Oooups... Encore un peu de retard !
Soudain, Sooney apparut dans leur champ de vision en traînant un corps derrière lui. Le visage fermé et le regard noir, il foudroya les dragonniers de ses yeux sombres. Il se décala et laissa tomber la corde à laquelle était attachés les poignets de Tarek. Ce dernier gisait sur le sol, inconscient, un œil au beurre noir.
Tous avaient les yeux rivés vers le dragonnier. Aïkida et Leeroy le regardaient avec inquiétude, le cœur battant la chamade, bouche bée, tandis que Safia, Alex et Conrad le fixaient avec incompréhension.
D'une voix grave, Sooney proposa alors :
— Peut-être que votre ami va pouvoir nous l'expliquer dans ce cas ?
D'un geste vif, Leeroy fit tournoyer ses poignets alors qu'un picotement lui irrita la peau le long de son bras. Personne n'eut le temps de réagir avant qu'une sphère translucide ne les englobe tous, les mettant ainsi à l'abris des oreilles indiscrètes. Le sort de silence, le dragonnier le maîtrisait bien.
Sooney croisa les bras, mécontent, alors que ses yeux noirs foudroyaient les jeunes gens.
— Quelqu'un peut-il m'expliquer ce qu'il se passe ? s'écria Alex.
L'homme à la tâche noire se fit un plaisir de lui répondre :
— Il se trouve que ce cher Tarek s'est fait passer pour toi pour pouvoir se servir de Safia et ainsi connaître un moyen d'accéder à l'endroit où Emelï subit les soins nécessaires à sa guérison.
Aïkida écarquilla les yeux en apprenant le but de sa démarche.
Mais Leeroy, lui, avait froncé les sourcils, tandis que Safia était bouche bée et rougissante. Comment un inconnu avait-il si aisément deviné son attirance pour Alex, et comment avait-il fait pour s'en servir aussi facilement ? Après la surprise, une colère sourde montait en elle.
Conrad tira sur le poignet d'Aïkida, et lui demanda d'un regard inquiet si Tarek allait bien. La jeune fille fut ravie de comprendre que le petit garçon commençait à s'attacher à eux, et le rassura d'un signe de tête, bien qu'elle ne fût sûre de rien.
— Faisons un marché, proposa calmement Leeroy d'une voix néanmoins autoritaire.
Mais Sooney ne semblait pas disposé à discuter.
— Je ne crois pas. Vous assumerez vos actes devant Wanda, et en porterez les conséquences.
Mais alors qu'il s'apprêtait à faire demi-tour, le jeune blond déclara fermement :
— Je ne suis pas sûr que Wanda apprécierait de savoir que vous êtes incapable de surveiller une enfant en cage. Si Tarek a pu entrer, où que ce soit, et que Safia a pu l'y conduire sous votre nez, c'est une faute qui vous revient entièrement. Ensuite, je ne suis pas sûr non plus que Safia apprécierait que tout le clan apprenne qu'elle s'est faite battre au combat, elle qui se revendique si forte, d'autant plus qu'elle n'a pas respecté les règles qu'elle avait elle-même imposées. Et enfin, nous risquons de rester avec vous pendant quelques temps, je vous déconseille donc de provoquer trois dragonniers dès les premiers jours, sachant que deux dragons sont à nos côtés.
Sooney et Safia serraient les poings, fulminants. Un long silence pesant s'installa dans la ruelle tandis que Leeroy s'approchait d'eux, remuant la poussière sur le sol. D'une voix calme, il exposa :
— Tarek était avec nous ce matin, et aucun d'entre vous ne l'a aperçu. Nous sommes d'accord ?
Les yeux noirs de son interlocuteur ne cillèrent pas lorsque celui-ci répondit à contre cœur :
— Je n'ai croisé que Safia.
Le jeune blond tourna ensuite un regard vers la tigresse qui le foudroyait de ses yeux orangés. Il savait qu'elle hésitait, qu'elle mourrait d'envie de les dénoncer pour les voir partir et retrouver sa petite vie tranquille. Mais il sentait aussi qu'elle tenait beaucoup à sa réputation.
— Qu'est-ce qu'une tigresse sans le sens de l'honneur et de la loyauté ? demanda-t-il en faisant allusion à sa tentative de tricherie durant leur combat.
Le visage de la jeune femme se tordit en une grimace haineuse, puis elle finit par soupirer et cracha :
— J'étais avec Alex. Le vrai.
Ce dernier qui commençait tout juste à comprendre ce qu'il s'était passé, se vit obligé d'hocher la tête à son tour, bouclant leur accord secret.
Ils ne dénonceraient pas Tarek, et les dragonniers ne trahiraient pas les fautes et faiblesses de chacun.
D'un geste souple, Leeroy leva alors le sort de silence, et la sphère translucide qui les entourait disparut aussitôt. Sooney, Safia et Alex ne prirent pas la peine de rester une seconde de plus et s'en allèrent entre deux ruelles, laissant Conrad avec les trois dragonniers.
Sans prendre le temps de soupirer de soulagement, Aïkida et Leeroy s'accroupirent immédiatement aux côtés de Tarek qui gisait sur le sol, toujours inconscient. Son œil droit était encerclé par une couleur violette tandis que du sang s'échappait de son arcade sourcilière et s'écoulait le long de sa tempe.
— Mon pauvre Tarek, dans quelle situation tu nous as tous mis, murmura Leeroy en sectionnant la corde qui attachait ses deux poignets grâce au couteau qu'il gardait secrètement caché dans sa botte.
Tout ça pour aller voir Emelï... songea la Fille Gelée. Elle ne put s'empêcher de le remercier intérieurement.
— Je sais comment le guérir facilement, indiqua Conrad de sa petite voix.
Leeroy et Aïkida tournèrent vers lui un regard interrogateur, l'incitant à poursuivre.
— J'ai souvent eu des coquards. Il faut poser de la glace sur son œil et chercher des herbes particulières, je peux peut-être en trouver dans les bois à côtés.
Les deux dragonniers se lancèrent un coup d'œil, avant que finalement, Aïkida hoche la tête en souriant :
— Merci, on va le ramener dans la maison où on a dormi cette nuit. Tu nous rejoins là-bas ?
Le petit rouquin afficha un grand sourire, heureux d'avoir enfin une mission utile. Sans perdre plus de temps, il s'élança en courant dans différentes ruelles pour rejoindre le bois. Ses jambes étaient certes petites, mais rapides.
Une fois qu'il eut disparu, Aïkida se tourna vers son ami et lui demanda :
— Comment on va faire pour cacher le fait que Tarek soit inconscient en le ramenant à la maison ?
Leeory gratta son menton, et constata par la même occasion qu'il avait une barbe naissante. Cela faisant en effet quelques jours qu'il ne s'était pas rasé.
En pleine réflexion, il proposa alors :
— Nous savons tous les deux comment devenir invisibles, on peut peut-être essayer d'étendre la magie sur Tarek ?
Aïkida prit le temps de songer à cette proposition, mais fit finalement « non » d'un signe de tête.
— C'est trop risqué, on ne sait pas comment il va réagir, et il est inconscient, on ne pourra pas savoir s'il supporte le sort ou pas.
Mais alors qu'ils réfléchissaient à un moyen de faire passer Tarek inaperçu, ce dernier grogna.
— Foutu mal de crâne...
Il se massa le front, les yeux toujours fermés tandis qu'Aïkida et Leeroy souriaient, soulagés de retrouver le mauvais caractère de leur ami.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Je me souviens juste de...
Sa voix s'assombrit aussitôt alors qu'il reprenait ses esprits.
— J'étais allongé dans l'herbe quand cette vermine de Sooney m'a balancé un coup de poing en pleine face. Je crois qu'après il m'a assommé avec un bout de bois.
Le jeune brun se redressa alors pour se trouver en position assise, et tâta l'arrière de son crâne pour y trouver une bosse douloureuse.
— Tu es complètement malade de prendre l'apparence d'Alex en plein milieu du village ! s'exclama Aïkida maintenant rassurée par l'état du dragonnier.
Ce dernier tourna son seul œil ouvert vers la jeune fille.
— C'est fou comme ta voix peut me donner mal à la tête p'tite gelée.
Leeroy posa une main apaisante sur l'épaule de d'Aïkida et proposa calmement :
— Nous devrions rentrer pour discuter de tout ça. Tarek a des choses à nous raconter, et nous aussi.
La jeune fille soupira et hocha la tête. Elle se releva alors, imitée par Leeroy qui, par la même occasion, offrit son bras à son frère d'arme pour l'aider à se remettre sur ses deux jambes.
— Wow... Doucement...
Tarek porta une main à sa tête alors qu'un violent tournis s'emparait de lui.
— La dernière fois que je t'ai vu dans cet état tu étais ivre mort, plaisanta la Fille Gelée.
— La faute à qui.
Ces paroles atteignirent Aïkida de plein fouet alors qu'elle se crispait. C'est vrai, il était ivre mort pour oublier celle de Brusanth.
Cela jeta un froid sur les trois dragonniers, et nul ne parla jusqu'à leur arrivée à la petite maison. Ils avaient eu la chance de ne pas croiser beaucoup de monde, mais le peu de regards avaient dévisagés Tarek qui marchait difficilement droit, avec le soutien discret de son frère de combat. C'était vrai, il ressemblait à un ivrogne s'étant battu durant la nuit.
Conrad s'était suffisamment enfoui dans le bois pour n'être visible de personne depuis le village, et même quelques mètres plus loin. Essoufflé par sa course effrénée, il s'assit dans l'herbe, en tailleur, entre deux arbres. La nature calme apaisa son cœur qui tambourinait contre sa cage thoracique tandis que l'air pur de Dame Nature emplissait ses poumons d'une douce sensation de liberté.
Devant lui, poussait simplement de l'herbe verte, parsemée de quelques fleurs blanches, mais aucune plante particulière. De sa petite main droite, il en cueilli néanmoins un brin et l'amena devant ses yeux émeraude pour l'examiner attentivement. Il y trouva dessus, une toute petite coccinelle qu'il dégagea en lui souffla dessus.
Après quelques secondes d'observation, il ferma les yeux en emprisonnant le brin d'herbe au creux de sa main. Au sein de cette nature, il écouta les oiseaux chanter, les petits animaux ramper ou escalader les arbres tandis qu'il se perdait un peu plus dans ses pensées.
Il repensait à son sombre passé, à son douloureux souvenir de sa vie d'avant. Avant ce jour qu'il adorait tant dorénavant. Avant que Leeroy ne le trouve en compagnie des rodeurs et ne le libère de son enfer.
Une larme roula sur son visage joufflu tandis qu'il serrait les poings.
Finalement, après de longues secondes, lorsqu'il reprit ses esprits, ses grands yeux verts se posèrent vers sa paume de main qu'il venait d'ouvrir.
Au creux de celle-ci, se tenait une magnifique fleur bleue, riche de cent pétales et douce de cent nuances.