- Partie 42 -

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        Galgaror put finalement relâcher sa vigilance lorsque le navire amarra au quai de l'île. Il avait passé la nuit debout à la proue du navire afin de s'assurer que la mer ne grimpait pas par-dessus la coque. Ce n'est pas qu'il manquait de confiance en Xédriana, mais le vieux guerrier se méfiait toujours de la magie. Et puis, il n'avait pas tellement sommeil. Rester à ne rien faire sur le pont d'un navire toute une journée ne lui apportait aucune fatigue. Galgaror dormait par nécessité, mais jamais par plaisir, ce qui aurait été un laisser-aller impardonnable. Il y avait une autre raison aussi qui le maintenait debout, sans qu'il l'admette ouvertement. En haute mer, la douleur à son genou avait repris de plus belle. Par-dessus tout, il détestait voir son corps s'affaiblir. Pour contrer cette rage interne, il avait décidé d'affronter la douleur de plein front, et de ne pas prendre une seule minute de repos. En combattant les signes de faiblesse de la chair, il se sentait redevenir maître de son corps.

Xédriana descendit la passerelle du navire. Sur le bord de l'île, un petit village portuaire avait été aménagé pour subvenir aux besoins de la Grande Bibliothèque. La centaine d'habitants qui y résidaient étaient entièrement voués au service de la bibliothèque. Aucune autre raison n'aurait pu pousser une personne sensée à venir vivre sur une grosse île rocheuse et désertique. À part quelques arbres égarés, seuls la mousse verte et le lichen réussissaient à survivre dans ce paysage désolé. Galgaror descendit du navire à son tour.

Le village était propre et plutôt riche pour un si petit endroit. Il bénéficiait sûrement de l'appui financier de la bibliothèque. Ils passèrent ainsi entre les petites maisons, sous les salutations polies de ses habitants, puis sortirent du village. Un seul et unique chemin grimpait sur l'île en direction de la Grande Bibliothèque. Galgaror observa le bâtiment grandir au fur et à mesure qu'ils approchaient. Il s'agissait sans aucun doute de l'une des plus grandes constructions à l'heure actuelle. Le complexe était composé d'un bâtiment principal autour duquel s'étaient greffés, au fil des décennies, une centaine d'appendices. Mais tout avait été soigneusement érigé en respectant le style architectural initial. La hauteur des bâtiments variait entre deux et quatre étages, jamais plus, mais ils pouvaient s'étirer sur des centaines de mètres. Un autre détail frappait : l'ensemble des bâtiments semblait uniquement fabriqué de marbre, dont la blancheur variait selon l'âge des unités.

On avait expliqué à Galgaror qu'il ne s'agissait pas d'un luxe, mais d'une mesure anti-inflammabilité pour assurer la sécurité des millions de livres qui s'y trouvaient entreposés. C'était la toute première fois que Galgaror approchait ce lieu sacro-saint; il n'avait jamais ressenti le besoin de venir consulter les livres auparavant. On disait beaucoup de choses à propos de cette bibliothèque. Elle aurait été fondée il y a plus de deux millénaires, par un grand sage de ce temps. Ce sage, dont Galgaror n'avait pas retenu le nom, avait élaboré un guide complexe de principes et de règles qui allaient de l'architecture jusqu'aux méthodes d'entreposage de la bibliothèque. Depuis ce jour, ce guide avait été suivi à la lettre, ce qui permit à ce bâtiment de traverser les siècles.

Galgaror n'aurait pas cru, mais posant maintenant le pied sur la première dalle du bâtiment millénaire, il se sentit impressionné. Lui qui pourtant avait visité des châteaux plus luxueux et des ruines plus anciennes, sentait une indescriptible aura se dégager de ces murs, comme si le bâtiment même était sage et vénérable.

- Bienvenue à la Grande Bibliothèque d'Elexcaris, noble voyageur.

Entre deux grandes colonnes de marbre se tenaient deux moines qui les accueillirent. Malgré leur air sympathique et bienveillant, Galgaror reconnut immédiatement qu'ils faisaient office de gardiens. C'est Xédriana qui prit les rênes de la discussion.

- Je me nomme Xédriana, fille de Darmaphus, et je désire consulter les ouvrages de la Grande Bibliothèque.

- Vous êtes la bienvenue parmi nous. Nous demandons une donation de cent pièces d'or par visite. Évidemment, tout montant supplémentaire est hautement considéré.

Xédriana lança à Galgaror un regard dénué de toute subtilité. Le mouvement des sourcils et l'inclinaison des yeux signifiaient clairement : c'est ton expédition, alors tu débourses. Concédant à la demande, Galgaror sortit sa bourse, cela ne le dérangeait pas réellement. L'argent n'avait jamais été un problème pour le guerrier, il en avait toujours récolté plus qu'il lui en fallait. De plus, il ne prenait aucun plaisir à collectionner les pièces d'or dans ses poches. Moins il en avait, plus léger il voyageait. Il tendit aux moines un petit rubis d'une valeur approximative de cinq cents pièces d'or, cela devrait faire l'affaire. Les moines se courbèrent en remerciement avant d'ouvrir les grandes portes de la bibliothèque. Xédriana y entra d'un pas fier et confiant et Galgaror la suivit lourdement. Mais au moment de franchir le cadre, les moines gardiens lui bloquèrent le chemin.

- Nous sommes navrés humble guerrier, mais les armes ne sont pas admises dans l'enceinte de la bibliothèque. C'est une règle afin de protéger les ouvrages de grande valeur.

Galgaror les fixa d'un regard féroce, ce qui n'était pas une chose à prendre à la légère. Il était hors de question de se séparer de son équipement. Son épée avait une valeur inestimable et jamais il ne se promenait sans son armure. En d'autres lieux, Galgaror aurait rapidement réglé la question en tranchant de son épée les demandes de ses opposants,  mais ici cette solution ne semblait pas appropriée. Remarquant probablement que les choses allaient mal tourner, Xédriana intervint rapidement.

- Voyons, voyons ! Vous refusez à un homme une simple lame d'acier, alors que moi, de quelques mots, je pourrais mettre le feu à toute une section de la bibliothèque. Si vous désirez tant protéger vos précieux livres, il serait plus sage de me bâillonner que de retirer l'épée à un vieux guerrier. Je vous garantis que cet homme ne représente aucun danger, j'en prends toute la responsabilité.

Pliant sous le regard féroce du guerrier, et cédant à la logique implacable de la magicienne, les portiers laissèrent entrer Galgaror avec précaution. Une fois à l'intérieur, Galgaror commenta.

- Était-ce nécessaire de me traiter de vieux guerrier ?

- Ça te donnait une image plus sympathique. Il ne fallait pas les regarder avec cet air-là ! Tu les as terrifiés. À l'avenir, laisse-moi m'occuper des communications avec les moines veux-tu ?

Galgaror n'en demandait pas moins, il n'avait jamais fait preuve d'un grand talent de négociateur. Maintenant qu'ils se trouvaient entre les murs de la Grande Bibliothèque, il ne restait qu'à patienter jusqu'à ce que Xédriana trouve les informations concernant la porte des dieux. Galgaror s'ennuyait déjà, le grand guerrier détestait au plus haut point ces périodes de repos forcées. Cette épreuve s'avérait très difficile. Très longue et très difficile.

La Saga Du Cristal - Tome 1 (partie 1 à 197) - [ Wattys 2018 Présélection ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant