Soarën [MYSTIS]

🌲 Chapitre 3.3 🌲

Aucun incident ne se produit. Mais durant plusieurs semaines, le comportement de Soarën change du tout au tout. Il devient distant et méfiant, même envers ses proches. Il ne parle plus que peu à ses parents. Une profonde indifférence le gagne, qu'il s'agisse des réussites de Nemen ou des compliments d'Arëndrill Sylla'seth. Le Maître Traqueur devine aisément que quelque chose perturbe son élève. Soarën, pourtant l'un des meilleurs, ne lui offre plus que des prestations banales lors de leurs entraînements, frôlant parfois la médiocrité. Bien entendu, il tente de lui en parler, inquiet. Mais l'apprenti Traqueur semble rester sourd à ses remarques. Arëndrill demeure perplexe face à son état inhabituel. Celui-ci ne lui est pas inconnu. Il en reconnaît les symptômes. Mais c'est encore trop tôt, bien trop tôt...

Pourtant, plus il surveille discrètement Soarën et plus il s'en persuade, bien que la chose lui paraisse invraisemblable. Tous les signes avant-coureurs sont là. Le matin, Soarën se met à arriver en retard. Il s'excuse toujours, mais sa matinée est ponctuée de bâillements et de dodelinements de tête. Il paraît ailleurs, perdu dans ses pensées, et se trompe une fois sur deux lorsqu'une question lui est posée. Le midi, il rechigne à manger malgré les encouragements impuissants de ses amis. Et lors des exercices pratiques, son inattention des débuts lui revient. Pire : elle s'amplifie. Plusieurs fois, Soarën se révèle tout bonnement incapable de suivre une piste pourtant évidente. Ou bien il revient de sa traque couvert de bosses et d'égratignures suite à de nombreuses collisions avec des branches et des troncs qu'il n'avait soi-disant pas remarqués. Après les cours, Edwyn le suit discrètement : il ne sort plus avec ses camarades, mais passe des heures à errer sans but aux abords du village, seul, le regard perdu dans le vague.

En quelques jours, Arëndrill devient sûr de lui. C'est impensable, mais les faits sont là, et la solution ne peut qu'être radicale : Soarën doit partir.

Un après-midi, il demande à son élève de rester avec lui après les cours. Soarën hoche la tête à sa demande, mais elle lui sort rapidement de l'esprit. Alors que la journée est finie et qu'il s'apprête à descendre les marches de l'Érable géant d'un pas morne, devenu habituel pour lui ces dernières semaines, une main puissante s'abat sur son épaule. Il ne sursaute même pas et se contente de se retourner à demi pour lever les yeux vers son aîné sans comprendre.

— Maître ?

— J'aimerais que tu m'accordes un peu de ton temps, Soarën, lui rappelle doucement Arëndrill Sylla'seth. Nous devons parler de quelque chose.

— De quoi ? soupire son apprenti.

— Viens, allons à l'intérieur.

Soarën le suit sans protester. Dans le creux du Maître Traqueur, ils retrouvent deux autres Elfes. Bien que surpris, le plus jeune esquisse à peine un haussement de sourcils, comme si la moindre réaction lui demandait un effort surhumain.

— Vous êtes là ? constate-t-il simplement d'une voix neutre.

Eylinn et Ylendar hochent la tête. Ils semblent tendus et nerveux. Arëndrill leur sert un gobelet de jus d'épines noires à chacun. Soarën refuse le sien, l'estomac noué, comme toujours ces derniers temps. Puis ils s'installent en rond et le Maître Traqueur prend la parole.

— Soarën, tu vas devoir quitter le village pendant quelques jours.

— Ah ?

Un bannissement du village, temporaire ou définitif, peu importe la cause, est l'une des pires hontes pour un Elfe. Cela signifie qu'il a manqué à ses devoirs, quels qu'ils soient : envers sa communauté, envers sa caste, envers sa famille, ou envers lui-même. Cependant, Soarën accueille la nouvelle avec une indifférence glaciale qui ne semble pas inquiéter ses trois aînés outre-mesure. Arëndrill a expliqué la situation à Eylinn et Ylendar. Ils savent que ce trait de comportement est normal, dans son état. Soarën a l'esprit accaparé par une force qu'aucun d'entre eux n'est en mesure de pouvoir réfréner. Le Maître Traqueur est conscient que son élève ne l'écoute que d'une oreille. C'est pourquoi il ne perd pas de temps en bavardages inutiles et va droit au but.