Fugace

By elonaballon

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« Dans chaque cœur résonne l'amour de la liberté. » Aislinn, membre d'un comité culturel, est prise en otage... More

Fugace
Avant-goût
Chapitre un
Chapitre deux
Chapitre trois
Chapitre quatre
Suspension
Chapitre cinq
Chapitre six
Chapitre sept
Chapitre huit
Chapitre dix
Chapitre onze
Chapitre douze
Chapitre treize
Chapitre quatorze
Chapitre quinze
Chapitre seize
Chapitre dix-sept
Chapitre dix-huit
Chapitre dix-neuf
Chapitre vingt
Chapitre vingt-et-un
Chapitre vingt-deux
Trêve du cadran
Chapitre vingt-trois
Chapitre vingt-quatre
Chapitre vingt-cinq
Chapitre vingt-six
Chapitre vingt-sept
Chapitre vingt-huit
Chapitre vingt-neuf
Bulle
Aparté
Chapitre trente
Chapitre trente-et-un
Épilogue
Un mot pour la fin ?

Chapitre neuf

357 41 64
By elonaballon

Aislinn

Angleterre, deux ans plus tard – 14 avril 2020

— Et voilà, demoiselle ! On a fini pour aujourd'hui.

Le timbre rocailleux du tatoueur m'expulse de ma bulle protectrice. Je chasse tant bien que mal ces pensées intrusives de mon esprit. Je me redresse fébrilement du fauteuil, l'air déboussolé et les épaules flasques.

— Désolé de vous avoir fait mal, reprend-il en jetant l'attirail d'aiguilles usées.

Après s'être débarrassé de ses gants, l'homme m'observe à la dérobée. Ses yeux inquisiteurs semblent attendre une réponse de ma part. Les sourcils froncés, je touche mes pommettes du bout des doigts et attrape le mouchoir que l'artisan me tend.

— Merci, dis-je en essuyant mes joues rendues humides par les larmes, le regard rivé sur le sol.

— Y a pas de quoi. Suivez bien les précautions d'hygiène que je vous ai recommandées en début de séance.

Je hoche la tête en signe d'approbation. Alors que je m'apprête à rabattre les manches de mon cardigan, je m'octroie un instant pour contempler le nouveau chef-d'œuvre qui marque ma chair. La délicate écriture blanche qui orne l'intérieur de mes poignets me révulse autant qu'elle me fascine. Apparente à une cicatrice, un fardeau gravé à même la peau pour mieux en conserver le souvenir.

L'astre de jour aux tentacules insaisissables pare la calligraphie. À son extrémité, une lune faite de splendides arabesques encercle à demi une boussole minimaliste aux reflets ambrés – distinguable à l'œil nu si l'on daigne s'approcher.

Mon penchant pour ces symboles vient d'un fait évident : pour moi, l'obscurité est synonyme d'effroi. Dans la nuit noire origine de mes supplices, mes plus grandes peurs surgissent de leurs abysses pour bousculer mon fragile équilibre. Si chaque jour je m'efforce de tranquilliser mon esprit, ce dernier, guidé par mon inconscient, chasse l'infime, l'imperceptible sentiment de paix qu'il m'arrive d'éprouver durant la journée.

— Satisfaite ?

Le créateur me tire une nouvelle fois de mes pensées – à croire que l'expression d'une profonde détresse se peint distinctement sur mon visage.

Je cesse de fixer la marque indélébile pour plonger mon regard dans celui de mon interlocuteur. J'ignore si mon trouble provient de ses iris vairons ou de l'électricité qui s'en dégage. Mes doigts tremblotent sur mes genoux, alors je porte mon attention sur l'oiseau rouge qui couvre la base de son cou.

Une palette de teintes compose le graphique, mais le rouge, le turquoise et le vert prédominent. Le paon majestueux, dont la tête est posée dans le creux de l'épaule de son maître, déploie fièrement ses ailes contournées. Glissant sous le tissu à carreaux, empiétant sur son torse imposant, il m'est impossible d'en distinguer davantage.

— Vous n'imaginez pas à quel point je suis ravie, lui réponds-je après un long moment d'absence.

— En toute honnêteté, et je ne dis pas ça parce qu'il s'agit de mon travail, je trouve que ce tatouage vous sied à merveilles.

Un rire timide s'échappe de mes cordes vocales. Je lui rends un sourire franc avant qu'un masque impassible ne reprenne possession de mon visage.

— Ne le prenez pas mal... Vous n'êtes pas une femme ordinaire.

Le menton incliné, je considère l'homme qui me fait face avec intérêt ; sa silhouette robuste, sa barbe fournie qui contribue à lui donner une allure rebelle pourtant dotée d'une élégance hors pair, un crâne rasé sur les côtés et surplombé de boucles d'un brun éclatant. Je remarque l'air farouche qu'il arbore grâce à son port de tête et la courbure de ses lèvres. Ce type transpire l'assurance et la créativité. Son corps fait office de toile à taille réelle.

