🏹 Chapitre 10.3 🏹

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Quelque chose lui réchauffe agréablement le dos. Ses mains baignent dans un liquide tiède. Soarën savoure la sensation, aussi incongrue qu'apaisante. Même s'il reprend peu à peu connaissance, il est épuisé : chacun de ses muscles le tire et sa tête le lance. Il n'a pas bu depuis des heures, ce qui explique sans doute son intense mal de crâne. Pourtant, il se sent si bien qu'il attend encore un long moment avant de porter une main à sa ceinture pour se saisir de sa gourde. Il aimerait ne plus jamais avoir à bouger, et rester ainsi allongé face contre terre pour l'éternité. La pierre inconfortable est fraîche sous sa joue, et le soleil rayonne derrière lui. Que pourrait-il demander de plus ?

Ses oreilles frémissent au son d'un petit bâillement fatigué. Funest. Mais s'apprête-t-il à s'endormir, ou au contraire est-il lui aussi en train de reprendre conscience ? Alors qu'une tenace odeur de sang frappe Soarën de plein fouet, ses souvenirs lui reviennent. Le Kisther. Discorde. Sa fureur... et puis plus rien.

Il se redresse aussitôt à genoux, dans un mouvement vif qui lui arrache une plainte de douleur. Tout son corps est endolori, sans qu'il ne sache pourquoi. Et la douleur qui lui vrille le crâne est insoutenable. Son regard améthyste encore brumeux se pose sur la scène qui l'entoure.

Le Traqueur en reste bouche bée.

Ce qui, la veille au soir, était un Kisther en pleine possession de ses moyens, gît sans vie à quelques mètres de lui. Le mot « cadavre » n'est pas assez percutant pour désigner ce que Soarën a sous les yeux. L'animal n'est plus qu'une carcasse sanguinolente, dont la si précieuse fourrure ne vaut assurément plus rien. Le Kisther baigne dans une mare de sang. Le liquide a coulé dans les creux de la roche et sillonné ses aspérités sans que celle-ci ne l'absorbe. L'Elfe sursaute et retire aussitôt ses doigts de la flaque rouge dans laquelle ils ont trempé toute la nuit. Incapable de comprendre le carnage auquel il fait face, il se lève et s'approche lentement de l'ours géant.

Sa peau a été tailladée en longs lambeaux de chair. Certains manquent à l'appel, sûrement dévorés par Funest, laissant apercevoir les entrailles de l'animal, elles aussi en piteux état. Fendues, écrasées, parfois même arrachées et jetées au loin pour certaines. Son corps est recouvert de profondes blessures. Surmontant son inexplicable malaise, Soarën les examine. Elles sont dues à des griffes et des crocs... mais également à des lames d'acier. Il balaye le champ de bataille du regard et trouve effectivement ses deux épées, l'une sur l'autre, recouvertes de sang séché de la pointe au pommeau. Sidéré, Soarën baisse les yeux vers ses mains écarlates dont il est incapable d'empêcher les tremblements. Cette boucherie... est-ce lui qui l'a perpétrée ?

Il ne se souvient de rien.

— Funest... coasse-t-il d'une voix blanche alors que son Compagnon s'approche à son tour. Qu'est-ce qu'il s'est passé... ?

— Je ne sais pas, répond le loup le plus sincèrement du monde, en promenant autour de lui un regard tout aussi interloqué que celui de l'Elfe. Discorde était blessée et tu étais à genoux. Il y a eu un grand froid et... ton esprit m'a appelé, je ne sais pas ce que tu as fait ?

— Un grand froid ? Je t'ai appelé ? répète Soarën en balbutiant, perdu.

— Tu n'étais plus là et puis tu es revenu, je suis entré en toi et il y a eu le noir comme quand je dors.

Il se masse le front d'une main, moins pour réfléchir à tout ce charabia que pour tenter de soulager son mal de crâne persistant. De l'autre, il saisit sa gourde à sa ceinture et la débouche avant d'avaler une rasade d'eau. Mais cela ne l'aide pas à avoir les idées plus claires.

— C'est toi qui as fait ça ? C'est... nous ?

— Je ne sais pas qui ça pourrait être d'autre.

Soarën [MYSTIS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant