La Fille Gelée et la Face Cachée

Un duel, deux échecs

         L'hiver avait été long, durant ces cinq mois, mais il avait pris fin, et une ère nouvelle naissait désormais.

        Les bâtons de bois s'entrechoquaient sous le soleil matinal qui éclairait l'arrière de la maison qu'habitaient les trois dragonniers et Conrad. Les sons mates du contact entre les deux armes improvisées comblaient le calme de la fraîche nature qui les entourait. Cependant, leurs esprits plongés dans le duel, et leurs souffles saccadés les maintenaient dans leur bulle, aveugles aux alentours, sourds aux bruissements des feuilles dans la brise, et indifférents aux rayons lumineux qui tentaient de réchauffer leur peau.

        Aïkida et Tarek s'entraînaient déjà depuis plus d'une demi-heure sous le soleil éclatant, seuls, Leeroy étant parti chasser, emmenant Conrad avec lui afin de lui enseigner les gestes et les réflexes à avoir. Ils étaient les deux seuls dans le secteur, puisqu'aucun Khyazgaar ne s'approchait plus de la maison, mais leur duel remplissait le vide alentour d'une atmosphère particulière.

        Aïkida fit agilement tournoyer son bâton au-dessus de sa tête pour ensuite le saisir brusquement à deux mains, à sa base, le tenant de la même façon qu'elle tenait son épée. Ses paumes de mains étaient douloureuses, rouges et écorchées par le bois brut qui transperçait sa peau de dizaines d'échardes. Son regard lui aussi était rouge, tout d'abord à cause de la poussière que les deux dragonniers soulevaient durant leur combat, mais également rouge d'une ferveur qu'elle avait retrouvée durant ces derniers mois.

        La jeune femme descendit son bâton avec force, fendant l'air verticalement en faisant un habile mouvement de poignet, pour atteindre l'épaule de son adversaire. Mais ce dernier avait encore une fois anticipé le coup. Il saisit les deux extrémités du morceau de bois qui lui servait d'arme, et le leva horizontalement de sorte à bloquer sans difficulté l'attaque de la jeune femme. Celle-ci s'était cependant doutée d'une telle parade et avait à son tour prévu un mouvement de réponse. Tirant son bâton bloqué par celui de Tarek vers le bas, faisant grincer les morceaux de bois l'un contre l'autre, elle put ensuite faire pivoter ses poignets vers la gauche et ainsi frapper horizontalement l'abdomen du dragonnier. Il encaissa le choc en serrant les dents, n'ayant contracté sa ceinture abdominale que trop tard, et grimaça face à la puissance de la frappe. Cependant, il ne baissa pas sa garde pour autant et répliqua par un violent coup de bâton dans les genoux de la jeune femme.

        Plus par hasard que par réelle intention, Tarek frappa les nerfs d'Aïkida au niveau de ses articulations. Les jambes de celle-ci furent immédiatement foudroyées par une décharge de douleur qui la fit tomber à genoux, lui tirant à elle aussi une somptueuse grimace. Les fourmillements lui paralysèrent les membres jusqu'à ses orteils, alors que sous le choc, sa respiration fut coupée.

        Un sourire en coin naquit sur le visage brillant de sueur du dragonnier qui reprenait son souffle.

— Tu vois quand tu veux, tu sais t'agenouiller devant tes supérieurs.

Encore incapable de bouger, clouée au sol, Aïkida se contenta de fixer son adversaire dans les yeux, haletante.

        Leurs deux visages étaient couverts de sueurs et de terre du fait de leurs chutes précédentes, alors que leurs poitrines se levaient rapidement sous le rythme soutenu de leurs respirations essoufflées.

— Frapper est le seul moyen que tu aies trouvé pour qu'on s'agenouille enfin devant toi, répliqua la jeune femme en essuyant son front d'un revers de poignet.

Elle tenait toujours son bâton, mais avait cependant écarté ses mains pour le saisir à chaque extrémité tandis que le sourire de Tarek s'étirait un peu plus face à la remarque piquante de la jeune guerrière. Cinq mois s'étaient certes écoulés, mais ils n'avaient cependant pas perdu leurs bonnes habitudes et continuaient de se lancer des piques dès qu'ils en avaient l'occasion.