Toula et Jimmy tentèrent bien de l'empêcher de sortir mais elle refusa de les écouter et quitta la ville. C'est Mary qui, lorsqu'elle poussa la porte de l'auberge eut suffisamment d'autorité pour la renvoyer manu militari chez eux.

– Comment vont nos malades ? Je dois vous aider.

– Vous n'êtes pas en état d'aider qui que ce soit. Mon petit, c'est à peine si vous tenez debout. Des jours que vous tirez sur la corde sans vous accordez de repos ! Alors je vous ordonne d'aller reprendre des forces.

– Je n'arrive même pas à dormir, je préférerais m'occuper.

– Attendez ici, petite bourrique.

Mary revint avec une petite fiole brune.

– Un secret que je tiens de ma mère, deux gouttes dans une tasse de thé et vous dormirez comme un bébé. Avant cela allez au Hammam et demandez à Gohare de vous masser.

– Je ne peux pas me détendre alors qu'Arcas est en prison...

– Ce n'est pas pour vous amuser, c'est pour retrouver figure humaine. Les enfants, je compte sur vous pour faire entendre raison et faire suivre mes conseils à cette tête de mule.

Et Diana fut bien obligé de faire comme Mary l'entendait.

Bien que profiter des étuves de Gohare fût agréable, elle y apprit des informations guère rassurantes. L'arménienne n'avait plus de nouvelles de certains amis qui habitaient bien plus au nord, un endroit pourtant loin de la zone des combats jusqu'à présent.

– Peut-être ont-ils rejoint Constantinople ou une autre partie de l'empire ottoman, la vie ici est devenue si compliquée... avait suggéré Diana.

– Et d'où auraient-ils pris un bateau ma belle. Merci d'essayer de me rassurer, mais j'ai vu assez de guerres dans ma vie pour savoir quand il n'y a plus d'espoir. Ils ne sont pas les seuls à ne plus donner de signe de vie.

Diana détestait entendre ce genre de déclarations fatalistes. Quand sa fille était morte, elle avait bien failli perdre confiance en l'avenir, baisser les bras, mais il lui était resté une petite étincelle à laquelle elle s'était désespérément accrochée et aujourd'hui elle avait Jimmy, Toula et Arcas.

Mary avait raison, elle allait reprendre des forces et cesser ses ruminations. Dès le lendemain, elle écrirait au général Bosquet. Elle n'hésiterait pas à lui faire part du comportement inqualifiable de Darmain si cette ordure persistait à s'en prendre à son mari.

Mais pour le moment, il lui fallait dormir pour que ses mains cessent de trembler et que passent les nausées qui lui soulevaient le cœur.

Toula, toujours prévenante, lui apporta un verre d'eau dès qu'ils furent rentrés.

– J'ai mis deux gouttes, dit-elle en montrant la fiole brune que leur avait confié Mrs Seacole.

Diana eut à peine le temps de retirer sa robe que ses paupières devinrent lourdes. Sa tête posée sur l'oreiller, elle sombra dans l'instant dans un sommeil sans rêves.

Enfin.

Quand Toula ferma silencieusement la porte de la chambre de sa mère adoptive, elle croisa le regard suspicieux de Jimmy.

– περίεργος*, grinça-t-elle entre ses dents.

(*fouineur)

***

La veille

Arcas leva la tête lorsqu'il entendit le jappement joyeux de Cerberus. Le jeune homme se leva et étira sa longue carcasse ankylosée par le froid avant de se diriger vers le soupirail où il se retrouva nez à nez avec les babines baveuses de son chien.

– Alors mon grand ? Diana a été incapable de rester à Balaklava bien sûr ! Constata-t-il en lui caressant les oreilles en souriant.

Ils furent bientôt rejoints par Jimmy et Spider, le garçon lui raconta en détail ce qu'ils avaient vu en chemin, tout en faisant passer entre les barreaux des vêtements propres, un pâté en croûte, un roman, une bouteille d'ouzo, une autre de tisane pour calmer ses nerfs, un nécessaire à raser. Arcas l'écoutait d'une oreille distraite, il attendait de voir sa femme avec impatience, mais les minutes s'égrenaient sans qu'elle ne les rejoigne.

C'est Duvernet, vision moins agréable, qui finalement apparut. Il était blême. Sans autre explication, il attrapa Jimmy par le col et le redressa d'un coup.

– Sors immédiatement du camp. Rejoins ta mère et ta sœur.

– Madame la baronne n'est pas...

– Ne discute pas ! Fiche le camp morveux ! Plus vite que cela. Il faut que vous déguerpissiez dans l'instant !

Malgré le ton impératif de l'ordonnance, Jimmy questionna Arcas du regard.

– Va ! Dépêche-toi de les rejoindre et veille sur elles. Je compte sur toi.

Quand le petit et les deux chiens eurent disparu de son champ de vision, Arcas agrippa les barreaux de son soupirail.

Duvernet entendit le grincement sinistre de l'acier.

– Dites-moi ce qui s'est passé.

– Je n'en suis pas certain mais votre femme a frappé le colonel.

– Il lui a manqué de respect ?

– Je suppose. D'une façon ou d'une autre et elle s'est bien défendue, elle l'a correctement estourbi, vous pouvez être fier. Mais étant donné l'état d'esprit de Darmain en ce moment, je préfère que votre famille soit le plus loin d'ici possible. J'aimerais pouvoir vous faire libérer vous aussi. Il va être très remonté et...

– Qu'il vienne s'en prendre à un homme s'il l'ose. Cette fois-ci je ne me contenterais pas de lui casser le nez. Cette fois-ci, je lui broierai le crâne !

***

Quand les loups se mangent entre euxΌπου ζουν οι ιστορίες. Ανακάλυψε τώρα