🌲 Chapitre 11.1 🌲

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De retour à Obwald à la fin de la journée, Soarën se rend à l'auberge, où il guette Leo avec fébrilité. En attendant que le mineur remonte à l'air libre, il descend bière sur bière, encore perturbé par les événements récents. Sa nature elfique l'aide à tenir l'alcool mieux que les Humains. Ainsi, lorsque Petra l'approche avec une moue interrogatrice, il se rappelle très bien de l'épineux problème que risque de poser leur relation et déglutit, doublement mal à l'aise. Mais à sa plus grande stupéfaction, elle éclate de rire lorsqu'il aborde le sujet avec appréhension.

— Oh, tu es bien le premier que je croise à t'inquiéter de ça ! lui apprend-elle en se perdant dans ses yeux d'améthyste. Tu es adorable, Soarën. Mais ne t'en fais pas, il n'y a aucun risque.

Petra lui explique que l'apothicaire d'Obwald utilise différentes plantes pour concocter des infusions et des potions aux effets particuliers. Certaines ont les capacités de bloquer la fertilité des femmes durant un certain laps de temps. Elle lui avoue en rougissant qu'elle s'en sert régulièrement. Soarën hoche la tête, rassuré et guère peu surpris d'apprendre qu'il est loin d'être le premier avec lequel elle batifole la nuit. Ils laissent derrière eux cet instant de malaise en échangeant un baiser fougueux et en se promettant de nouvelles heures de folies sensuelles une fois la soirée terminée. Mais alors qu'ils sont déjà en train de se laisser emporter, une voix bourrue et amusée les interrompt :

— Alors les jeunots ? Ça bosse pas beaucoup, à ce que je vois. Y'en a qui se tuent à la tâche là-dessous et qui ont faim, Petra !

La serveuse, qui commençait à glisser ses mains sous le haut de Soarën, s'interrompt aussitôt et se relève des genoux de son amant, le rouge aux joues. Elle balbutie des excuses, trouve quand même le cran d'adresser à l'Elfe une dernière œillade enflammée, puis retourne à son poste. Leo secoue la tête avec un léger rire, lui commande une bière au passage et s'assoit à la table de Soarën.

— Elle est de bonne compagnie, la petite, hein ?

Il acquiesce sans rien dire, la gorge serrée. L'arrivée du mineur lui a rappelé son but premier en revenant à Obwald : lui annoncer son échec cuisant. Toute l'après-midi, il a listé les différents scénarios possibles. Il s'est finalement décidé à mentir en disant qu'il n'est pas parvenu à trouver de Kisther malgré ses heures de recherches. Mieux vaut ne pas ébruiter les prémices de sa folie. Face à son aveu, Leo hausse les épaules, un brin déçu, mais nullement en colère.

— C'est pas grave, mon gars. Je sais bien que ces satanées bestioles se planquent comme ça devrait pas être permis. Merci quand même d'avoir tenté le coup... tiens, en dédommagement.

Des tapotements claquent sur le bois de leur table tandis que Leo y dépose deux petits cailloux gris, encore salis d'un peu de terre. Soarën les attrape entre le pouce et l'index et les élève devant ses yeux pour les examiner, sans avoir la moindre idée de ce dont il s'agit. Après tout, il n'est qu'un Traqueur, pas un Artisan ni même un Ressourcier.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Des pépites d'argent. Un forgeron pourra te les racheter ou t'en faire quelque chose d'utile.

— Je ne peux pas accepter, murmure l'Elfe, surpris de ce cadeau inattendu. Je ne vous ai pas ramené la fourrure de Kisther, comme c'était convenu...

— T'as quand même passé deux jours à le chercher, j'allais pas te faire crapahuter dans toute la région sans rien en retour, grommelle Leo en refusant de reprendre les minerais que Soarën lui tend. Puis ça va, c'est pas comme si on étouffait à longueur de temps en bas pour en sortir des chariots entiers.

— Merci...

— Pas de quoi, mon gars. Allez, détends-toi un peu avant que ta belle ne repointe son joli minois. Quelque chose me dit que t'as pas encore fini ta journée, toi, pas vrai ?

En réponse à son sous-entendu, Soarën rougit. Leo éclate de rire. Entre-temps, le reste de ses camarades mineurs est arrivé et a rempli l'auberge. Petra et ses collègues serveuses courent dans tous les coins de la salle. Comme deux jours plus tôt, le Traqueur passe une excellente soirée avec les villageois, qu'il termine ensuite au lit à savourer les caresses expertes de sa partenaire. Finalement, tout ne s'est pas si mal déroulé, et il s'endort une fois de plus dans les bras de Petra, comblé.

Le lendemain, avide d'exploration et de nouvelles découvertes, il prend congé des chaleureux habitants d'Obwald, fait ses adieux à sa belle serveuse et quitte l'endroit, prêt à parcourir les Steppes, et même tout le reste du royaume. Il est impatient de voir de ses propres yeux le moindre recoin de Mystis. Plusieurs jours passent avant qu'il n'atteigne un nouveau village. Là aussi, il enchaîne contrats réussis, soirées de débauche et nuits délicieusement agitées. Puis il part de nouveau en quête d'autres aventures, toujours plus loin de sa terre natale.

Les semaines, les mois puis les années s'écoulent ainsi. Soarën aime ce qu'est devenue sa vie. Il erre de village en village, dans toutes les régions de Mystis, évitant au maximum les grandes villes. Il s'y rend parfois, par curiosité, mais en ressort bien vite. L'ambiance est radicalement différente des petits bourgs de campagne dans lesquels il se plaît, et les métropoles trop étendues et si densément peuplées l'obligent à s'éloigner de ses Compagnons plus qu'il ne le voudrait. Cependant, chaque atmosphère de taverne ou d'auberge se ressemble. Soarën s'y retrouve et s'y plaît, même si toutes ne sont pas aussi chaleureuses et accueillantes que celle d'Obwald. Parfois, le récit de ses exploits elfiques agace les ivrognes et attire les jaloux. De temps à autre, une bagarre éclate. Il s'en tire toujours bien, mais avec le temps, apprend à modérer ses propos, et surtout à ne les partager qu'aux intéressées.

Sa grande sociabilité et son besoin d'être admiré demeurent pourtant les plus forts. Pour mieux s'intégrer, Soarën apprend à s'adapter aux comportements des piliers de comptoir. Toujours autant appréciateur d'alcool, il les calme d'une tournée générale lorsque les esprits s'échauffent trop. Il n'est pas rare que l'Elfe se retrouve avec une chope de bière à la main, à brailler à tue-tête des chansons paillardes en compagnie de parfaits inconnus, devenus sous le coup de l'ivresse commune ses meilleurs amis l'espace d'une soirée parmi tant d'autres.

Au fil des ans, il rencontre des centaines de personnes et découvre toutes sortes d'endroits. Une fois ses premières appréhensions passées, il fait connaissance avec les autres races du royaume de Mystis lorsqu'il croise certains de leurs représentants dans une taverne ou une auberge quelconque. Bien des fois, il se montre maladroit et commet quelques gaffes. Entre autres, il a notamment le malheur de vexer un Nain, qui tente de lui faire payer sa bévue en l'assommant d'un coup de tabouret. Cela déclenche une bagarre générale dans l'établissement où ils se trouvent. En constatant qu'ils sont les deux seuls à en ressortir indemnes, le Nain décrète finalement que l'Elfe n'est pas un mauvais bougre. Soarën est parvenu à gagner son respect, et pendant plusieurs mois, ils vadrouillent ensemble dans la région avant que leur duo ne se sépare, chacun porté par des intérêts différents.

Le Traqueur garde un excellent souvenir de cette coopération, qui lui a fait revoir tous les préjugés qu'on lui avait fourré dans le crâne à Telendriss. Les Nains sont loin d'être aussi grossiers, ivrognes et cupides qu'on les lui a toujours décrits. En tout cas, certains ne le sont pas plus que lui ! Quant aux Elfes Sombres, qu'il a mis du temps à approcher, ils n'ont rien d'êtres menteurs et maléfiques. Ce sont simplement des Elfes, que leurs légères différences avec ceux de Telendriss, leur couleur de peau et leur penchant naturel pour l'herboristerie et l'alchimie rendent victimes de stéréotypes parfaitement injustes. Mais au cours de ses voyages, Soarën a malheureusement pu constater que la xénophobie et la haine raciale sont monnaie courante à Mystis. En particulier chez les Humains ; cela le fait grincer des dents de le dire, mais c'est ainsi.

Sa manie d'aborder les étrangers avec aisance et de parler de tout et de rien avec des inconnus rend Soarën incroyablement ouvert et tolérant. Il a même fini par reconnaître le côté humain, et pas si différent d'eux, des Dracoïdiens, bien qu'il lui ait fallu quelques longues années pour cela. Plus aucun préjugé ne l'habite, et désormais, le racisme et les moqueries humiliantes le font grincer des dents. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'il provoque des esclandres aux endroits où il passe, pour défendre un individu quelconque victime de la xénophobie fatigante des Humains. Soarën ne se fait pas que des amis, assurément, mais toute cette injustice le met hors de lui. Notamment lorsqu'il songe à son village de Telendriss, où le Maître Enseignant répète aux jeunes Elfes à longueur d'année toutes ces bêtises et ces idées préconçues.

Soarën [MYSTIS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant