🌲 Chapitre 5.2 🌲

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Les Elfes se saluent, puis quittent un à un le Firmament. Plutôt que de rentrer chacun chez soi par la voie des airs, Arëndrill et Ylendar descendent au bas du pin géant et effectuent un bout de chemin ensemble, à pied. Aucun ne parle pendant un moment. Ils sont murés dans un silence patient et attentif, occupés à guetter dans les hauteurs les silhouettes sombres des autres Maîtres et des Anciens. Lorsque leurs treize camarades s'en sont allés, alors ils se permettent de mener leur conversation – à voix basse, cependant.

— Je n'arrive pas à croire que certains d'entre eux songent réellement à bannir Soarën du village...

— Ils ont peur, Ylendar, et tu sais comme moi que ce sentiment peut entraîner d'irréparables erreurs. Mais ils ne sont animés d'aucun ressentiment personnel envers ton fils. Seulement, la sécurité du village passe pour eux avant toute autre chose. Ils préfèrent sacrifier en vain une seule vie pour notre communauté que de risquer la perte de dizaine d'autres.

— Parle-moi en toute honnêteté, Arëndrill, demande le Maître Artisan. Toi qui es mon ami depuis des centaines d'années et que je considère comme un second père pour Soarën. Entends-tu te plier aux exigences du Conseil ?

— Tu sais bien que malgré mon statut de Maître, il en ira de mon propre sort au village si je vais à l'encontre de ses volontés, lui rappelle gravement Arëndrill, le regard soucieux. Néanmoins, rien n'a été décrété quant à la discrétion de cette tâche. Rassure-toi mon ami, je ne compte pas prendre ton fils en traître. Edwyn et moi le surveillerons, certes, ainsi qu'il nous a été demandé. Mais j'avertirai Soarën de ce suivi avant toute chose. C'est le moins que je puisse faire pour lui.

— Je lui en parlerai aussi, murmure Ylendar.

Il s'apprête ainsi à transgresser l'une des règles élémentaires du Conseil, mais il n'en a cure. Son fils a le droit de savoir qu'un étau commence lentement à se refermer sur lui, menaçant d'entraver sa liberté. Le regard d'Ylendar s'obscurcit de tristesse. Il sait bien à quel point susciter l'admiration de ses pairs est une nécessité vitale pour Soarën. Mais tout le village est au courant qu'il a obtenu non pas un, mais deux Compagnons, et ce avant l'âge habituel. Il sera regardé avec curiosité, peut-être de travers. Et Wythir Farleth, empli de rancœur et de méfiance, enseignera sûrement dès demain à ses élèves une ancienne légende des terres de l'Est parlant d'un démon fou à deux Compagnons...

Après ce soir, la vie de Soarën ne sera plus jamais la même.

Les deux Elfes parviennent à l'intersection où leurs chemins se séparent. Au loin se dresse le Bosquet que regagne Ylendar, tandis qu'Arëndrill préfère passer ses nuits dans son creux personnel, à l'Érable géant. Mais avant qu'il ne se quittent, le Maître Artisan retient son ami pour quelques instants encore.

— Arëndrill, je vais être franc avec toi comme tu l'as été avec moi. Les blessures de Soa sont graves et il mettra du temps à s'en remettre. Ne t'attends pas à le voir regagner les rangs de tes apprentis dès demain.

— C'est entendu.

Le Maître Traqueur a hoché la tête, mais ne tourne pas les talons pour autant. Envahi d'un pressentiment, il fixe son ami, attendant une suite qui tarde à venir. Qu'importe. Son instinct ne le trompe que rarement sur ce genre de choses.

— Que ne m'as-tu pas dit, Ylendar ?

La mâchoire de celui-ci se crispe.

— Je ne veux pas donner raison à cet imbécile de Wythir...

— ... et pourtant, ce que tu te refuses à me révéler abonde en son sens. N'est-ce pas ? devine aisément Arëndrill.

Il hausse un sourcil interrogateur et attentif. Ylendar soupire, résigné.

Soarën [MYSTIS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant