Les radiateurs de la supérette tournaient juste au-dessus de sa tête. Le ronronnement des moteurs couvraient presque la musique de fond qui s'échappait des haut-parleurs. Léo hésitait entre deux sortes de nouilles : façon thaï ou bien aux légumes ?
Voilà à quoi se résumait la vie de cet homme de vingt-neuf ans, un choix perpétuel entre l'option A et l'option B, dont le résultat serait inévitablement le même, fade et moyen.
À huit ans il dut choisir entre papa et maman, l'un et l'autre le délaissèrent rapidement en faveur de conquêtes amoureuses momentanées. À douze ans il préféra la musique au latin, il comprit vite que les deux matières scolaires étaient ni passionnantes, ni qualitatives dans un curriculum vitae. À dix-sept ans, Léo décida de s'inscrire aux Beaux-arts, rêvant d'être aussi doué que son homonyme. Malheureusement, la vie ne voulant pas lui sourire, l'Éducation Nationale lui attribua son deuxième choix d'école. À vingt-deux ans et un master en poche, le jeune homme tenta à nouveaux d'entrer à l'école d'art prestigieuse. Après un second refus démoralisant, Léo se ruina dans des cours privés plus que médiocres.
Une opportunité s'offrit à Léo le jour de son vingt-sixième anniversaire, ne tenait qu'à lui de la saisir. Il la saisit. Léo participa donc à un concours et devint vite professeur d'Art-plastiques au Lycée Marcel Proust de Nantes. Frustré d'enseigner un art que l'on n'avait jamais voulu lui apprendre, l'infortuné s'enferma progressivement à l'abri de toute ambition et, de ce fait, de toute déception.
Le voilà donc ce soir là, au milieu du mois d'octobre, parmi les conserves et plats pour célibataires. La musique orientale émanant du plafond lui donna des envie d'ailleurs. Léo prit le bol de nouilles façon thaï et se dirigea vers la caisse de Souf. Souf était le gérant de la supérette, il vivait dans l'appartement du dessus avec sa femme et leurs trois enfants. Le gérant, d'origine marocaine, était le principal commerçant du quartier et animait depuis des années les rues environnantes en criant ses promotions hebdomadaires.
Léo avaient ses habitudes ici. Souf lui ouvrit même une ardoise un soir où Léo n'avait pas assez de monnaie. Le jeune professeur patienta derrière une jeune fille qui discutait avec le commerçant :
_ ... Quelques heures par semaine.
_ Non, non, non. Pas besoin, refusa Souf.
_ Écoutez, je cherche un boulot de nuit. Vous : vous profitez de votre femme tranquillement chez vous. Et moi je garde la boutique. Tout le monde y gagne.
_ Non, non, non. Merci.
_ Aller... Vous n'avez même pas besoin de me déclarer, s'impatienta la fille.
_ Mademoiselle, non.
_ Je peux vous laisser un CV ? souffla-t-elle.
_ Pas besoin. Si vous pas acheter, s'il te plaît, dehors.
_ Aah, de toute façon qui voudrait bosser dans ce rade pourri ?! dit-elle furieuse.
La mystérieuse furie se retourna et bouscula Léo qui entravait le passage. Pendant une demi seconde, elle le dévisagea et retint son look hipster et ses yeux noirs. Léo fut tout de suite happé par les yeux vairons de l'inconnue. Elle bouscula davantage le professeur barbu et se précipita dehors.
Balançant sa besace en cuir sur le trottoir humide, la jeune fille passa ses mains dans sa longue tignasse brune. Ses pieds la faisaient souffrir. Elle avait passé la journée à arpenter les rues de la ville en quête d'un travail. Enchaîné au rideau de fer de la boutique, elle vit un manège pour enfant en forme d'éléphant. Elle s'installa sur l'animal en plastique en récupérant son sac par terre. Sa petite jupe en jean noir se releva lorsqu'elle s'assit. Les poils sur ses cuisses découvertes se hérissèrent vers le ciel étoilé.
Elle vit alors le hipster sortir de la supérette. Un pot de nouilles à la main, il releva le col de son manteau. Rapidement, sa bouche cernée par une barbe épaisse épousa une cigarette fraîchement allumée. Il s'apprêtait à traverser la rue lorsqu'il fut interpellé :
_ Tu aurais une cigarette ?
------- Coucou, voilà la première partie.
Je sais qu'il n'y a pas beaucoup d'action pour l'instant mais il faut bien planter le décor ;) Beaucoup, beaucoup plus d'action dans la partie 2.
Qu'en pensez vous ? N'hésitez pas à commenter.