Chapitre 80 (Partie 4)

Start from the beginning
                                    

Le baron envoya un puissant coup de poing au cadavre qui fut projeté en arrière. Profitant du répit, il tâtonna pour retrouver son sabre qu'il avait lâché dans la mêlée. Quand le mort fondit de nouveau sur lui, il frappa. La lame se ficha dans les cervicales. Il dut s'y reprendre à deux fois pour décoller le crâne du reste du corps.

Cerberus trottina vers lui, un bras inerte et sanguinolent dans la gueule. Arcas chercha des yeux son propriétaire en vain. Il espéra qu'il était mort pour de bon et qu'il n'allait pas prochainement se faire attaquer par un cadavre manchot.

Toujours sur leurs gardes, ils se dirigèrent vers la poudrière, du moins Arcas l'espérait.

Avec ce brouillard, il en venait à perdre ses repères. Mais les attaques se firent plus fréquentes ce qu'il décida de considérer comme un bon signe.

Ils avaient dû parcourir trois cents mètres en tentant de ne pas tourner en rond. En chemin ils avaient tué une dizaine de morts-vivants, certains dans un état de décomposition avancée, d'autres encore tièdes, et Arcas se serait bien interrogé sur leur processus de retour à la vie et sa rapidité, s'il n'avait pas aperçu le faible éclat d'un coup de feu dans la nuit. Il se dirigea sans hésitation vers cette lumière ténue, jusqu'à rencontrer un mur de brique.

Aucun doute à avoir, il était bien au bon endroit, il y reconnaissait sans peine le travail du génie militaire français. Une construction solide, épaisse, capable de résister au feu de l'ennemi et de protéger leurs munitions quels que soient les circonstances. Les hommes dormaient peut-être dans de pauvres tentes de toile, mais la poudre, le nerf de la guerre, avait droit à son palais. Il n'y avait pas meilleur endroit pour se réfugier dans tout le camp. Si on ne laissait pas entrer la menace du moins. Quand elle avait le visage de l'homme auprès duquel vous partagiez votre gamelle quelques heures auparavant cela pouvait s'avérer à la fois difficile et cruel.

Arcas sentit Cerberus se tendre comme un arc, à pas lent, le grand chien s'éloigna de la poudrière avant que son maître ne puisse l'arrêter. Le brouillard était parcouru par les morts, ils les flairaient, pouvaient deviner leurs ombres se déplacer, pouvaient presque les entendre, grouillants comme de la vermine.

Le baron ne se laisserait plus surprendre. Il était un chasseur, un prédateur, il oubliait la civilisation, il retournait à cette époque primitive où l'homme se souvenait encore qu'il était un animal et que le danger pouvait se tapir derrière chaque arbre, chaque rocher, les temps avaient-ils tellement changé.

Il croisa deux cadavres ambulants qu'il expédia pour de bon dans l'au-delà d'un coup de sabre. Cerberus les ignora, il avait pris la piste d'un gibier autrement plus conséquent et il continua son avancée opiniâtre sans même attendre son maître.

À travers lui, Arcas sentait une présence. Une odeur de mort ancienne et sèche. Il ne se laissa pas distancer et marcha dans ses empreintes, dans une main sa lame, l'autre posée sur la crosse du pistolet de Darmain qui lui brûlait presque la paume tant il aspirait à s'en servir.

Le molosse se mit à trotter, puis à courir.

Le baron fut saisi par l'horreur avant même d'être en mesure de voir le strygoï, mais loin de le paralyser, elle donna à son cœur une rage sanguinaire.

En présence du Léchi, le meneur de loups avait compris qu'aussi étrange et effrayant le dieu de la forêt pouvait être, son existence était une sorte d'évidence. Les strygoïs pour leur part tenaient de l'abomination, pas parce qu'ils tuaient ou torturaient mais parce qu'ils étaient comme une insulte à la vie elle-même et Arcas quand il sentit cette odeur presque doucereuse, fut saisi par la volonté absolue de faire disparaître cette chose de la surface de la terre.
Et il fut suffisamment près pour le voir.

Devant un ennemi si proche, le strygoï, haut de plus de deux mètres, voûté vers l'avant comme un vautour à la recherche de chairs mortes, afficha une expression qui s'approchait de la surprise, sur sa face de cauchemar pâle et cireuse. Il projeta les bras en avant et ses mains s'accrochèrent sur le devant de l'uniforme du meneur de loup, avant de comprendre, Arcas éprouva une violente douleur, en baissant les yeux il constata avec dégoût que le strygoï n'avait pas de doigts à proprement parler mais des sortes de tentacules grouillantes. Diana lui en avait pourtant envoyés un échantillon dans un joli bocal. Pourquoi s'étonnait-il alors ? Avait-il choisi d'oblitérer ce détail désagréable de sa mémoire ? Si c'était le cas il s'agissait visiblement d'une mauvaise idée, de celle qui vous coûte la vie. Ses genoux faiblissaient, il essaya de lever son sabre pour se libérer de son ennemi, mais sa force l'abandonnait et sa vue se voilait, son champ de vision était réduit à cette caricature grotesque de visage humain, avec ses immenses yeux noirs brillant de malignité, profondément enfoncés dans leurs orbites ridées.

Ils furent alors percutés par un mur de muscles et tombèrent au sol.

Cerberus avait pris son élan sur plusieurs mètres et avait réussi à jeter le monstre au sol. Il avait planté ses crocs dans son bras. Il ne rencontra aucun os seulement une masse spongieuse et répugnante qui lui laissa un goût infect dans la gueule. Arcas ressenti à travers son lien avec le chien, le contact de cette abomination sur sa propre langue. Ce fut comme se faire jeter un flacon de sels d'ammoniaque en pleine figure.

Secoué, Arcas oublia sa douleur à la poitrine, il cracha à la face de cette créature infernale et fourra le canon de son pistolet dans la plaie béante et flasque qui semblait lui faire office de bouche. Il tira simultanément les deux balles qu'il contenait. Elles emportèrent l'arrière de son crâne et un liquide noir et nauséabond se répandit sur le sol, à peine avait-il touché la poussière qu'un cri strident s'échappa du monstre, comme s'il était un ballon de baudruche macabre.

Arcas n'hésita pas, il trancha ce qui restait de la tête du strygoï, brisant au passage sa lame sur la terre gelée.

Dans l'instant comme mû par l'instinct, il prit sa flasque de poudre la vida et alluma l'explosif à l'aide de son briquet. La tête du mort-vivant s'enflamma comme de l'amadou et parti en poussière avec un sifflement abject.

Ses oreilles se débouchèrent avec un claquement désagréable.

Il entendit de nouveau sa propre respiration, elle était sifflante. Il frotta sa poitrine, là où le monstre l'avait touché et grimaça devant la sensation de brûlure. Il n'était pas certain que l'odeur de chair calcinée qui flottait dans l'air ait été seulement due à la tête encore fumante du strygoï qui semblait toujours déversé sa haine sur lui par ses orbites désormais vides.

Autour de lui des grattements, des frottements, des râles d'agonie se firent entendre, plus fort comme le brouillard refluait laissant derrière lui un paysage de désolation, et les rayons de la lune révélèrent l'éclat terne d'yeux morts tournés vers lui et Cerberus. Il regarda, désemparé, son sabre brisé et son pistolet déchargé.

– Mon gros, dit-il à son chien, presque surpris d'entendre à nouveau sa voix, je crois que nous sommes dans la mouise. Si on a connu pire, tu vas devoir me rappeler quand.

Le dogue se campa sur ses larges pattes et gronda. Avec sa tête recouverte de sang, il avait tout du chien de l'enfer, lui-même devait faire peur à voir. Alors soit. S'ils devaient mourir, ce ne serait pas sans se battre et ils emporteraient avec eux le plus possible de ses bâtards.

– D'Arlon ! Harispe d'Arlon ! Qu'est-ce que vous foutez ? Ramenez vos fesses !

C'était la voix tonnante de Bosquet qu'il l'appelait depuis la poudrière.


*** 

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Feb 16 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

Quand les loups se mangent entre euxWhere stories live. Discover now