La Fille Gelée et la Face Cac...

By Mllemlaniiiie

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[Ceci est le deuxième tome de La Fille Gelée, vous ne comprendrez pas si vous n'avez pas d'abord lu le premie... More

Disparition
Duel
Sans pitié
Des réponses attendues
Le cimetière de la Vallée
Un dilemme véridique
Vengeance
Malédiction et psalmodie
Duncandò Majïsa
Eshkhan
Boire pour oublier
Court séjour retour
Trois fois Minuit
Un ruban violet
Annonce funeste
Du bluffe?
Flèche meurtrière
Poison
Guérison retardée (+ surprise)
Alex ou Tarek ?
Sang chaud et sang froid
Khyazgaar
Leeroy
Hallucinations
Confessions fraternelles
Le Départ
Le jeu de pomme
Fleur noire et sens clairs
Au cœur d'un soleil noir
Son combat
Alex
Chasse mouvementée
Emelï
Un funeste plafond
Prophétie
Rodeur
Conrad
Bière maison
Prudence
Course poursuite
Un plongeon vers l'inconnu
Le Condamné
Les Khyazgaars
Petite soeur
Nouveau diagnostic
Connais-tu tes amis?
Guérison miracle
Bon anniversaire
Renversement
Les Quatre Elements
Souffrances parallèles
A l'aube d'un soleil noir
Alex ?
Flagellation
Au beau milieu d'une légende
Écailles blondes
Cor en Épicéa
Diversion
Accords silencieux
Edwin
Quatre Dômes
Provocante
Ni blanc, ni noir
Une rage féline
Traqués
Vingt-huit
Le seul vainqueur
Entrée en Guerre
L'homme-elfe
Níniel
Un hiver, cinq mois, mille tensions
Un duel, deux échecs
Message gravé de noirceur
Un ruban violet similaire
Retour des armes
Un nouveau départ
Cerclés d'or
Le reflet du passé
Incohérences et questions
Une sombre nuit
Les flèches
Le voile tombe
Tome 3

Changement de camp

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By Mllemlaniiiie

Bonjour à tous ! Voici un superbe dessin de @HufflepuffDragon, alors, vous devinez de quelle scène il s'agit ? ;) 

         Jayse et Soan étaient pétrifiés, incapables du moindre mouvement ou de la moindre parole, fixant avec horreur Ponghu qui leur tournait le dos. Leur ami qui avait reçu les deux flèches, l'une ayant traversé son épaule droite, mais l'autre s'enfonçant jusqu'à l'encoche en plein milieu de son dos.

        En plein milieu de son cœur.


        Hyamendacil et Othar arrivèrent enfin au niveau des plus grosses branches sur lesquelles reposaient quelques habitations, dont un petit gîte. Les deux elfes s'empressèrent de se cacher derrière une caisse en bois qui gisait non loin d'eux, et observèrent le petit convoi rentrer à l'intérieur du gîte. Cela ne les surprit pas. Depuis cinq mois, les souverains s'octroyaient le droit de virer quiconque de chez lui pour prendre sa place. Et le plus souvent, ils prenaient les gîtes, là où résidaient les chefs des villages en question. Ils ne furent pas non plus surpris d'apercevoir deux gardes à l'entrée, armés jusqu'aux dents.

— Passe par derrière, je m'occupe de l'entrée principale, indiqua Othar à voix basse.

Hyamendacil hocha la tête avant d'ajouter :

— Il va falloir être prudent, à mon avis c'est rempli de gardes à l'intérieur, Aldaron ne resterait pas assis sur un fauteuil s'il n'avait que deux gardes pour sa protection et celle de son fils.

— Restons discrets, il faut éliminer les gardes un à un, et en silence.

Les deux alliés, et dorénavant amis, hochèrent la tête et saisirent fermement leurs couteaux de lancer.

        Mais au moment où ils s'apprêtaient à viser les deux gardes, Othar leva la main, suspendant leur geste. Sans un mot, il pointa du doigt le garde qui venait d'apparaître dans son champ de vision, quelques branches plus haut. Il faisait les cent pas, une lance à la main, veillant sur le gîte plus bas.

        Hyamendacil hocha la tête et rangea son couteau avant d'entamer son escalade. Au grand bonheur du jeune elfe, il ne lui fallut pas plus de cinq minutes pour assassiner en silence le soldat en armure dorée et pour redescendre.

— J'ai vu qu'il y a deux autres gardes sur le toit du gîte, si on doit agir, c'est maintenant. Pour l'instant ils surveillent l'autre côté de la bâtisse.

— Tu arriveras à les gérer pour passer à l'arrière ? demanda Othar.

— J'irais en longeant les murs, ils ne me verront pas, et je me chargerais des autres gardes qui doivent certainement veiller l'autre porte.

Le jeune elfe hocha la tête avant de poser une main sur son épaule et de déclarer :

— Bonne chance.

Les deux amis se regardèrent solennellement avant de tomber d'accord :

— Maintenant.

Comme un seul homme, ils jetèrent leurs couteaux et atteignirent leurs cibles qui s'effondrèrent sans trop de bruit.

Hyamendacil et Othar s'échangèrent un dernier hochement de tête, puis partirent dans des directions différentes, à pas de loup.

        En d'autres circonstances, le jeune elfe aurait pris son temps pour assassiner les gardes, pour que tout se déroule correctement dans le silence et la plus grande discrétion. Mais cette nuit-là, la vie de son ami était en jeu, et il ne pouvait pas se permettre de mettre une heure pour parcourir le gîte. Alors, tandis qu'il parcourait la bâtisse en bois sur la pointe des pieds, il se débarrassa des gardes le plus rapidement possible, et faillit être découvert à deux reprises, évitant de justesse que l'alerte ne soit donnée.

        Finalement, après dix minutes de tension et d'assassinats, la voix d'Aldaron parvint jusqu'à ses oreilles pointues, et le guida dans les différents corridors. Il avait espéré voir arriver Hyamendacil par l'autre bout du couloir, mais lorsqu'il trouva la salle de laquelle s'échappaient les différentes voix, il fut seul, avec pour unique compagnie le soldat à qui il venait d'ôter la vie.

        Le dos collé au mur, à l'affut du moindre son, Othar se contenta dans un premier temps d'épier la conversation.

— Je ne vous doit plus rien Aldaron.

Le jeune rebelle se figea en reconnaissant la voix tremblante de Suron. Il s'était donc réveillé.

        Le rire chaud et presque démoniaque du Roi des Elfes résonna contre les murs en bois.

— Je crois que tu n'as pas bien compris Suron. Je t'ai logé pendant de nombreuses années, je t'ai accueilli en mon royaume et je t'ai protégé de ceux qui haïssaient les personnes dans ton genre. Les bâtards. Tu n'es ni elfe, ni humain, et pourtant, tu as eu la confiance d'un roi. De ton roi. Je t'ai pris sous mon aile, et voilà comment tu me remercie ?!

— J'ai payé ma dette. J'ai presque élevé votre fils, je lui ai enseigné l'art du combat et la maîtrise des armes. Tout ça pour qu'il reste assis les bras croisés pendant que ses hommes se battent sans lui, quel gâchis. Je ne vous dois plus rien, ni à l'un, ni à l'autre.

Othar fut fier d'entendre le vieil homme se défendre ainsi, mais son cœur se serra en constatant la faiblesse de sa voix. Il ne pouvait voir la scène, mais il devinait le piteux état dans lequel il devait être. Le jeune elfe fronça cependant les sourcils en entendant un grognement menaçant, et comprit qu'il y avait un loup à l'intérieur. Il pesta intérieurement. Othar entendit ensuite le plancher craquer, puis des bruits de pas. Il supposa que le roi qui s'avançait vers Suron.

— Laissez-nous, vous pouvez disposer, ordonna Aldaron.

Le jeune elfe écarquilla ses yeux et saisit fermement la garde de son épée. Il n'avait plus le temps de fuir, il allait devoir se battre.

        Othar se recula légèrement, prenant soin de ne pas faire grincer le parquet qui recouvrait le sol. Il eut juste le temps de se dissimuler derrière le recoin du mur avant de voir sortir les deux cavaliers qui avaient escorté Suron. À son grand désespoir, il les vit également tourner dans sa direction. L'affrontement était inévitable.

        Derrière le coin du mur, son torse se soulevant rapidement, épée bien en main et campé sur ses jambes, il prit une grande inspiration et attendit que ses adversaires se montrent. Mais à la place, il entendit deux petits hoquets, et le bruit d'une chute qu'on aurait voulu camoufler. Prudent, Othar risqua un œil dans le long couloir, et retint un soupir de soulagement lorsqu'il aperçut Hyamendacil, accroupit au-dessus des deux soldats dont il avait ralenti la chute après les avoir tués.

        Les deux elfes s'échangèrent un regard entendu, mais le soudain grondement du loup à l'intérieur de la pièce voisine les inquiéta. Othar comprit alors et expliqua silencieusement à son coéquipier que le canidé flairait les cadavres et le sang dont ils étaient couverts. Il fallait qu'ils éloignent les soldats avant que l'animal ne les trahissent.

        Sans un bruit, ils alternèrent alors leur rôle. Lorsque l'un d'eux montait la garde, l'autre amenait un corps dans les couloirs voisins, dorénavant seulement occupés par des soldats inanimés. Ce fut un miracle qu'ils puissent dégager les trois soldats sans être entendus, mais le ton avait monté du côté du Roi, et les cris avaient couvert les grincements du parquet, ou les bruits que faisaient les armures en mouvement.

— Je crois que tu n'as pas très bien compris ! s'écria Aldaron. Ce n'est pourtant pas bien compliqué ! Si tu veux vivre, tu n'as qu'à me prêter allégeance et me dire où je peux trouver ce lâche d'Othar ! Sinon je te laisse te vider de ton sang !

Un silence accueillit la menace alors qu'Othar et Hyamendacil reprenaient place, collés au mur, oreilles tendues.

— Je ne dirais rien, pas même sous la torture.

Suron avait prononcé ces mots avec la force qui lui restait, mais sa voix était faible.

Les deux rebelles entendirent le Roi jurer et un fracas qui les fit sursauter. Aldaron venait probablement de balancer un objet à travers la pièce, fou de rage.

— Tu sais quoi ? Si tu es tant déterminé à mourir, j'en retirerais plus de plaisir si je t'achevais moi-même.

Le bruit d'une épée que l'on retire de son fourreau crissa soudain, faisant froncer les sourcils d'Othar et Hyamendacil. Ces deux derniers n'eurent pas besoin de se concerter, et firent un pas en avant, la main sur le pommeau de leur épée, avant d'être brusquement coupés dans leur élan par un ordre perçant :

— Non.

Hyamendacil arqua un sourcil en reconnaissant la voix d'Elendë. Il leva sa main, faisant signe à Othar de ne pas intervenir immédiatement.

— Que viens-tu de dire malheureux ?! gronda Aldaron

Mais le prince ne se laissa pas démonter :

— Il n'était pas question de tuer Suron. Le seul dont on veut la tête, c'est Othar.

— Arrête tes caprices Elendë ! Je suis le Roi et tu es encore bien loin du trône. Alors cesses tes enfantillages, Suron n'est pas un ami, c'est un ennemi qui n'hésitera pas à te poignarder dans le dos dès qu'il en aura l'occasion !

Des bruits de pas parvinrent aux oreilles des deux rebelles cachés derrière le mur, alors qu'un second crissement d'épée retentit.

— Je suis désolé, mais tuer un homme déjà à terre, il n'en n'est pas question. Ce ne sont pas les valeurs d'un combat. Encore moins lorsqu'il s'agit de Suron qui fût autrefois ton ami.

— Qu'est-ce que tu fais ?! demanda Aldaron abasourdi. Et ne me parles pas de valeurs, nous avons exactement les mêmes ! Tu es mon fils, je suis ton père, et je suis ton roi ! Ecartes-toi de mon chemin ! Suron, comme tu l'as si bien dit, fait partie du passé, il n'est plus de notre côté !

Un silence pesa de longues secondes dans la pièce, mais fut finalement brisé :

— Même si Suron nous a trahis, il a été le père que tu n'as jamais été, et que tu ne seras probablement jamais. Il faudra me passer sur le corps si tu comptes le tuer.

Othar et Hyamendacil écarquillèrent les yeux et se regardèrent, stupéfaits.

— Pardon ? Répète-moi ça ?!

La voix du Roi des Elfes grondait comme un volcan prêt à exploser, mais son fils n'en démordit pas :

— Il est hors de question de tuer Suron.

— Tu préfères sauver la peau de ce traître plutôt que de suivre ton propre père ?! Ton vrai père ?!

— Un vrai père n'aurait jamais préféré le pouvoir à son fils.

Le loup grogna de plus belle.

— Mais qu'est-ce que tu racontes !? Tu aimes autant le pouvoir que moi ! Tu as toujours voulu être au courant des affaires du Royaume et tu me soutenais dans toutes mes démarches ! Ose-me dire que tu n'aimes pas le pouvoir ! Pourquoi tu voudrais voir la tête d'Othar sur un piquet si ce n'était pas le cas ? Tu es jaloux du pouvoir qu'il exerce sur ses soldats, sur les elfes du Royaume. Tu as toujours été aussi avide de pouvoir que moi, alors ne me le reproche pas !

Le rire d'Elendë fut si mauvais que les deux rebelles en frissonnèrent.

— Le voilà le problème. Tu es tellement aveuglé que tu n'as rien compris. Si je veux voir Othar mort, c'est parce que je suis jaloux oui, mais pas de son pouvoir sur les elfes du royaume, mais de son pouvoir qu'il a sur toi ! Tu l'as toujours préféré à ton propre fils, parce que tu savais qu'il te suivrait n'importe où ! Dès que tu l'as connu, tu l'as adoré, tu l'as performé, tu l'as entraîné, et tu en as fait ton meilleur soldat pour qu'il te suive jusqu'au bout du monde ! Tu ne voyais que par Othar, Othar et encore Othar ! Et même lorsqu'il te tourne le dos, même lorsqu'il te trahit et te prend une partie de ton armée, tu trouves le moyen de l'épargner ! Cinquante coups de fouets ? Sérieusement ? Si cela avait été n'importe quel autre elfe, tu l'aurais décapité de tes propres mains sans la moindre compassion ! Et ne me parles pas de la peine de mort que tu as soi-disant abolie, on sait tous les deux que les elfes portés disparus croupissent au fond du grand lac ! Mais il s'agissait d'Othar après tout, pourquoi tu voudrais tuer ton préféré ? Mais voilà, il y a un problème n'est-ce pas ? Ton petit Othar adoré te hais maintenant, et cela te ronge tellement que finalement, tu préférerais le voir mort que de supporter la haine qu'il a envers toi ! Othar a toujours été le fils que tu as voulu avoir ! Un elfe normal, pas brun, aux yeux bleus et non pas verts comme un croisé entre humain et elfe ! Tu avais honte de moi, tu as toujours pensé que j'étais un bâtard ! Mais tu ne pouvais pas le dire à voix haute, tu ne pouvais pas me renier, sinon c'était la honte pour toi, la honte aux yeux de tous ! « Le fils du roi est-il vraiment son fils ? », « Le roi est-il cocu ? », tu n'aurais jamais supporté tant d'humiliation ! Mais je suis désolée de te l'apprendre et de te décevoir, je suis ton fils, tu es mon père, et mère t'aimait. Mais depuis sa mort, cela s'est empiré. Déjà que tu ne t'occupais pas beaucoup de moi, tu en es carrément venu à oublier que tu avais déjà un fils, ton vrai fils ! Moi ! Je n'étais que ton associé, ton conseillé, mais jamais ton fils ! Quand mère a été tuée, tu as m'oublié ! Pourquoi à ton avis je suis toujours d'accord avec tes idées, tes démarches ? Pourquoi je fais tout pour te ressembler ?! Parce que c'est la seule chose que j'ai trouvé pour exister à tes yeux ! Alors non, je n'ai jamais été avide de pouvoir, je te l'ai fait croire pour que tu sois fier de moi. Suron, à ta demande, restait avec moi, et lui au moins ne me demandait pas d'être quelqu'un d'autre ! Car oui, tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même. Au début, tu t'es servi de Suron pour te débarrasser de moi pendant que tu t'occupais d'autres enfants, d'Othar ! Tu lui demandais de rester avec moi, de m'entraîner, pendant que tu entraînais Othar. Tu préférais passer du temps avec lui plutôt qu'avec moi, au point que tu as presque embauché Suron comme une nourrice pour veiller sur moi ! Alors oui, j'étais jaloux d'Othar car il était le fils que je ne serais jamais, mais Suron a été le père que tu n'as jamais été, et même si aujourd'hui il nous a trahis, il faudra que tu me tue avant de le tuer lui.

Un silence pesant accueillit cette déclaration lourde d'aveux. Les deux rebelles se regardèrent, abasourdis par cette vérité qu'ils n'avaient jamais soupçonnée.

— Je... bégaya Aldaron, confus et pris au dépourvu.

— Non, coupa sèchement Elendë. Tu vois, tu allais encore commencer une phrase par « je ». Il n'y a que toi qui compte, toi et toi seul. Il n'y a jamais eu que toi.

Othar fit un signe à Hyamendacil. L'ambiance s'était calmée, et c'était le moment parfait pour intervenir.

        Les deux elfes sortirent de derrière le mur à toute vitesse, prenant rapidement connaissance des lieux, et se jetèrent sur les deux souverains. Ces derniers, qui étaient en face l'un de l'autre, n'eurent pas le temps de réagir et furent projetés à terre avant d'être immobilisés, une lame sur la gorge.

        Le loup avait retroussé les babines et s'apprêtaient à sauter sur les deux rebelles quand Othar émit un court et fort sifflement. S'il n'avait pas dressé ce loup, il savait comment détourner son attention pour gagner assez de temps, et durant les courtes secondes d'hésitation du canidé, Hyamendacil en profita pour menacer le roi :

— Dis à ton loup de rester calme si tu ne veux pas que je te tranche la gorge immédiatement.

La stupeur dans les yeux clairs du Roi n'eut aucun effet chez l'ex Chef Soldat qui était déterminé à en finir. Aldaron, la surprise passée, s'empressa d'ordonner à l'animal de se coucher, ce qu'il fit sans rechigner.

        Le silence tomba alors sur la pièce. Hyamendacil maîtrisait le Roi tandis qu'Othar s'occupait du Prince, et Suron, lui, un sourire aux lèvres, se contentait d'économiser ses forces. Aucun des deux souverains ne bougeait, à la merci des rebelles. Ces derniers avaient des regards noirs, alors que leurs visages, recouverts de boue, de sang et de sueur témoignaient de l'enfer qui se déroulait dehors.

        Le regard d'Elendë paraissait différent. Il n'était plus cruel, plus mauvais. Il était réel. Les sourcils froncés, il demanda à Othar :

— Je suppose que vous avez tout entendu ?

Le jeune elfe répondit alors entre ses dents :

— Aldaron n'était pas mon père. Il ne l'a jamais été.

Hyamendacil, les yeux rivés dans ceux de son ex-supérieur, demanda :

— Vous avez une minute pour nous donner une bonne raison de ne pas vous tuer sur le champ.

Aldaron se mit à rire alors que la lame frôlait sa peau.

— Si vous êtes ici, c'est que vous avez tué une bonne partie de ma garde. Vous n'auriez pas tué tout ce monde dans le seul but de nous épargner. Alors allez-y, qu'on en finisse.

Les rebelles semblèrent hésiter. Ils avaient souhaité ce jour depuis tant de mois, mais maintenant que leur vœu se réalisait, ils ne savaient plus tellement quoi faire, surtout après les révélations qu'ils venaient d'entendre.

— Laissez-moi réparer les erreurs de mon père, demanda alors Elendë.

Othar arqua un sourcil, retenant un rire.

— Réparer les erreurs de ton père ? Comme Aldaron voulait le faire avec le sien ? Hmm... ça sonne faux. C'est du déjà-vu. Trouve autre chose.

Il tenait fermement sa dague contre le cou du Prince. Il avait tant haï cet elfe, celui qui l'avait humilié, qui l'avait battu violemment alors qu'il était vulnérable. En d'autres circonstances, il n'aurait jamais hésité un dixième de seconde et Elendë serait déjà en train de se vider de son sang. Mais ce qu'ils avaient entendu quelques minutes plus tôt le fit douter.

— Maintenant j'ai compris que quoi que je fasse, je ne serais jamais son fils. Alors il est temps qu'au moins, je redevienne qui je suis. Laissez-moi réparer ses erreurs. Laissez-moi mettre un terme à cette guerre civile. Je reprendrais les rennes et j'enverrais moi-même mon père en justice pour tous ses crimes.

Othar serra les mâchoires.

— Et tes crimes à toi ? Qui les jugera si tu remontes sur le trône ?

Elendë fixa droit dans les yeux celui qu'il avait tant haï, et déclara :

— Le peuple. Demande au peuple ce qu'il veut de moi, et j'accepterais mon sort.

Les deux rebelles se regardèrent, étonné d'une telle prise de risque, et Hyamendacil demanda à son tour :

— Après tant d'années de mensonges, comment te croire ?

Le jeune prince aux cheveux bruns répondit alors :

— Emmenez-moi sur le champ de bataille. Tous les soldats royaux ont prêté allégeance à la couronne et à sa famille. Je leur ordonnerai de cesser le combat et de se replier.

Les rebelles se regardèrent un instant. Pouvaient-ils lui faire confiance ? En avaient-ils vraiment envie ? Mais avaient-ils le choix ? Si Elendë tenait parole, cela signifiait la fin de la bataille, il y avait eu assez de morts, et ils doutaient de gagner le combat face à un nombre de soldats si important.

        Après de longues secondes de réflexion, ils finirent par soupirer puis hochèrent la tête d'un accord commun.

— Ne nous le fais pas regretter, siffla Hyamendacil entre ses dents.

Il rangea sa dague et se releva pour se diriger vers Suron qui était toujours ligoté. Son abdomen était ensanglanté, et le vieil homme n'était plus très loin de perdre conscience à nouveau.

        Othar lui, fixa longuement Elendë. Puis brusquement, il lui asséna un violent coup de poing au visage, faisant immédiatement saigner sa pommette gauche.

— Ça, c'est pour m'avoir frappé.

Le prince toussa bruyamment en échappant un râle rauque alors que le sang s'écoulait sur sa peau lisse, avant de répondre entre ses dents :

— C'est de bonne guerre.

Le jeune elfe le saisit par le col avant de le relever et de le remettre sur pied sans délicatesse.

— Pour les coups de fouets et tout le reste, c'est le peuple qui décidera de ton paiement. En route.

Hyamendacil libéra Suron de ses liens, et s'en servit pour ligoter Aldaron qui ne répliqua pas. Il n'avait pas prononcé un mot, choqué par les révélations, l'attitude de son fils et la tournure que prenait les évènements, et se laissa faire sans broncher. Cela ne lui ressemblait pas, lui le Roi orgueilleux. Mais l'aveu d'Elendë avait remué le passé, et remué l'elfe qu'il avait été des années auparavant.

        Othar guida le prince hors du gîte, mais ne le tint plus par le col de sa tunique. S'il fuyait, il le tuerait sans plus hésiter. Tout reposait sur le prince et sur sa parole. Hyamendacil lui, porta Suron jusqu'à la nacelle, et ils descendirent tous les quatre en silence. Le vieil homme les avait remerciés chaleureusement d'être venu à son secours avant de sombrer dans l'inconscience.

        Une fois en bas, Othar siffla entre ses doigts.

— Emmène Suron se faire soigner, ne perd pas de temps. Eshkan t'obéira.

Hyamendacil hocha la tête, et attendit l'arrivée du loup pour disparaître sur son dos dans la forêt avec Suron.

        Othar et Elendë quant à eux, se mirent à courir. Trop de temps s'était écoulé, trop de gens étaient morts. Ils devaient en finir. Le jeune elfe menaça une énième fois le Prince :

— Si tu manques à ta parole, je te tue sur le champ.

— Je n'ai jamais réellement souhaité tout cela. J'en assumerais les conséquences, mais avant, tâchons de réparer ce qui peut l'être.

Moins de dix minutes plus tard, les deux elfes se trouvaient sur une haute branche et surplombaient le massacre. Même dans la nuit, les amas de cadavres étaient visibles, baignant dans la boue et le sang. La bataille faisait rage, les hurlements transperçaient la nuit de leur puissance tandis que les soldats dorés restaient très nombreux.

        Othar fut fier de ses soldats qui avaient su tenir tête à l'armée royale, mais il fut déchiré à la vue du nombre de défunts, morts pour la liberté du Royaume. Qu'ils fussent soldats ou civiles engagés, tous s'étaient battus avec le même objectif : la paix. Il se jura alors que tant qu'il vivrait, il ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour qu'une telle guerre civile n'ait jamais à revoir le jour.

        Le cor en épicéa gronda soudainement dans la nuit. Qu'ils soient au sol ou dans les arbres, alliés ou ennemis, tous les combattants furent pris au dépourvus. Le cor sonna une nouvelle fois, et cette fois-ci, presque tout le monde s'arrêta. Plus personne, ou presque, ne se battait. Tout le monde regardait à droite, à gauche, cherchant à comprendre la raison pour laquelle sonnait le cor. Aucun ordre n'avait été donné, et le cor n'était jamais sonné hormis pour signaler l'approche d'un ennemi.

        Elendë profita de l'ignorance qui agitait les rangs et du calme qui en découlait pour prendre la parole. Il s'exprima dans une sorte d'objet en bois en forme de cône creux qui eut pour effet d'amplifier sa voix au sein de la forêt.

— Soldats royaux, jetez vos armes.

Un mouvement d'étonnement et de protestation se leva des rangées royales. Mais le Prince ne s'arrêta pas là :

— Je suis Elendë, fils d'Aldaron, et je vous demande de jeter vos armes. La bataille est terminée. Je suis aux côté d'Othar, qui est l'un des responsables de l'armée des rebelles, et nous avons conclu un accord.

Un silence accueillit cette nouvelle.

— Aldaron n'est plus le roi de ce Royaume. Aujourd'hui il n'y a personne sur le trône. Othar a accepté me laisser une chance de m'expliquer auprès de vous. Auprès du peuple des elfes. J'ai donné ma parole que vous, et vous seuls serez responsables de mon destin. Dans deux jours, je serais sur l'Esplanade Rouge, à la Capitale. Je vous invite à venir m'y rejoindre, car c'est là-bas que vous déciderez de mon sort et de celui d'Aldaron. Et quelle que soit votre décision, je m'y plierai. Vous avez le pouvoir maintenant, et si vous l'acceptez, nous trouverons des solutions ensembles.

Othar observa sous ses pieds, et se crispa lorsqu'il ne vit personne poser les armes, tous à l'affut. Puis, finalement, un groupe de combattants jeta leurs épées au sol, et furent suivis par d'autres, jusqu'à ce que tout le monde soit finalement désarmé alors qu'une vague de murmures et de commentaires noyait petit à petit les soldats. Le jeune elfe soupira de soulagement, et se tourna vers Elendë :

— Merci. Mais jusqu'à après-demain, je vais devoir vous garder sous haute surveillance toi et ton père. Vous ne serez pas libres de vos mouvements jusqu'à ce que le peuple décide.

Le prince hocha la tête, le menton haut, puis répondit d'une voix déterminée :

— Quel que soit leur choix, je le respecterai. En attendant, il vaudrait mieux que mon père et moi ne soyons pas dans la même pièce.

Cette remarque réussit à étirer un sourire à Othar qui hocha la tête. Puis, solennellement, il lui tendit la main. Elendë fut étonné, mais la saisit fermement et ils s'échangèrent une poignée de main lourde de sens.

        Othar savait faire la différence entre un homme naturellement mauvais, et un homme blessé. S'il ne portait toujours pas le prince dans son cœur, il avait entendu une version différente de celle que connaissait, ou pensait connaître le peuple. Cela n'excusait en rien toutes les barbaries que les souverains aient pu commettre, mais cette nuit-là, Othar comprit Elendë. Il le comprit, et étonnamment, cela atténua la haine qu'il avait ressenti envers lui. Et la poignée de main qu'ils échangeaient en disait long sur le futur qui les attendait.

— Fais en sorte que je n'ai pas à te tuer, et répare tes erreurs.

— Je ne suis plus maître de mon destin, le peuple décidera.

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