- Partie 82 -

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        Gaëlle s'assit confortablement par terre et étala devant ses pieds les précieuses potions dérobées, du moins celles qui avaient résisté à la périlleuse manutention. À l'abri sous le toit des grands arbres de la forêt, loin des regards indiscrets, elle serait à son aise pour expérimenter les diverses potions.

- Je t'ai trouvé un gros seau d'eau et quelques feuilles de menthe, c'est toujours pratique pour enlever le goût, annonça Palin avec entrain. Certaines de ces potions n'ont vraiment pas l'air très appétissantes, sans vouloir te décourager. Celle-là me rappelle une conserve de tomate que ma mère avait faite. Quelques jours avant la Saint-Normandin, une étrange odeur avait envahi la maison, tout le monde se demandait d'où cela provenait. On avait même accusé ma pile de linge sale, non mais franchement ! C'est en préparant une sauce à spaghetti que ma mère découvrit la conserve. L'intérieur était entièrement couvert de moisissure blanche et je crois même que certains petits champignons poussaient au fond. Pas besoin de spécifier que l'on a dû jeter le pot et en acheter un autre pour faire la sauce. Après cet incident, on blaguait souvent à propos de la sauce de ma mère, disant qu'il s'agissait de sa célèbre épice secrète. Mais, es-tu bien certaine de vouloir commencer par celle-là ? demanda soudainement Palin surpris.

Gaëlle tenait de sa main velue, une simple potion gris terne. Malgré sa couleur foncée, le liquide était limpide, pareil à de l'eau. Il s'agissait certainement de la moins offensante des fioles qui se présentaient devant elle. Gaëlle ne croyait pas nécessairement que cette potion simple allait la guérir à la première gorgé, mais c'était une introduction en douceur aux expérimentations qu'elle entamait. Délicatement, elle tira le bouchon de liège et porta la fiole sous son nez.

- Ça sent quoi ? demanda curieusement Palin.

- Étrange, un peu comme le métal, mais plus sucré, commenta Gaëlle incertaine.

Il le fallait, c'était le moment ou jamais. Si elle désirait retrouver sa vie d'avant, c'était l'unique chemin. Gaëlle leva la potion, puis hésita. Elle n'avait pas la moindre idée de l'effet que cela produirait et elle n'était pas certaine de vouloir le savoir. Peut-être que cela allait lui donner mal au ventre, ou pire, la faire vomir; elle détestait être malade. Il fallait se motiver, une de ces potions allait sûrement lui redonner son apparence normale. Le prix en valait la peine après tout. Oui, le prix en valait la peine, sa vie était devenue un véritable cauchemar depuis sa transformation; que pouvait-il lui arriver de pire ? Allez, courage, s'encouragea la jeune fille. Se pinçant le nez, Gaëlle avala précipitamment une grande gorgée avant que sa volonté flanche. Le liquide tomba d'un trait dans son estomac. Gaëlle attendit, immobile, attentive aux moindres signes.

- Et puis, comment te sens-tu ? s'enquit Palin. As-tu des picotements au bout des doigts ? Il paraît que l'on ressent toujours des picotements au bout des doigts.

Gaëlle allait répondre, mais au moment où sa voix franchit ses lèvres, il n'en sortit qu'un déplaisant sifflement suraigu.

Non, je ne sens... dit-elle avant de s'interrompe brusquement en percevant le nouveau son de sa voix.

Les mains plaquées sur la bouche, elle lança à Palin un regard désemparé.

- Holala ! Tu sonnes pareil comme la porte du vieux Toubi, c'est rigolo... Bon, peut-être pas. Mais ne t'en fais pas, il suffit habituellement de quelques gouttes d'huile d'arachide sur les pentures pour faire taire le grincement. J'imagine que c'est la même chose pour la voix. Attends-moi, je vais voir si je ne pourrais pas trouver quelque chose dans la forêt.

Sur ce, Palin partit en exploration, laissant la Gaëlle sans voixseule. Assise par terre, elle attendit sagement le retour de son compagnon, mais perdit patience rapidement. Et puis, elle n'avait pas besoin de sa voix pour essayer les autres potions. Peut-être même que la prochaine lui rendrait sa voix. Qu'avait-elle à perdre maintenant ? Gaëlle sélectionna la prochaine potion dont l'apparence était la moins repoussante. Il s'agissait simplement d'une fiole en verre contenant un liquide noir opaque très épais, un peu comme de la mélasse, pensa Gaëlle. Et peut-être que c'en était, après tout, même un magicien devait bien faire la cuisine. Inclinant la fiole débouché au-dessus d'elle, le liquide épais s'écoula lentement en un long filament visqueux. Lorsque la substance toucha finalement sa langue, Gaëlle fut déçue de constater qu'il ne s'agissait pas de mélasse sucrée. La substance avait un goût fort et déplaisant, un peu comme un fond de chaudron brûlé. Mais sa deuxième constatation fut encore plus déplaisante, le liquide visqueux devenait de plus en plus épais.

Une idée éclata soudainement sous son crane; peut-être que toutes ces potions n'étaient pas forcément conçues pour être bues, peut-être que certaines étaient simplement... de la colle... Trop tard, la bouche pleine, les mâchoires paralysées, Gaëlle n'arrivait plus à respirer correctement. Panique, elle s'asphyxiait ! Que faire, que faire ? Elle voulut crier, mais seul un sifflement suraigu sortit de sa gorge. De l'air, il lui fallait de l'air. Une autre potion !

Cette fois Gaëlle ne choisit pas à la légère, la situation était critique. Elle saisit une petite fiole à l'allure menaçante renfermant un liquide rouge feu pétillant. Qu'importe les effets de cette potion, pourvu qu'elle lui permette de se débarrasser de cette colle qui lui bloquait la gorge. Elle cala d'un trait la potion entière. Le résultat fut immédiat, et satisfaisant. Au grand soulagement de Gaëlle, la colle fondit instantanément, la laissant à nouveau libre de respirer. Malheureusement, elle subit en contrecoup un fort brûlement d'estomac. Avoir le feu qui lui bouillait l'estomac était certes déplaisant, mais c'était toujours mieux que d'être asphyxiée. Gaëlle soupira de soulagement et, à son grand étonnement, un petit nuage de fumée s'échappa de sa bouche. Cette potion avait du punch, ça, c'était certain.

Elle s'empara du seau d'eau que Palin avait mis à sa disposition et en but une longue gorgée. Voilà qui faisait du bien. Bon, alors, cela faisait déjà trois potions essayées; il en restait encore une douzaine. Quelle serait la prochaine ?

Si Gaëlle avait remarqué qu'une goutte perdue de la potion rouge avait suffi à trouer ses vêtements, pour ensuite aller grésiller sur la roche à ses pieds, elle aurait peut-être eu moins d'enthousiasme pour la poursuite de ses expérimentations. Mais étant devenue ce qu'elle était, peu de choses pouvaient sérieusement l'affecter. 

La Saga Du Cristal - Tome 1 (partie 1 à 197) - [ Wattys 2018 Présélection ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant