toute autre facette dont j'ignorais qu'il puisse en être pourvu.

Il se tenait devant moi de toute sa hauteur, intimidé et nerveux, regardant les lattes du parquet comme un petit chenapan qui aurait fait une bêtise et attendrait d'être réprimandé.
Cette idée me fit sourire ce qui sembla davantage le décontenancer... et ce pour mon plus grand plaisir. Quelle bêtise allait-il donc m'avouer ? Avait-il chapardé une cuillère en argent? Déchiré le journal du jour? Cueilli une fleur de mon jardin?

Voyant qu'il n'osait prendre la parole, je pris les devants.

– Mr Darcy, je vous écoute. Qu'avez-vous donc à me confesser? Dis-je les mains jointes en tâchant de garder un air sérieux.

Il leva vers moi des yeux écarquillés, cherchant visiblement à savoir si j'osais me moquer de lui.

Cette petite comédie devenait plus divertissante encore. Voir ce fier monsieur, qui serait, paraît-il, à lui seul propriétaire de la moitié du Derbyshire, se tenant face à moi dans cette attitude penaude, il y avait vraiment de quoi se délecter !

– Mr Bennet, je... je vous demande, non j'implore...
– Mon pardon? Continuais-je, amusé. Qu'est-ce que le maître de Pemberly aurait donc besoin de se faire pardonner?
– Pemberley, me corrigea t'il spontanément. Mais non, je ne pense pas avoir besoin d'être pardonné, enfin je l'espère...
– Alors en quoi puis-je vous être utile? Je doute fort que je possède une chose que vous ne puissiez vous offrir. Un conseil du vieux fou que je suis peut-être ?

Ce petit jeu était décidément bien drôle tout comme le visage de mon interlocuteur, jusqu'à ce que...

– Mr Bennet, j'ai en effet quelque chose de très précieux à vous demander et que vous seul pouvez m'offrir. Consentez-vous à m'accorder la main de votre fille? Déclama t'il d'une traite, suivi d'un grand soupir et d'une inclination de respect.

Un silence se fit dans le bureau.

– Laquelle? Fis-je surpris, en me demandant bien laquelle de mes trois demoiselles encore libres avait pu lui taper dans l'œil.
– Élis... Miss Elisabeth, monsieur. Se reprit t'il, aussitôt.

Je me redressais dans mon siège, étourdi à ce prénom. Elisabeth? Ma Lizzie? Je pris soudain conscience du sérieux de la situation et des conséquences que produiraient ma réponse sur la vie de Lizzie et la mienne désormais.
Je regardais avec un œil nouveau mon interlocuteur qui n'avait plus rien d'un garnement mais d'un homme qui s'estimait légitime d'enlever loin de moi ma fille adorée.

– Mr Darcy, êtes-vous sérieux? Demandais-je en dernier espoir.
– Le plus sérieux du monde, monsieur. J'aime votre fille et souhaite l'épouser.
– Auriez-vous commis une chose qui obligerait cette union? Je vous préviens, Mr Darcy, si l'honneur de ma fille Lizzie a été entaché...
– Non, non, Mr Bennet ! N'ayez crainte ! Rien de tout cela. Je puis vous rassurer que je n'ai rien tenté qui puisse nuire à sa réputation!
– J'aime mieux cela...

Il y eu un nouveau silence durant lequel nous nous sommes observés, essayant de nous déchiffrer l'un l'autre.

– Êtes-vous sûr de vouloir épouser Elisabeth? Ne prenez pas mal ce que j'ai à vous dire, mais je tiens à vous rappeler qu'il y a de cela près d'un an, vous vous êtes exclamé devant mes proches qu'elle n'était point plaisante à regarder ! Durant tout votre séjour parmi nous, vous n'avez rien fait pour vous montrer agréable. Puis, vous êtes parti sans préavis en emmenant avec vous votre bon ami Bingley. Ensuite vous revenez après tout ce temps et, en à peine deux jours, vous tombez soit disant amoureux de ma fille et voulez l'épouser ? Comprenez ma perplexité !

Il poussa un discret soupir et ferma un instant ses yeux.

– Je comprends parfaitement votre étonnement, Mr Bennet, et à votre place, j'aurai réagi probablement comme vous. J'ai commis l'impardonnable erreur d'émettre un jugement envers votre fille sans même daigner y poser mes yeux. Mais dès l'instant où j'ai pu apprendre à la connaître, j'ai découvert la jeune femme exceptionnelle qu'elle est réellement.

– Sur ce point je ne vous contredirais pas mais... la connaissez-vous vraiment? Je veux dire, vous devez sûrement rencontrer à la capitale bon nombre de jolies femmes coquettes et bien mieux nées.
– Certes, mais aucune n'égale Miss Elisabeth.
– C'est à dire?

C'est là que j'aperçus une petite étincelle dans ses yeux lorsqu'il m'énuméra, le sourire aux lèvres, les nombreuses qualités de ma Lizzie. Il semblait bien mieux la connaître que je ne l'imaginais.

– Miss Elisabeth a une vivacité d'esprit, elle est intelligente et futée, elle a un grand sens de l'humour et est très cultivée. Elle est généreuse envers ses proches et ses amis. Elle est déterminée, franche, honnête et vertueuse. Elle n'est point vénale et aime les choses simples. Sa beauté est naturelle et n'a pas point besoin d'artifice pour la mettre en valeur...

Je compris à ses mots qu'il était effectivement éperdument amoureux de Lizzie et cela probablement depuis un bon moment. J'eus un serrement au cœur de penser qu'un autre homme que moi pouvait ainsi l'apprécier.

– Mr Darcy, vous êtes un homme fortuné, héritier d'un très beau domaine paraît-il et, qui plus est, vous avez de la noble famille. J'imagine qu'à vos côtés Lizzie ne manquerait jamais de rien et que vous sauriez la couvrir de présents. Néanmoins, pensez-vous que votre mode de vie, bien au-delà de celle qu'elle a toujours connu, puisse lui convenir? Soyons honnête, je connais ma fille, elle n'a point les manières des grandes dames de la ville, elle aime marcher dans les champs et dire tout haut ce qu'elle pense. Ne risque t'elle pas les railleries des vôtres?

– Je suis conscient que la vie que j'ai à lui offrir ne sera pas sans défaut et je ne peux vous promettre qu'aucune critique ne lui sera faite. Mais justement, je suis convaincu qu'Elisa... que Miss Elisabeth est amplement armée pour y faire face. Elle a suffisamment de répartie pour se défendre. Et je pense sincèrement qu'elle a toutes les qualités requises pour faire une excellente maîtresse de maison. Elle est passionnée et ne semble guère hésitante face aux défis de la vie. Quant à la campagne, je l'apprécie moi aussi bien mieux que la ville!

– Hum... C'est bien joli tout cela mais que pense Elisabeth de vos sentiments? Lui, avez-vous avoué ce que vous ressentez pour elle? Car, comme vous le dites si bien, elle peut se montrer obstinée et fière, et - excusez mes propos s'ils peuvent vous heurter - lorsqu'elle parle de vous ce n'est guère toujours de la manière la plus courtoise !

Ah ma grande surprise, il sourit béatement.

– Vous avez parfaitement raison, cependant nous avons, à présent, tous deux fait du chemin. Miss Elisabeth connaît parfaitement la teneur des sentiments que je lui voue ainsi que le souhait que j'ai de l'épouser. Elle m'a fait l'immense bonheur d'accepter. Nous n'attendons désormais plus que votre consentement.

– Mmmmh ! Ainsi, elle a dit oui? J'ai beau lutter, il est vraiment difficile de vous refuser quelque chose Mr Darcy, le savez-vous ? Loin de moi l'idée de mettre en doute votre parole, néanmoins j'aurais besoin de l'entendre de sa bouche avant d'accepter votre requête. Voyez-vous, ma Lizzie est mon trésor le plus précieux et c'est pour moi un sacrifice de m'en séparer pour un autre homme, aussi respectable et fortuné soit-il.

Il s'éclipsa pour aller chercher Lizzie qui apparut aussitôt à la porte. Ce qu'elle me conta en tête à tête ne fit que me démontrer ce que je venais de comprendre mais n'osais encore avouer.

Mr Darcy n'est décidément pas l'homme que nous pensions tous. Non seulement d'avoir volé le cœur de ma fille et lui avoir offert le sien, j'appris de la bouche de ma douce Lizzie qu'il n'était pas celui que Wickham nous avait dépeint. Que grâce à lui, Lydia avait retrouvé sa respectabilité, que des dettes avaient été réglées et que je n'aurais probablement jamais à les rembourser.

J'ai toujours songé qu'il ne devait exister en Angleterre aucun homme assez bien pour Elisabeth. Qu'aucun n'aurait toutes les qualités des héros de ses romans, qu'aucun ne la mériterait et la supporterait en même temps. Il semble que je me sois trompé.

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