L'ironie qui ressort de mon observation m'arrache un gloussement.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Regardez-vous, vous êtes tout aussi singulier. Ce n'est pas une mauvaise chose, bien entendu, ajouté-je par peur de le vexer.

Le froncement de ses sourcils broussailleux accentue sa ride du lion. Sous le néon, sa peau hâlée contraste avec ses vêtements blancs. Le tatoueur tente de me sonder, mais je détourne le regard.

— Quand est-ce que vous seriez disponible pour un autre rendez-vous ? Il faudrait que je peaufine les derniers détails.

Le trentenaire mordille son stylo, puis inscrit dans un carnet aux notes éparses une date qui nous convient à tous les deux.

— Encore merci...

— Ezo, poursuit le concerné en me tendant sa main.

Je la serre chaleureusement, un sourire au coin. Pressée de sortir du salon, j'enfile mon blouson et opte pour un détour sur Crown River Cruises. Je me glisse au cœur de la foule. Dès lors, une sérénité sans précédent élit domicile dans mon esprit.

L'atmosphère est lourde et le ciel, couvert de nuages. Toutefois, la place conserve son dynamisme. Semblable à une ruche, elle grouille d'abeilles en costumes et tailleurs qui pénètrent les halls des tours de verre. De multiples visiteurs pullulent dans les quartiers, foulant les pavés d'un pas décontracté.

Je m'arrête devant un stand qui borde le fleuve agité, puis commande un hot-dog accompagné de frites épicées. Je savoure mon déjeuner sur un banc disposé à quelques mètres de là.

Dissimulé derrière la barrière, sur la plage artificielle, un homme à la casquette grise rassemble un tas de sable pour former le visage d'un sage. Les gratte-ciels, au loin, dominent la capitale de leur vue d'ensemble. Le panorama doit aussi bien valoir le coup que du haut de la célèbre roue. Fascinée par ce paysage, bien que bétonné, j'inspire à pleins poumons. Je me sens revivre enfin.

*

Je me dirige vers Tower Hill, saute dans une rame et patiente jusqu'à ce que le métro desserve au nord-ouest de la ville. Étrangère à ces rues, je reconnais l'hôtel dans lequel je loge à sa façade blanche et ses balcons, desquels pendent des paniers de fleurs rouges.

Je me jette sur le lit double de la chambre. C'est ce moment de détente que ma grand-mère choisit d'interrompre, aussi peu à l'aise soit-elle avec l'usage du téléphone.

— Bonjour, trésor. Je voulais prendre de tes nouvelles.

J'entends son souffle chevrotant à travers l'appareil ainsi que le grincement du vieux canapé en cuir.

— Je vais bien, je rentre du salon.

— Est-ce que ce tatouage te plaît ?

— Plaire est un piètre mot... J'ai la sensation qu'il m'aide à avancer, poser un pied après l'autre.

— Te l'entendre dire me soulage. J'ai hâte que tu rentres au village... Tu verras, un retour aux sources te fera le plus grand bien.

— Je ne viendrai qu'à partir de décembre. Je suis attendue à Oakwood, Chani me reçoit quelques jours.

— Tu sais ce que je pense de cette femme, bougonne Edwige. Je doute que sa présence te soit saine dans une période pareille.

— Qu'est-ce que tu insinues ?

Je me renfrogne, serrant le drap dans mon poing. Je haïs ses réprimandes. Edwige a beau m'avoir élevée comme sa propre fille, je refuse qu'elle joue à la mère protectrice avec moi.

— On en a déjà discuté... Tu portes un jugement à son égard sans avoir la prétention de la connaître.

— Que tu aies vingt-trois ans ou que tu en aies quarante-cinq, je ne cesserai jamais de veiller sur toi, Aislinn. Ne l'oublie pas.

— Je sais pourquoi tu te donnes autant de mal...

Un silence plane entre nous. J'ai conscience d'avoir touché un point sensible. Je me ronge les ongles, laissant le temps à ma grand-mère de formuler ses craintes.

— Ma grande, on n'en a jamais reparlé.

— Je n'en ressens pas le besoin, voilà tout.

— Tu te mens à toi-même... Ôte le voile sur tes yeux, accepte de mettre des mots sur ce qui est arrivé. Tu n'en seras que plus soulagée.

— Si je n'y arrive pas moi-même, comment veux-tu que j'en parle à quelqu'un ?

Une larme s'infiltre dans mon haut. D'autres suivent, l'humidifiant peu à peu. Je ne peux pas contenir ma tristesse quand la silhouette élancée d'une jeune femme blonde aux yeux ambrés, au rouge à lèvres carmin et au sourire contagieux, resurgit de ma mémoire.

— Je ne supporte pas l'idée de te savoir aussi mal alors que tu es loin de moi, loin de Blaise. Rassure ta vieille grand-mère : rentre à Moorland dès que possible. Si tu tiens tant à la voir, tu pourras inviter ton amie à passer quelques jours avec nous.

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