Fugace

By elonaballon

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« Dans chaque cœur résonne l'amour de la liberté. » Aislinn, membre d'un comité culturel, est prise en otage... More

Fugace
Avant-goût
Chapitre un
Chapitre deux
Chapitre trois
Chapitre quatre
Suspension
Chapitre cinq
Chapitre six
Chapitre sept
Chapitre huit
Chapitre neuf
Chapitre dix
Chapitre onze
Chapitre douze
Chapitre treize
Chapitre quinze
Chapitre seize
Chapitre dix-sept
Chapitre dix-huit
Chapitre dix-neuf
Chapitre vingt
Chapitre vingt-et-un
Chapitre vingt-deux
Trêve du cadran
Chapitre vingt-trois
Chapitre vingt-quatre
Chapitre vingt-cinq
Chapitre vingt-six
Chapitre vingt-sept
Chapitre vingt-huit
Chapitre vingt-neuf
Bulle
Aparté
Chapitre trente
Chapitre trente-et-un
Épilogue
Un mot pour la fin ?

Chapitre quatorze

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By elonaballon

Aislinn

Angleterre, ancien centre de détention, 7 mars 2018

La plupart du temps, l'ennemi avançait dans l'ombre, imprévisible et joueur. Il partait d'un point précis afin d'en atteindre un autre, s'arrangeant pour que nul ne le voit venir. En promettant monts et merveilles à ses hommes de main, l'adversaire s'assurait leur confiance et leur loyauté, renforçant l'emprise qu'il exerçait sur eux.

Seulement, il arrivait qu'une simple brèche, aussi infime soit-elle, s'ouvre pour qu'un tiers s'en saisisse et compromette toute la stratégie.

Il m'avait fallu plus d'un jour pour cerner le comportement des ravisseurs. Depuis l'espace étroit qui m'était attribuée, j'avais observé leurs postures, scruté le moindre de leurs faits et gestes... Des détails cruciaux qui m'avaient renseignée sur ces étranges personnages aux caractères divergents, d'apparence si uniformes.

J'avais mis toutes les chances de mon côté pour obtenir un coup d'avance sur eux, devenant les yeux et les oreilles de la vice-présidente.

Mon premier constat fut le suivant : la réussite du plan reposait essentiellement sur le binôme Alistair-Saveria. Vassilis en tirait les ficelles depuis sa cellule réaménagée dans l'aile ouest où, d'après les dires d'Hosana, il y négociait ardemment avec la police, mais ses ses sbires s'étaient engagés à le mettre en œuvre.

L'ancien marine se chargeait des ravitaillements. En passant des rations, des moyens de transport aux munitions en tout genre – difficilement procurables au Royaume-Uni –, il était le seul individu apte à s'en procurer et donc autorisé à sortir du pénitencier. De ce fait, la surveillance des otages revenait à Saveria.

De garde depuis qu'Alistair avait quitté son poste, la complice n'avait eu droit à aucun temps mort. J'avais entendu son estomac gronder durant des lustres. Aucun repos ne lui avait été accordé, c'était tout juste si elle avait pu s'échapper une minute pour se rendre aux petits coins.

Durant ce laps de temps qui avait dû lui paraître une éternité, l'ancienne chirurgienne était restée de marbre. Froide comme un mur de prison, ses gestes semblaient automatiques, presque instinctifs. Les avait-elle répétés ?

Manifestement, le script ne lui appartenait pas. Bien qu'elle n'avait rien d'une figurante, le metteur en scène avait choisi de lui soutirer le rôle principal de la pièce. S'était-elle prédisposée à son contrôle et son épiement, s'assurant une conduite irréprochable ?

Qui Saveria souhaitait-elle satisfaire ? Vassilis, qui semblait trop intransigeant pour que les événements se profilent bien, ou Alistair, avec qui elle échangeait secrètement des mots doux ?

Tandis qu'elle restait à mon chevet pour veiller à mes soins, au musée, je les avais surpris en compagnie l'un de l'autre, enlacés à quelques pas de mon lit d'infortune, muets comme des carpes puis, peu à peu, bavards comme des pies. J'avais simulé un sommeil imperturbable, haletant d'angoisse à l'idée de me faire attraper.

Si dès le premier instant j'avais décelé chez Saveria une sensibilité accrue, j'avais découvert une facette insoupçonnée d'Alistair : celle d'un homme tendre, attentif et bienveillant – tout le contraire de l'être insensible qu'il redevenait dès que Vassilis se trouvait dans les parages.

« Comment est-ce que tu vas ? » s'inquiétait-il entre deux couloirs.

Saveria laissait planer un silence lourd de sens, preuve irréfutable qu'elle le tenait responsable de cette situation. Elle éprouvait de la rancœur à son égard. Lui, ignorait ses réactions. Il poursuivait toujours : « Un peu de patience, 我的甜蜜*. Tout prendra fin ».

Promesse à laquelle elle répondait généralement par : « On aura bientôt la vie qu'on mérite », à l'instar d'un mantra auquel elle ne croyait même plus.

Que sous-entendaient-ils ? Pourquoi faire semblant de n'être que de simples associés aux yeux des otages ? Cette dépendance évidente suggérait-elle un rapport de force au sein de leur couple ?

Autant de questions auxquelles je n'associais guère de réponses.

Je songeais à la possibilité qu'ils aient agi sous la menace. Mon hypothèse tenait debout : Saveria avait démissionné de son poste par amour pour son compagnon. Après un probable renvoi de la British Army – suite à des faux-pas récurrents en missions ou quelques inaptitudes –, Alistair était tombé à pieds joints dans l'illégalité.

Il avait juré fidélité et travaillait pour le compte de Vassilis, pataugeant dans des affaires toujours plus douteuses. Vassilis avait perdu la raison, entraînant dans sa chute une jeune femme influençable et pourtant si réfléchie, ainsi qu'un homme à l'avenir prometteur, véritable machine de guerre.

Quelque chose me le certifiait : Vassilis avait su placer ses pions sur l'échiquier. Il avait entrevu la totalité de son plan avant même de l'exécuter. Rien, jusque-là, n'était parvenu à l'ébranler. Les amants avaient viré fous, et si cela fut réellement le cas, alors ils résidaient dans leurs gènes une part de noirceur semblable à celle de leur leader, suffisamment ancrée en eux pour accepter de le seconder dans un tel projet.

*

Nous plongeâmes dans l'obscurité de la nuit, mille fois plus terrifiante que le supposé monstre qui se cachait sous mon lit, petite. Je ne parvins pas à fermer l'œil, retournant inlassablement ces suppositions dans ma tête. Accompagnées du hululement d'une chouette, de la relève des astres dans le ciel ou du chant matinal d'un oisillon, les heures se succédèrent.

Sensible à la lumière et aux couleurs, je ne sentis la brume légère se déposer sur le toit que lorsque celle-ci enveloppa mon épiderme tel un drap de soie. Les yeux clos, j'inspirai une grande bouffée d'air. Je pensais si fort à mon fiancé et ma grand-mère que j'eus la sensation d'être auprès d'eux.

Le manque de sommeil accroissait mes sens en éveil – le goût pâteux sur ma langue, la perte en élasticité de ma peau, desséchée, et le douloureux ballonnement de mon ventre. Ma tension artérielle qui baissait, provoquant maux, crampes et troubles visuels. Mes yeux, qui divergeaient chacun dans une direction opposée ; la douleur toujours plus insoutenable de ma chair meurtrie, partiellement infectée.

Je serrai les dents, me tordant dans tous les sens. Des larmes amères m'échappèrent. Mes chaînes s'entrechoquèrent. En battant des pieds dans le vide, la déchirure s'approfondit davantage. Je me mis à gémir de souffrance.

Bientôt, mes lamentations furent remplacées par des cris étouffés. Je papillonnai du regard, de moins en moins stable. Saveria accourut dans ma direction, les traits figés par les affres de l'inquiétude. Puis, je sombrai dans l'inconscience.

Un voile s'ôta de mon regard. À l'aide d'un bout de tissu, je nettoyai le verre de mes lunettes de soleil. Ma vision demeurait étrangement floue.

Sourire aux lèvres, je marchais en sautillant, faisant virevolter au gré du vent les pans de ma robe à fleurs. Le printemps laissait doucement place aux températures excessives de l'été. Il emportait avec lui l'angoisse coutumière qu'engendraient les épreuves de fin d'année.

La transition entre les deux saisons s'était révélée quasiment inexistante. Pourtant, j'accueillis à bras ouverts l'occasion de me ressourcer auprès de mes proches dont je ne pouvais pas profiter pleinement au quotidien.

Une tige de lilas coincée derrière l'oreille, je grimpai à l'arrière d'une cylindrée de collection, louée par les soins de Blaise. J'entourai sa taille de mes bras, nichant ma tête dans le creux de son dos, entre ses omoplates. Lui, posa une main sur ma cuisse, se penchant tout contre moi.

Blaise savait que je me sentais mal ces derniers temps. Il avait exigé de passer le week-end hors de Moorland, jetant son dévolu sur le site de Wraxall, situé au sud des collines de Mendip.

Il avait fallu convaincre ma grand-mère, peu enjointe à l'idée de me laisser partir. Heureusement, Blaise donnait du fil à retordre lorsqu'il s'agissait de négocier. Il avait sorti l'incontournable prétexte : « Aislinn est majeure et puis, elle a besoin de lâcher prise. » Quoi qu'il en soit, il avait obtenu l'effet escompté. Edwige avait fini par céder.

Blaise démarra en trombe. Étant de la région, nous ne mîmes guère longtemps à atteindre les vignobles. Le domaine, au cœur duquel siégeaient deux bâtisses en briques grises, dégageait un charme singulier. J'eus la sensation de redécouvrir des paysages de la Champagne-Ardenne où ma mère et moi nous étions évadées quelques jours, bien avant que nos rapports deviennent contraints.

Main dans la main, nous longeâmes les parcelles. Nos éternelles âmes d'enfants dominèrent notre sagesse acquise avec le temps et l'expérience. Insouciants, nous nous courûmes après, sillonnant les sentiers, volant des grappes de raisin. Nous nous poussâmes au creux de la verdure à plusieurs reprises où nous nous embrassâmes sans retenue, sans interruption ; avec une fougue que je ne nous avais encore jamais connue.

Nous suivîmes avec entrain les propriétaires des lieux, dont une femme fort accueillante qui nous proposa de déguster leurs produits – des vins distingués, de qualité, qui exigeaient que l'on s'en procurât rapidement.

Nous n'ingurgitâmes le cidre qu'accompagné d'un dîner à la bonne franquette, au bord d'un étang alentour. Les pieds dans l'eau, sous une pluie d'étoiles filantes, un décor tout bonnement incroyable, propice au rapprochement et aux déclarations enflammées.

L'exquise liqueur glissait dans nos œsophages, agissant tel un sérum de vérité. En partageant confidences et étreintes impétueuses, j'éprouvai un immense sentiment de plénitude. Depuis combien de temps ne m'étais-je pas sentie aussi légère ? Depuis combien de temps refusais-je de me laisser ainsi porter par la vie ?

Je touchai le bonheur du bout des doigts. Non ! je l'embrassai à pleine bouche, l'enserrai de toutes mes forces contre moi... Et cela me réussissait plutôt bien.

* « Ma douce » en chinois

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