Chapitre 55 : La discussion

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Le Stormite se doutait bien que sa jeune amie ne veuille aborder le sujet. L'instant avait dû être très éprouvant pour elle. Il voulait malgré tout s'assurer de son état. Il se racla la gorge.

— Sinon toi, ça va ?

— Et vous ?

Isaiah sourcilla au retournement de situation.

— Euh, oui. Je n'ai pas eu de migraines depuis. Et après une bonne douche, je suis toujours d'attaque.

— Tant mieux, dit-elle, concentrée dans les pages d'un nouveau bouquin.

Le brun se gratta nerveusement la nuque, dans un signe évident d'inconfort. Il était toujours mal à l'aise, vis-à-vis des personnes soucieuses de son état.

— Au fait, je reviens du bureau de fleur de lotus. J'ai suivi ton conseil, je ne lui ai rien dit. J'ai improvisé un plan qui l'a remise de bonne humeur. Elle était surexcitée, on aurait dit une enfant. Il n'y a donc pas à s'inquiéter.

Il marqua un temps d'arrêt, l'incertitude fronçant légèrement ses sourcils.

— Tu crois que je devrais m'inquiéter ?

— Vous croyez que vous devriez ?

Isaiah arqua un sourcil, regardant à présent la fillette perchée d'un drôle d'air.

— Dis, ça t'arrive souvent comme ça de répondre aux questions par des questions ?

— Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

Isaiah secoua la tête, ne cessant d'être fasciné par les réparties de la jeune Warloïte.

— Je me le demande, susurra-t-il simplement.

Khé-Khé referma le bouquin dans ses mains et le déposa sur la pile de livres, empilée à ses côtés. Isaiah fit quelques pas en arrière, tandis qu'elle quittait du haut de son perchoir dans un saut agile. Elle emprunta l'un des accès entre les colonnes de livres, puis s'arrêta devant lui.

— C'est bon, je suis prête. Où voulez-vous qu'on aille ?

— Mmh, on pourrait aller au Sabre tranchant qui se trouve au rez-de-chaussée ou au Pendu. À cette heure, il n'y a pas grand monde.

L'homme se tut, tout à coup pensif.

C'est moi ou je viens de demander à une gamine de m'accompagner dans un bar ?

Khé-Khé soupira.

— Le Sabre tranchant, le Pendu, le Croque-mort... Pourquoi les tavernes des pirates ont toujours des noms si bizarres ? s'interrogea-t-elle en se dirigeant vers la porte, suivi de près par un Isaiah amusé.

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Comme convenu, le binôme se retrouva au Sabre tranchant, retiré à l'étage pour plus d'intimité. En raison du sujet sensible, pas besoin de provoquer la panique générale à la simple prononciation de l'Ombre de la Mort.

Khé-Khé buvait du jus d'auranje fraîchement pressé par le tavernier, comme elle l'aimait. Son caractère jovial et tête en l'air avait su charmer les résidents de la forteresse, plus encore depuis sa conversation épique avec le couple de Phaelysiens, Laurent et Isabelle de Savoie. Son regard erra par-delà les vitraux ouverts, sur le paysage montagnard à l'horizon. Le décor crépusculaire apportait une certaine sérénité sur la ville portuaire.

Isaiah se contenta d'un verre d'eau, posé à proximité d'un pichet. Alors qu'il pianotait ses doigts sur la surface en bois de la table, il songea à la meilleure façon d'amorcer la discussion tendue qui contrastait avec leurs échanges habituels. Quelques minutes plus tôt, l'officier se tenait dans une posture trop sérieuse à son goût – digne d'un interrogatoire – avant de se relâcher. Loin de lui l'idée d'intimider son amie.

La voix lointaine de la Zérynthia le ramena à lui.

— Vous savez, il m'arrive souvent de penser à Warlok et à ma famille. Mes cinq grands-frères et mes deux parents formidables. Après tout, c'est aussi pour eux que je me bats.

Son voisin de table comprenait qu'elle puisse s'inquiéter pour les siens, vu le sort incertain d'Allevard. Ne pas avoir de leur nouvelle, depuis leur départ de Warlok, devait sans aucun doute l'angoisser.

— Ça fait combien de temps que vous êtes sur Zarif ?

— Plus d'un an.

— Plus d'un an ? C'est... très long. Ils doivent terriblement te manquer.

Pour toute réponse, Khé-Khé afficha un léger sourire mêlé d'une pointe de tristesse.

— Il m'arrivait souvent de fuir mes grands-frères à force de trop me gâter comme une petite princesse. « C'est normal, tu es notre choupinette ou notre petite kiwy » me disaient-ils à chaque fois que je boudais. Je les imagine bien en ce moment, en train de pleurer chacun dans son coin. Jamais je n'aurais pensé... que ces petits noms me manqueraient un jour.

— Je suis sûr qu'ils vont bien, tenta Isaiah pour la réconforter.

— Je suis peut-être une gamine, Commandant, mais je ne suis pas stupide. Je ne crois pas à ces idioties pour bébé. Mais merci de vouloir me remonter le moral.

Sans détacher les yeux de la fenêtre, elle reprit lentement :

— Je sais que vous avez des questions à me poser, mais nous avons déjà tous les deux la réponse à la plus importante. Chaka est bel et bien celui que l'on surnomme l'Ombre de la Mort.

Elle finit par croiser le regard du brun.

— Si vous me le permettez, j'aimerais vous poser une question.

— Vas-y.

— Comment vous avez fait le lien entre Chaka et l'Ombre de la Mort ?

Isaiah se cala sur son siège, les bras croisés.

— Il y a juste une semaine, avec des Sentinelles de Neromis, nous avons découvert une importante masse de Corrompus décimés dans la région de Galbanum. Un individu capable d'exterminer, à lui tout seul, une nuée de monstres en une fraction de secondes ? Avec une telle précision ? Ça ne court pas les rues. À ce moment-là, j'avais fait un rapprochement avec votre naissance. J'ai aussi eu un déclic au cours de cette soirée au Pendu, lorsqu'Haz a parlé des guerriers de votre clan, dont les manieurs de sabre. Depuis ce jour, j'ai commencé à assembler des pièces du puzzle. Et il y avait aussi cette aura meurtrière à Galbanum, la même que j'ai ressentie lorsque nous étions dans les montagnes.

Le visage de Khé-Khé se ferma légèrement sur un détail précis.

— Je croyais que vous saviez pour l'existence des Héritiers qu'à votre arrivée ici. Comment pouviez-vous le savoir bien avant ? Peu de gens étaient censés être courant à notre sujet, souligna-t-elle, sur un ton quelque peu mécontent. Qui vous l'a dit ?

Crisis - T1 : La quête des Héritiers [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant