- Partie 20 -

55 9 1
                                    

- Il faut vraiment que tu t'arrêtes à chaque éclopé que tu rencontres ? demanda Matéo avec une note de découragement dans la voix.

Filius n'avait jamais réfléchi à ce point, il le faisait par automatisme la plupart du temps.

- Sans mon aide, son hémorragie ne se serait jamais arrêtée, et il serait mort dans la nuit au bout de son sang, répliqua Filius, en faisant référence à l'évènement qui venait de se dérouler.

- Un bon à rien de plus ou de moins. La terre en abrite plus qu'il n'en faut.

- Il ne faut pas juger les hommes du premier coup d'œil. Peut-être qu'il s'agissait d'un honnête fermier qui cultive la terre pour nourrir sa famille, supposa Filius.

- C'est ça, et une vache lui aurait brouté le bras ? répliqua sarcastiquement Matéo. Je l'ai déjà vu à l'auberge du Chaudron Doré. C'est un petit escroc qui tentait de s'improviser mercenaire. Crois-moi, tu n'as pas sauvé la planète en rescapant sa carcasse.

Ça, c'était un autre point sur lequel Filius ne s'était jamais vraiment attardé. Pour lui, toutes les âmes mourantes méritaient d'être sauvées, mais était-ce vraiment le cas ? Si cet homme était vraiment un bandit, en le rescapant d'une mort certaine, est-ce qu'il se rendait complice de ces futurs crimes ? Mais, si en lui donnant une deuxième chance, cet homme décidait de changer et de vouer sa vie à aider son prochain, il aurait alors un peu du mérite de ses actes charitables. Après plusieurs secondes de profonde réflexion, il put finalement répondre.

- Je n'ai pas le pouvoir de prédire l'avenir. Je fais ce que je crois qu'il est bien de faire au moment présent, dit Filius d'un ton solennel.

- Hé, dis donc mon vieux, tu es vraiment resté trop longtemps au monastère. Il est temps que tu apprennes à vivre dans le vrais monde. Et pour ça, quelle chance tu as ! Le meilleur modèle de l'univers se balade justement à tes côtés, répondit fièrement Matéo en se pointant du doigt.

Effectivement, Filius était resté enfermé trop longtemps entre les murs du monastère, mais cette période de quarantaine n'avait rien de volontaire. Il était temps de sortir un peu et d'ouvrir son esprit au monde extérieur. Cependant, pour ça, il était loin d'être certain d'avoir trouvé le meilleur guide. Matéo s'arrêta brusquement sur le sentier.

- Hop, cette petite clairière à droite ferait un excellent point pour passer la nuit, suggéra-t-il.

Filius, soulagé, ne discuta pas. Il s'écrasa mollement par terre sans cérémonie. Affligé d'une santé fragile, et ayant tout récemment quitté le monastère, il supportait mal ces grandes expéditions. Ses pieds lui brûlaient et sa tête était prise d'étourdissements. Alors qu'il s'apprêtait à fermer les yeux, apparut soudainement au-dessus de lui un Matéo tout en hauteur.

- Bien, j'en comprends que c'est à moi d'allumer le feu, dit Matéo en reproche. Au moins, prends le premier tour de garde. On dit que les mouches sont particulièrement agressives ici, dit-il en s'enfonçant dans la forêt.

Probablement que Filius méritait bien cette remarque sarcastique. C'est vrai qu'il n'avait rien de l'aventurier aguerri; c'est tout juste s'il était capable d'allumer un feu, et encore avec l'aide de son silex seulement. Filius se demanda si cela avait vraiment été une sage décision de quitter le monastère. Depuis son enfance, il n'avait jamais quitté l'enceinte du bâtiment religieux. On lui avait enseigné une foule d'informations concernant les mathématiques, la littérature, la chimie, mais rien de tout cela n'avait son utilité de l'autre côté des murs . C'est vrai que la vie était bonne à l'intérieur du saint monastère, mais désormais, il n'avait plus sa place là-bas. Depuis le jour où il avait perdu la foi, il se sentait imposteur au centre du monastère. Non seulement il ne croyait plus, mais il avait développé une haine latente envers la religion et les dieux. Ne supportant plus de vivre à l'intérieur d'un cadre religieux, il se bannit lui-même. Et maintenant, il cherchait. Il cherchait une preuve, qui, espérait-il, lui permettrait de regagner le monastère sereinement. Un violent éclat de lumière irradia la petite clairière, Matéo venait d'allumer le feu.

- Oufff, il s'en est fallu de peu. On m'avait dit que cette poudre était efficace, mais je n'aurais jamais cru, dit Matéo en se frottant le bout des doigts grillés.

- Soufre et salpêtre, ça empeste, répondit calmement Filius.

- Bien deviné. C'est vrai que tu es un garçon instruit toi. Tu sais, moi aussi j'ai été élevé dans un monastère. J'ai eu droit à un bagage de leçons académiques toutes plus utiles les unes que les autres : géométrie, physique, chimie, ainsi que les bonnes séances. Ha, ces bonnes vieilles séances de merde. Mais ma spécialité, c'était plutôt l'art de ne pas aller aux cours. Durant la dernière année, je...

Ce n'est pas que le discours de Matéo n'intéressait pas Filius, mais le poids de sa fatigue eut rapidement raison de sa volonté et l'envoya faire un tour dans les profondeurs du sommeil.

La Saga Du Cristal - Tome 1 (partie 1 à 197) - [ Wattys 2018 Présélection ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant