🌲 Chapitre 3.1 🌲

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Ses cours particuliers avec le Maître Traqueur durent pendant de longues semaines. Chaque soir, après leur journée de formation, ils se retrouvent dans le creux d'Arëndrill. Là, celui-ci sort de sa commode de nouvelles fioles d'ivoire dont il fait avaler le contenu à Soarën. Sa première expérience du genre a traumatisé le jeune Elfe, c'est pourquoi son Maître ne lui donne pendant un temps que des inhibiteurs partiels, dont la durée augmente progressivement. Il affronte ces moments avec fébrilité. La perte de ses sens lui donne l'impression qu'il lui manque une partie de son être.

La première semaine, il est uniquement privé de sa vue. Arëndrill le tranquillise en lui parlant tout du long, et l'entraîne à affiner ses perceptions même en étant plongé dans les ténèbres les plus profondes. La seconde semaine ne concerne que sa perte d'odorat. Puis les deux vont de pair. D'autres absences de sens s'ajoutent ensuite. Lorsque sa surdité momentanée est couplée à son aveuglement, Arëndrill Sylla'seth garde en permanence une main posée sur l'épaule de son élève, pour lui rappeler qu'il n'est pas seul. Au fil des mois, l'apprenti Traqueur parvient à surmonter sa phobie asensorielle.

Il tient malgré tout ces moments en horreur, et laisse échapper un profond soupir de soulagement le soir où Arëndrill Sylla'seth lui annonce la fin de ce calvaire. Il répugne toujours autant à être privé de ses sens, mais cela ne lui provoque plus de crises de panique ni d'incontrôlables moments d'hystérie comme ç'a été le cas la première fois. Désormais, il reste maître de lui, ou presque. Il sait bien que ces absences de sensations ne le font pas mourir pour autant. Mais l'inhibiteur de sens l'oblige toujours à se confronter à son monde intérieur, et à cette voix qui le dévalorise. Il n'en a toujours pas parlé au Maître Traqueur. Ce problème ne concerne que lui.

Dyntaëll ne tarde pas à remarquer que ses soirées sont à présent libres et invite Soarën à les accompagner à la Brasserie à la fin de leurs journées. Le jeune Elfe accepte régulièrement. Ils y retrouvent d'autres apprentis, auxquels ils se mêlent assez peu. Lorsqu'il l'aperçoit, Ötellan adresse parfois un signe de main à Soarën depuis un coin ou l'autre de l'Œuvrebois ou des terrasses. Remarquant l'entente des deux Elfes, Dyntaëll propose un jour à Ötellan et ses amis Artisans de les rejoindre.

L'entente est cordiale, et rapidement, ils forment une petite bande hétéroclite et joyeusement chahuteuse. Il est rare que des apprentis de deux castes si différentes se rapprochent ainsi. D'ordinaire, suivant leurs affinités, les Traqueurs fréquentent les Chasseurs, tandis que les Artisans passent du temps avec les Préparateurs. Mais les deux meneurs de leurs groupes respectifs, Dyntaëll et Ötellan, ont souvent tendance à remettre en cause les préceptes millénaires de leurs aînés. En ébouriffant un jour les cheveux courts de l'apprenti Artisan, Dyntaëll a même apprécié la praticité de sa coiffure et laissé sous-entendre qu'il aimerait l'imiter. Ce ne sont pas les réactions horrifiées de ses camarades Traqueurs qui l'ont refroidi... mais à la pensée du long discours de désapprobation d'Arëndrill Sylla'seth, Dyntaëll a dégluti et laissé tomber l'idée.

Rendu curieux par le breuvage que lui a fait goûter le Maître Traqueur, Soarën s'enhardit un soir à quémander de la Vérité d'Épines à sa Brasseuse préférée, l'Elfe aux cheveux de neige. Il tente désespérément de la séduire depuis plusieurs mois, sans grand résultat. Elle lui en sert une rasade sans problème. Il écarquille les yeux face à l'immense chope de bois qu'elle dépose devant lui, si imposante qu'il peut la cerner de ses deux mains.

— Oh. Tout ça ?

— Ce n'est pas bien alcoolisé, alors on en sert double-dose, lui apprend la jolie Brasseuse avec un clin d'œil. Peu de monde en boit, comparé à la bière, alors on a de sacrés stocks à descendre, là en bas !

Soarën [MYSTIS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant