🌲 Chapitre 11.4 🌲

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D'autres années passent, accompagnées de leur lot de découvertes et de rencontres. Parfois bonnes, parfois mauvaises, mais Soarën s'en tire toujours indemne. Bien des fois, ce sont ses Compagnons qui lui sauvent la mise. N'étant que de simples animaux, ceux-ci auraient dû mourir depuis longtemps, mais l'étrange magie ancestrale qui les unit joue sur leur longévité. Malgré le temps qui passe, Discorde et Funest demeurent au sommet de leur forme, toujours aussi vaillants et joueurs qu'au premier jour. Suivant l'ordre naturel des choses, leurs forces décroîtront peu à peu avec celles de Soarën, lorsque celui-ci s'affaiblira et mourra. Mais ils ont encore quelques siècles devant eux avant que ce jour n'arrive.

Cela fera bientôt cinq décennies que le Traqueur a quitté les siens et fui sa forêt de Telendriss pour préserver sa vie et celles de ses Compagnons. Alors qu'un anniversaire bien particulier approche, celui de ses cinquante ans passés à déambuler à travers Mystis, Soarën se sent envahi d'un étrange sentiment de nostalgie. Le soir, avant de s'endormir, il pense régulièrement à ses parents en espérant qu'ils vont bien. Il se demande comment s'est déroulé le mariage de ses amis Dyntaëll et Ötellan. Il songe à Arëndrill Sylla'seth. Est-il toujours Maître de la caste des Traqueurs, ou bien a-t-il cédé sa place ? Pas à cet idiot de Nemen, il l'espère... Et les autres apprentis, que deviennent-ils ?

En réalisant ensuite qu'il va bientôt fêter ses trois cents ans, Soarën sent une perplexité inattendue s'abattre sur lui. Il aurait dû rencontrer son Compagnon cette année. Il n'en est qu'au balbutiement de son existence : les Elfes comme lui peuvent vivre deux ou trois millénaires, voire davantage. Va-t-il encore passer des siècles à errer sans but dans le royaume de Mystis ? Au village de Telendriss, les Elfes se cantonnent à leurs obligations de caste, les Maîtres transmettent leurs savoirs... chacun a son rôle à jouer, jusqu'à sa mort. Mais lui ? Quel est son destin dans le vaste monde ?

La question lui donne le tournis. Il n'a aucun objectif, aucun but. Son seul désir était de succéder à Arëndrill en tant que Maître Traqueur. Mais ce rêve lui a échappé pour devenir inaccessible. La seule traque de sa vie qui jamais ne sera couronnée de succès... Même la perspective de se rapprocher d'une puissance quelconque, qu'elle soit humaine ou non, pour exercer ses talents de Traqueur sous une bannière au nom de valeurs qui lui correspondent ne l'intéresse pas. Oui, il s'octroiera ainsi une existence stable, paisible et ennuyeuse pendant quelques décennies. Et après ?

Au fond de lui-même, Soarën sait bien quel est son désir le plus cher. Il le ressasse, encore et encore, au fur et à mesure que les jours passent et qu'il se dirige vers l'est de Mystis. Il a entendu dire récemment que la région de Brille, au bout des plaines d'Estet, subissait des attaques de créatures étranges et demande l'aide d'aventuriers et de mercenaires. Il est en route depuis plusieurs jours, après avoir quitté Obwald le cœur serré, délesté d'une fleur blanche qu'il a été déposer sur la tombe de Petra. Il ne sait pas s'il retournera un jour dans le petit village de mineurs des Steppes. Il n'y connaît plus personne. Le temps est bien cruel.

Son désir le plus cher, mais qu'il s'applique à refouler dans les tréfonds de son cœur et de son âme, est de rentrer chez lui, dans la forêt de Telendriss. Sa famille et ses amis lui manquent. L'Érable Géant lui-même lui manque. Soarën rêve de retrouver un endroit accueillant et chaleureux, où des gens l'attendent. Un lieu immuable qu'il peut nommer son chez-lui. Soarën rêve d'un foyer protecteur et rassurant. Tout ce que la présence de Discorde et de Funest lui a ôté... Mais d'un autre côté, il ne regrette pas. Il a vécu tant de choses à leurs côtés, il les aime tellement. Comment pourrait-il en vouloir à ses deux Compagnons d'exister ?

Oui, il y a toujours cette ombre menaçante qui a élu résidence en lui et qui le guette dans les ténèbres. La folie l'a parfois repris, rarement. Moins d'une dizaine de fois en cinquante ans. Toujours lorsqu'il était seul, et que ses Compagnons se trouvaient en danger, voire blessés. Il n'y a jamais eu aucun témoin. Tant que cela restera ainsi, tout ira pour le mieux.

Soarën [MYSTIS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant