Soarën [MYSTIS]

🏹 Chapitre 2.1 🏹

Aïe.

La fine aiguille perforante imbibée d'encre noire, maintes fois enfoncée sous sa peau, lui procure un picotis désagréable. Allongé sur le dos, mal installé sur le bois dur, Soarën reste toutefois silencieux. Penché au-dessus de lui, le Maître Traqueur Arëndrill Sylla'seth termine de tatouer en haut de ses joues la marque caractéristique de leur caste : une flèche à trois têtes, dont chaque pointe est tournée vers le centre de son visage.

Aïe.

— Tu ne dis rien, remarque Arëndrill.

— Je ne suis pas une mauviette.

Aïe.

La Cérémonie du Choix s'est déroulée la veille pour tous les natifs de juillet, à l'instar de Soarën. Sur la dizaine qu'ils étaient, il n'y a que lui à avoir choisi la caste des Traqueurs. Les autres sont devenus Préparateurs ou Guérisseurs. Un seul s'est tourné vers les Chasseurs. Quant à Ötellan Ymrill, né lui aussi au début du Cycle de Lumière, il a rejoint les Artisans. En constatant cela, Soarën a ricané doucement, à peine surpris.

Aïe.

— J'ai terminé, indique Arëndrill en se redressant. Ne bouge pas tout de suite, il faut d'abord nettoyer tes tatouages et les recouvrir avec du baume cicatrisant.

Ouf.

Le Maître Traqueur dépose son aiguille et se saisit à la place d'une petite portion de mousse spongieuse, qu'il tamponne sur les plaies encrées de son nouvel apprenti. Le végétal brûle les joues de Soarën, qui se tend et retient un grognement de douleur. Fort heureusement, le baume cicatrisant apaise la sensation. Arëndrill Sylla'seth s'assure de la bonne pénétration du produit puis rajoute une seconde couche protectrice.

— Voilà, tu peux te relever.

Soarën s'assoit sur le banc en se massant le dos avec une grimace discrète. L'envie est grande de glisser ses doigts sur ses pommettes pour suivre le tracé de ses tatouages fraîchement dessinés, mais ce n'est pas une bonne idée. De toute manière, avec la dose de baume que le Maître Traqueur lui a appliqué, il devine qu'en cet instant, le haut de ses joues ne doit ressembler à rien d'autre qu'à deux grosses pustules vertes et luisantes, dignes d'un batracien.

— Remets-en matin et soir pendant une semaine, le temps que les plaies se soignent. Je pense que ta mère pourra te fournir les produits nécessaires.

— Je cicatrise vite, assure Soarën en haussant les épaules. Quelques jours devraient suffire.

— Comme tu voudras, bougonne Arëndrill. Après tout, c'est toi qui porteras ces tatouages à vie. Et ce n'est pas comme si nous étions l'une des races à la longévité la plus élevée. Si tu souhaites qu'ils s'effacent au bout de deux siècles...

— D'accord, d'accord. J'en prendrai soin, abdique-t-il, avant de lâcher dans un souffle reconnaissant : Merci, Maître.

— L'enseignement de traque que tu suivras va différer à partir de maintenant, l'avertit celui-ci avec gravité. Tu évolueras avec mes autres apprentis, tous niveaux confondus. Tu ne seras plus le meilleur de ton groupe, Soarën : tes aînés sont et resteront davantage expérimentés que toi. Ne cherche pas à les défier, mais accepte au contraire leur supériorité sur toi avec humilité, car chacun aura des choses à t'enseigner. Je sais que les Traqueurs évoluent seuls, l'interrompt-il avant qu'il n'ait le temps d'ouvrir la bouche pour protester. Je ne te demande pas de te lier d'amitié avec la totalité d'entre eux. Mais respectez-vous mutuellement et apprenez les uns des autres. Vous êtes alliés et frères : faites honneur à notre peuple et à nos traditions. Me suis-je bien fait comprendre ?