- Partie 122 -

18 7 2
                                    

        Filius se laissa choir dans un immense soulagement. La tête lui tournait et la fatigue l'écrasait. Vers la fin de la journée, Filius croyait transporter une tonne de roches sur son dos, alors qu'en réalité, Reis s'était porté volontaire pour porter son sac de voyage. C'est aujourd'hui qu'il payait le prix pour le peu de sommeil qu'il s'était accordé la veille. Mais la vie d'un homme valait bien ce désagrément. Malgré toutes les pauses que son compagnon de route lui avait accordées, Filius n'arrivait toujours pas à tenir le rythme. Il aurait même été jusqu'à retirer ses sandales pour alléger ses pas.

Et pendant tout ce temps, son Reis faisait preuve d'une patience irréprochable, quasi insolente. Lorsque Filius n'en pouvait plus ou était pris d'étourdissements, Reis s'arrêtait sans dire un mot, allant chercher de l'eau ou dénichant quelque chose à manger. Sans compter que son charitable compagnon s'était même offert pour transporter son sac de voyage. Filius se demandait bien pourquoi Reis s'embêtait de la présence d'un homme faible et démuni tel que lui. Pourtant, c'était bien Reis ce matin même qui était venu le chercher pour partir aux trousses de Xédriana. Il semblait que malgré tout, son âme flétrie avait une quelconque valeur. Au début, Filius s'était senti comme une créature de foire, un simple phénomène de curiosité pour Reis. Mais de plus en plus, quelque chose d'indiscernable lui laissait croire qu'un rôle plus important lui avait été attribué. Quel genre de rôle ? ça, il l'ignorait totalement. Voilà justement Reis qui revenait, une carcasse de petit gibier sous le bras. Et, pourquoi ne pas lui poser la question ? se dit Filius.

- Hum... Belle prise, commenta Filius, ne sachant trop comment aborder la question.

Reis se contenta d'un hochement de tête polie. La méthode directe était celle qui semblait donner les meilleurs résultats avec Reis, alors Filius ne tourna pas plus longtemps autour du pot.

- Heu... Pourquoi m'avoir demandé de te suivre ce matin ? Il me semble que je ne suis utile qu'à ralentir le voyage, confia Filius à cœur ouvert.

Pour l'une des rares fois, Reis perdit son visage impassible pour revêtir une expression de légère surprise. Mal à l'aise devant la réaction qu'il venait de susciter, Filius laissa son regard porter vers le sol, mais Reis répondit d'une voix sereine, bien que totalement hors de propos.

- Pourquoi t'es-tu occupé de l'homme blessé à l'auberge ? demanda Reis, tout normalement.

- Heu... je ne sais pas. Sans mon aide, il serait sans doute mort, répondit Filius, de toute évidence.

- Mais, pourquoi n'a-t-il pas appliqué les soins de lui-même ? persista Reis.

Filius comprenait maintenant que Reis venait d'un monde à part et, certainement très étrange. Ses questions ne portaient aucune trace de malveillance, seulement beaucoup d'incompréhension.

- Il n'était pas véritablement en mesure de s'aider. Lorsque la souffrance est trop grande, l'esprit se brouille et on n'est plus en mesure d'agir rationnellement, expliqua Filius.

- À quoi ça sert ? questionna Reis.

- Heu... pardon ?

- À quoi sert de se brouiller l'esprit ? reprit Reis.

- Ce n'est pas vraiment un choix, c'est ce qui arrive lorsque le corps est sous de grandes souffrances, tenta d'expliquer Filius.

L'étrange compagnon prit une pause en laissant planer son regard dans le vide de la forêt qui les entourait.

- As-tu déjà eu des pressentiments ? Ce n'est pas le mot exact, mais dans votre langue, je crois que c'est ce qui s'y approche le plus, demanda Reis.

- Je ne sais pas exactement. Peut-être, enfin, non, pas réellement.

Reis prit une autre pause durant laquelle Filius crut discerner qu'un semblant de sourire se formait sur son visage.

- Lors de ma dernière méditation, j'ai pris conscience de certaines choses. Le fait est que ce n'est pas toi qui me suis, mais c'est moi qui marche dans ton chemin, expliqua impassiblement Reis.

Mettant ainsi fin à la discussion, l'étrange compagnon alla s'asseoir pour préparer la carcasse. Toujours aussi énigmatique ce Reis, songea Filius. Il y a de ces réponses qui ajoutent plus de questions qu'elles en résolvent. Au moins, une chose était claire, Filius n'avait plus l'impression d'être un fardeau de voyage. Toutefois, il ignorait toujours quel était son véritable rôle dans cette aventure, mais ses interrogations devraient attendre une autre fois, car le sommeil s'abattit sur Filius à cet instant.

La Saga Du Cristal - Tome 1 (partie 1 à 197) - [ Wattys 2018 Présélection ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant