- Hahaha, j't'ai encore eu. Envoie les jolies pièces !
Derrière un buisson clairsemé, des cliquètements de dés retentissaient à intervalle régulier.
- D'la triche. J'suis certain que tes dés sont truqués.
Au milieu d'un champ de bouteilles vides et de détritus odorants, se tenaient trois hommes assis mollement. Tous les trois cernaient étroitement une planche de jeu qui visiblement avait accumulée un peu trop de vécue.
- Oses-tu me traiter de tricheur, sale voleur ?
Sur ce, l'homme se mit à rire sans retenue. Tout comme ses deux compères, il portait des vêtements sales et usés qui pour le moins, s'agençaient bien avec son visage crasseux et ses longs cheveux collés. Porté par son rire rocailleux, l'homme se releva maladroitement sans relâcher la précieuse bouteille qu'il portait à la main. Une fois debout, il prit quelques secondes pour stabiliser sa posture et poursuivit en adoptant un ton solennel :
- C'est assez pour ce soir, je déteste ruiner mes amis...
Sa crise de fou rire allait reprendre de plus belle, lorsqu'au loin dans la forêt, un éclat doré attira son œil aiguisé. Les derniers rayons de soleil qui perçaient le feuillage venaient d'être réfléchis par un objet doré se déplaçant au loin. Les yeux de Koberge n'étaient peut-être plus très efficaces, mais s'ils étaient encore capables d'une chose, c'était bien de reconnaître le reflet de l'or. Du signe coutumier de la main qui annonçait de bonnes affaires, Koberge fit taire ses deux comparses. Sans faire un bruit, les deux brigands se levèrent et suivirent leur chef à pas feutrés. Koberge savait flairer les bonnes affaires, ou plutôt comme il le disait, les affaires sans risques. Les affaires faciles sont mes affaires, se félicitait-il d'affirmer. Voler les aveugles, battre les vieillards et s'en prendre aux malades (pourvu qu'ils n'étaient pas atteints de la lèpre) étaient des activités de son domaine d'expertise. S'il ressentait le moindre danger, il préférait se retirer. Un lâche peut-être, mais un lâche en vie se disait-il. La lâcheté lui importait peu. La seule chose qu'il désirait était de retirer un maximum de pièces avec le minimum d'effort. Et cette occasion s'annonçait particulièrement bonne.
Le personnage qu'il venait de prendre en filature semblait vieux et fatigué. Avec ses épaules voûtées et son pas lourd, il n'aurait sans doute pas beaucoup d'énergie pour se défendre contre trois brigands armés. De plus, ce vieillard ne devait pas être très futé pour s'aventurer seul en forêt, loin des sentiers plus fréquentés. Progressivement, Koberge se glissa sans bruit derrière sa victime, suivi de ses deux compagnons d'armes. Il observa le large bouclier que l'inconnu portait attaché sur son dos. Malgré la pénombre naissante, le voleur distinguait les différentes teintes d'or et d'argent utilisées pour la fabrication de l'artefact. Son cœur se mit à palpiter; cette chose devait valoir plusieurs milliers de pièces. Il n'avait aucune idée comment ce vieil homme avait pu se procurer une telle relique, mais bientôt elle n'encombrerait plus ses épaules voutées. Lorsqu'il fut à quelques mètres derrière lui, Koberge entama son plan d'abordage.
- Hé là, vieillard ! Tu sembles bien fatigué. Laisse-nous te libérer de ce lourd bouclier... et aucun mal ne te sera fait.