Soarën [MYSTIS]

🌲 Chapitre 1.1 🌲

Un grincement fait frémir quelques oreilles pointues. Les yeux bandés, mais tout le reste de leurs sens aux aguets, les jeunes Elfes patientent, ainsi qu'il leur a été demandé. Un battement d'ailes suivi d'un piaillement de protestation leur indique que leur tuteur a attrapé entre ses doigts agiles l'oiseau prisonnier.

Rossignol.

Le mot file parmi eux comme une flèche sous les frondaisons. Malgré leur jeunesse, certains sont déjà capables de repérer par le son chaque résident de la forêt de Telendriss. Ceux-là deviendront sûrement Chasseurs, Traqueurs ou Veilleurs ; ils ramèneront au village de quoi manger, ou assureront la surveillance et la sécurité de leur domaine sylvestre.

Nouveau son de plumes ébouriffées, et le chant de l'oiseau solitaire se fait tout à coup plus distant. De nombreuses têtes aux chevelures majoritairement claires se penchent. Elles pivotent de quelques millimètres, et les longues oreilles tressaillent pour tenter d'identifier la direction empruntée par le fuyard ailé. Mais leurs perceptions auditives sont troublées par une voix bourrue, qui se moque gentiment d'eux.

— Dites donc, les jeunes, qu'attendez-vous ? De vous enraciner ?

L'invective en fait sourire quelques-uns. D'autres élèvent déjà les mains pour ôter l'étoffe qui leur cache la vue, mais leur tuteur les interrompt aussitôt.

— Oh que non. Un Traqueur doit savoir mener une chasse à bien en toutes circonstances, même si l'un de ses sens primaires lui fait défaut. Allez, du nerf !

Un léger brouhaha de surprise émane du groupe d'Elfes, mais aucune voix ne proteste plus fort que les autres. Il faudrait être fou pour oser remettre en cause l'enseignement atypique mais essentiel du Maître Traqueur Arëndrill Sylla'seth. Les plus mal à l'aise choisissent de prendre leur temps et s'accroupissent. Une main posée au sol, ils inspirent profondément, cherchant à affûter leurs sens pour se rappeler de l'odeur du passereau, du son de ses battements d'ailes, du goût de ses plumes dans l'air et du léger souffle de vent qu'il laisse derrière lui en vol. Une dizaine d'autres Elfes ont déjà bondi. Les assurés et les casse-cous ont gagné les hauteurs et virevoltent entre les branches et les troncs comme s'ils y voyaient clairement. Les prudents leur préfèrent le déplacement terrestre, perturbés par l'obscurité lumineuse qu'ils perçoivent derrière leurs paupières closes.

Parmi ceux qui ont choisi d'user de leurs talents d'acrobates, un en particulier prend la tête de cette étonnante battue. Les longs cheveux blond pâle de Soarën Sylkiann flottent dans son dos tandis qu'il bondit agilement de branche en branche. S'il se permet d'aller aussi vite, c'est qu'il connaît le village et ses alentours par cœur. Il a eu tout le temps d'apprendre : il est l'un des plus âgés de leur groupe et fêtera ses deux cents ans le mois prochain, lorsque juillet s'achèvera. C'est aussi l'un des plus doués. Il le sait et ne s'en cache pas.

Soarën sent à peine sous ses doigts l'écorce rugueuse du chêne sur lequel il a grimpé : le voilà déjà en train d'enserrer entre ses bras musclés une branche de bouleau. Il se penche, prend appui, saute et se réceptionne sur un autre arbre. Une seconde lui suffit pour identifier un chêne, de nouveau. Soarën faisait aussi partie des rares à avoir reconnu le gazouillis typique d'un rossignol. Il maîtrise tous les domaines qu'on leur enseigne, mais la traque est réellement sa discipline favorite. Son objectif du jour est clair : voir scintiller de l'approbation au fond du regard ambré de leur tuteur, le Maître Traqueur Arëndrill Sylla'seth, lorsqu'il se présentera face à lui, l'oiseau fugueur en main. Peut-être même de l'admiration ou de la fierté, s'il a de la chance.

Cette seule pensée le motive davantage que la course avec ses camarades. Les résultats sont de toute manière joués d'avance. C'est bel et bien sa rapidité qui fera toute la différence aujourd'hui, et qui lui vaudra félicitations et louanges. Soarën serait capable de s'en abreuver jusqu'à plus soif. Certains pensent que c'est l'un de ses défauts. Mais lui se dit que c'est un moyen comme un autre pour se pousser à devenir meilleur de jour en jour.