14 avril 1996, Manoir Malefoy, Wiltshire.
Bellatrix lança un regard dédaigneux à l'homme assis devant elle, puis s'affala sur un sofa de cuir.
- Et bien, dis ce que tu as à dire.
Rodulphus leva un regard sombre en direction de son épouse.
- Je pense que c'est mieux pour tout le monde si on arrête d'agir comme des gamins, déclara le mangemort. Ça fait plus de dix ans, Bella. Il est temps de passer à autre chose. Je ne comprends pas pourquoi tu acceptes de vivre sous le même toi que Lucius alors que tu mets toute ton énergie pour m'ignorer.
- Ce n'est pas ma faute si tu n'as aucun charisme.
Rodulphus leva les yeux au ciel et soupira. Bellatrix ne semblait pas décidée à coopérer.
- C'était juste une fois. Alecto était là, c'était après ton anniversaire, on avait bu et tu avais disparu. Je ne sais pas ce qui nous a pris à Lucius et moi mais c'était une erreur, et je me suis déjà trop excusé. Maintenant, je veux juste que tu arrêtes ton cinéma pour qu'on puisse bosser tranquillement ensemble. Vis chez Malefoy si tu veux, demande le divorce, ce n'est pas mon problème. Mais arrête de m'ignorer.
- Je ne t'ignore pas, répondit Bellatrix en haussant les épaules. Je n'ai rien à te dire, c'est tout.
Lestrange se leva, et alla se servit un verre d'hydromel avant de reprendre place dans le fauteuil qu'il occupait.
- Il faut qu'on reste soudés et...
- Tu veux baiser c'est ça ? Dis-le-moi, histoire qu'on perde pas de temps. Ça sert à rien de tourner autour du pot.
- Quoi ? Mais t'es cinglée ? s'offusqua Rodulphus.
- Je ne suis plus assez belle, c'est ça ? rétorqua Bellatrix en faisant mine d'être vexée.
- Non, non, qu'est-ce que... balbutia l'homme en secouant la tête. Bon. Dis moi quand tu décideras plus encline à m'écouter.
Bellatrix haussa les sourcils et pouffa de rire. Rodulphus soupira et se dirigea vers la sortie, mais son épouse l'interpela. Il se retourna donc et la regarda avec espoir.
- Dis à Rabastan de venir ce soir, pour l'apéritif.
- D'accord, répondit Lestrange, l'air déçu.
- Tu es invité, ajouta Bellatrix. Allez, hors de ma vue.
Rodulphus eut un sourire victorieux et s'en alla d'un pas souple. Bellatrix resta un moment à regarder le point où son époux avait disparu, se demandant que Diable elle allait pouvoir lui raconter après plus d'une décennie séparée de lui.
****
- Whisky ?
- Pourquoi tu poses la question ?
Narcissa servit un verre à sa sœur en gloussant. Bellatrix en était déjà à son troisième et s'en sortait plutôt bien. À côté d'elle, Rabastan finissait la bouteille de vin d'elfe de maison qu'il avait entamé avec Lucius, et la couleur rouge de ses joues traduisait son piteux état. Face à eux, Rodulphus racontait ses premières batailles entre deux hoquets, et Draco le regardait avec des yeux embués par l'alcool. Narcissa, elle, regardait le spectacle, un verre d'hydromel à la main, et s'amusait de la situation.
- Maugrey ce sale rat, vous l'auriez vu face à Evan ! s'exclama Bellatrix. Un coup de baguette, plus de jambe. Pitoyable. Oh et, cette fois où on a pendu cet auror là...je ne me rappelle plus de son nom.
- Brown ! répondit Rodulphus. C'était en quoi, 76 ? Le bon temps.
- Dolph refusait de me parler du Seigneur des Ténèbres quand j'étais encore à Poudlard, expliqua Bellatrix à Draco. La place d'une fille n'était pas parmi les mangemorts. Regarde-moi maintenant ; je suis le meilleur lieutenant de mon Maître.
- N'écoute pas ta tante, Draco, intervint Lestrange. Bella, tu dis n'importe quoi. Je te parlais du Maître parfois, je ne voulais simplement pas être celui qui te présenterai à lui.
- Peu importe, tu n'en as pas eu besoin. Je me suis très bien présentée toute seule, rétorqua Bellatrix en riant. Et toi, Draco... ne veux-tu pas servir le Seigneur des Ténèbres ? Un jeune sang pur comme toi ferait un excellent mangemort...
- Bella ! siffla Narcissa, soudain paniquée.
Draco regarda tour à tour sa mère, puis sa tante. Mais les verres de whiksy qu'il avait bu semblèrent faire leur effet, car il trouva le courage de répondre.
- Ce serait un honneur. Après tout, père en est, alors pourquoi pas moi ?
- Allons, Draco, ne dis pas de sottise... murmura Narcissa à son fils.
- Laisse-le parler, Cissy, siffla Bellatrix. Draco, mon chéri, pourquoi ne vas-tu pas te présenter au Seigneur des Ténèbres pour lui demander de faire de toi un...
- ASSEZ !
Narcissa avait bondi de sa chaise, faisant sursauter Draco et Lucius.
- Draco, va te coucher.
- Mais...
- Monte dans ta chambre immédiatement, ordonna sèchement la maîtresse de maison.
Le garçon obéit, non sans avoir lancé un regard noir à sa mère avant. Bellatrix, elle, fulminait. La brune se leva avec la souplesse d'un félin, et s'approcha de sa sœur comme un prédateur s'approche de sa proie.
- Attention, Cissy, chuchota-t-elle à l'oreille de Narcissa. Tu empruntes une pente dangereuse...
Bellatrix déposa un baiser sur la joue de sa petite sœur qui resta bouche bée, puis sourit au reste du groupe avant de les saluer et d'aller se coucher.
****
Bellatrix se réveilla en sursaut en plein milieu de la nuit. Elle venait de faire un cauchemar, le même qui se jouait toutes les nuits depuis sa sortie d'Azkaban.
Bellatrix est vêtue d'une longue robe de nuit blanche. Le mouvement du tissu qui accompagne ses gestes donne l'impression qu'elle est sous l'eau. Sa peau est extrêmement pâle. Lorsqu'elle baisse les yeux, elle voit une immense tâche de sang au niveau de son entrejambe et, tout à coup, elle entend des pleurs de bébé à l'étage. Bellatrix court en direction de la pièce d'où émane les pleurs, et ouvre la porte dans la volée. C'est une chambre presque vide, seul un berceau trône en son centre. Et dans ce berceau, il y a un bébé. Bellatrix se penche pour le regarder. L'enfant a des yeux plus sombres que les ténèbres les plus profonds. Soudain, la pièce se met à tourner, et Bellatrix ne voit plus rien. Quand sa vision lui revient, l'enfant a grandi.
C'est une fille. Elle a des cheveux blancs comme la neige, et les mêmes yeux noirs. Sa mâchoire est ciselée, ses pommettes sont hautes, ses lèvres sont pleines, son regard est défiant et cruel. Elle a une dague à la main. Cette dague, c'est celle de Bellatrix. Dans l'autre main, elle tient une baguette qui ressemble étrangement à un os. Puis, sans prévenir, elle se jette sur Bellatrix, et Bellatrix ne peut pas lutter. Une force inconnue la paralyse, la rendant absolument sans défense. Et la fille aux cheveux blancs met ses mains autour de son coup, et Bellatrix ne peut plus respirer. Tout devient noir, et elle ne connaît plus que la douleur.
Chaque fois, le rêve s'arrêtait ici. Était-ce le moment où elle mourait ? La fille était-elle son double maléfique ? Bellatrix n'avait aucune réponse à ces questions. Tout ce qu'elle savait, c'était que ce satané rêve l'empêchait de dormir correctement, et que le manque de sommeil rendait laid.
La sorcière, ne parvenant pas à se rendormir, décida d'aller se promener dans le jardin. Elle enfila une cape légère par dessus sa robe de nuit, et sortit de sa chambre. Alors qu'elle se dirigeait vers les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée, elle remarqua que la lumière était allumée derrière la porte qui gardait l'entrée de la suite du Seigneur des Ténèbres. Il devait être trois heures du matin ; son Maître ne dormait-il donc jamais ?
Ce fut alors comme si une force la poussait à aller toquer à cette porte et, machinalement, Bellatrix s'en approcha. Avant même qu'elle n'ait indiqué sa présence, la porte s'ouvrit. La sorcière fut immédiatement accueillie par le sifflement strident de Nagini, qui rampait jusqu'à elle. Au fond de la pièce, Lord Voldemort se tenait debout, dos à Bellatrix.
- Potter tente de maîtriser l'art compliqué de l'occlumancie, dit-il soudain d'un ton laconique. Mais ses défenses sont d'une telle fragilité que son esprit est aussi accessible que celui d'un moldu.
Bellatrix ne put retenir un sourire, et s'approcha de son Maître qui lui faisait désormais face.
- Il est incapable de maîtriser ses émotions... devina la mangemort. Cela n'est pas étonnant. Sa sang-de-bourbe de mère était pareil, de ce que j'ai pu entendre sur elle.
Lord Voldemort ne répondit rien à cela. Il était plongé dans ses pensées, et Bellatrix en profita pour le contempler. La nouvelle apparence du Seigneur des Ténèbres fascinait la mangemort. Comment un sorcier pouvait-il atteindre un tel degré de modification corporelle ? Du peu qu'elle savait, Lord Voldemort n'avait ni eu recours à du polynectar, ni n'avait été victime d'une malédiction. La seule chose qu'elle avait compris, c'était que son Maître était devenu immortel. Le moyen demeurait inconnu. Jamais Bellatrix n'avait vu, au cours de ses études, un sortilège capable de donner accès à la vie éternelle. Le seul exemple qu'elle avait était celui de Nicolas Flamel, l'alchimiste français qui avait fabriqué la pierre philosophale et qui s'en était servi pour créer l'élixir de longue vie. Mais Lord Voldemort n'avait aucun intérêt à s'aliéner à ce genre d'artifice. Bellatrix connaissait assez son Maître pour se douter que ce n'était ni cet élixir, ni même du sang de licorne qui avaient rendu le mage noir immortel. Quelque chose, autre chose lui avait donné la vie éternelle, et il en avait payé le prix en renonçant à son ancienne enveloppe charnelle.
Et puis quoi s'il ressemblait désormais à un serpent ? Voldemort pouvait ressembler à n'importe quel monstre si cela lui plaisait, jamais sa plus fidèle servante ne perdrait l'adoration qu'elle lui vouait depuis le tout premier jour. Après tout, les dragons eux aussi étaient des monstres. Pourtant, n'étaient-ils pas parmi les créatures les plus magnifiques de cette planète ?
Ce corps qui était dorénavant celui de Lord Voldemort... il n'avait ni âge, ni race. Derrière cette apparence reptilienne, Bellatrix savait qu'il y avait un sorcier de soixante-dix ans. Pourtant, le Seigneur des Ténèbres paraissait plus fort et plus dangereux que jamais. Ni la vie, ni la mort ne pouvaient le toucher. Lord Voldemort était devenu tout puissant.
Et sa servante n'en était que plus émoustillée.
- Maître ? interpela la sorcière. Quand vous aurez la prophétie...que se va-t-il se passer ?
- Tout dépend de ce que dit la fin de la prophétie, Bella, répondit lentement Voldemort. Mais...dans tous les cas, il faudra renverser le Ministère de la Magie. J'imagine que Poudlard sera ensuite une nouvelle fois le dernier rempart qui se dressera entre moi et le pouvoir total.
- Avons-nous assez d'alliés au Ministère ?
- Nous n'en avons pas nécessairement besoin... Fudge, en niant mon retour, ne fait que nous avantager. Il me permet de progresser sans rencontrer le moindre obstacle, et ment à son peuple. Quand la vérité explosera, il lui sera trop tard pour regagner sa confiance, et je serai là. Un de mes serviteurs sera placé à la tête du Ministère, mais ce sera moi et seulement moi qui prendrai les décisions. Bella, ne vois-tu pas ? Tout cela est d'une facilité déconcertante. C'est comme s'ils avaient tout fait pour m'aider à prendre le pouvoir.
- Il reste Potter, répondit Bellatrix l'air grave.
- Et Potter ne sera bientôt plus, argua Voldemort d'une voix douce, un sourire cruel aux lèvres.
Bellatrix fut rassurée par la confiance inébranlable de son Maître en lui-même. Il avait raison sur toute la ligne. Le Ministère de la Magie était une instance obsolète qui ne résisterait en aucun cas à une autre crise. Le coup d'Etat serait pour Lord Voldemort et son armée un véritable jeu d'enfant, et le Seigneur des Ténèbres n'aurait plus qu'à éliminer le sale gamin une bonne fois pour toute. Ensuite, il serait leur Maître à tous. Et Bellatrix... Bellatrix serait à jamais sa main droite.
- Pourquoi ne pas l'éliminer durant la mission au Ministère, Maître ?
- C'est à moi de tuer le garçon, répondit simplement le mage noir. Et je ne serai pas présent lors de l'attaque. Il est préférable pour moi de ne pas me montrer au grand jour pour l'instant... laissons-les croire que je ne suis qu'un lointain souvenir...
Bellatrix esquissa un sourire et sentit ses joues prendre une couleur pourpre. Le Seigneur des Ténèbres était tout sauf un lointain souvenir. Il était là, en chair et en os devant elle, dans toute sa grandeur. Elle n'en revenait pas de voir à quel point il était grand désormais. Il atteignait facilement les 1m90, et elle, elle était minuscule face à lui. Alors qu'elle s'était à nouveau perdue dans sa contemplation, une question lui traversa l'esprit. Son corps fonctionnait-il encore...comme avant ?
- Bella.
La sorcière leva les yeux, et réalisa immédiatement que son regard s'était posé un peu trop longtemps à un endroit peu approprié, et que Lord Voldemort l'avait bien remarqué. Elle voulu s'excuser, mais s'étrangla avec sa salive, et toussa bruyamment, les yeux exorbités. Quand elle retrouva son souffle, elle n'avait qu'une envie : disparaître sous terre et ne jamais refaire surface.
Pourtant, elle était face à son Maître, et ce dernier l'observait avec un regard insistant. La mangemort n'osa pas le regarder dans les yeux alors, et se contenta de fixer le bout de ses bottes.
- Je préfère te le dire maintenant, finit par dire le mage noir, mais cela n'arrivera pas. Tu étais une distraction. Agréable, certes, mais je ne peux plus m'offrir le luxe d'être distrait maintenant. Tu ferais mieux de regagner tes appartements, il est tard.
Les mots de Lord Voldemort eurent l'effet d'un coup de point dans le ventre de Bellatrix. Elle se sentit nauséeuse alors qu'elle se levait sans un mot pour s'effacer à la présence de son Maître, et sa gorge était si nouée qu'elle en avait mal. Bellatrix retourna dans sa chambre, et s'assit sur le bord de son lit.
Bellatrix n'avait pas lâché une seule larme depuis son emprisonnement à Azkaban. Ni les détraqueurs, ni l'enfermement n'avait su lui ôter la preuve de sa mélancolie.
Mais, alors que les propos du Seigneur des Ténèbres résonnaient encore dans son esprit, elle ne put retenir une unique perle d'argent, qui coula lentement le long de sa joue pâle.