- Partie 31 -

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        Filius, assis seul à une table de l'auberge, finissait tranquillement son repas. C'était loin d'être le meilleur repas qu'il ait jamais mangé, mais il était étonnant de voir comment la faim pouvait élargir les goûts. Décidément, voyager n'était pas tout à fait ce qu'il avait imaginé. Au monastère, il s'imaginait se promener toute la journée sur des collines verdoyantes, et le soir, lire de grands livres sous le clair de lune. Au lieu de quoi, il suivait un chemin de terre infesté de mouches, et une fois le soir arrivé, il n'avait même plus assez de force pour manger. De toute façon, il ne transportait aucun livre avec lui, et s'il en avait eu, il les aurait probablement abandonnés quelque part, étant beaucoup trop lourds à porter. Tout ce qu'il gardait était une plume et un encrier, comme trousse de premiers soins contre le mal de l'intellect.

Un boum sonore le fit soudainement sursauter. Un gros livre venait d'apparaître sur sa table, ce qui, forcément, déconcerta Filius quelques instants. Était-ce un livre magique qui avait lu dans son esprit et qui voulait le rappeler à l'ordre ? Ou était-ce son imagination qui lui faisait voir des hallucinations en manière de réprimande ? La situation fut heureusement éclaircie lorsqu'un petit homme parla.

- Vous avez échappé ce livre, monsieur.

Il s'agissait d'un petit vieillard dont la tête dépassait tout juste le bord de la table. Une longue barbe était accrochée à son visage et un étrange chapeau pointu trônait sur sa tête. Reprenant ses esprits, Filius répondit :

- Non, ce n'est pas à moi, je n'ai pas de livres.

- Étrange, pourtant il me semblait l'avoir vu tomber de votre sac.

Le vieillard se gratta le menton, l'air très concentré.

- Dans ce cas, si ce livre n'est pas à vous, et qu'il n'est pas à moi, et qu'il n'y a pas d'autre personne alentour, alors mon Dieu... mais à qui appartient-il ?

L'angoisse du vieil homme semblait grandir d'instant en instant.

- Mais qu'est-ce que je vais faire de ce livre, mon Dieu, que vais-je faire ?

Filius s'inquiéta pour le vieil homme, il semblait de plus en plus en proie à une crise d'angoisse imminente. Il était désolé de voir un pauvre homme se faire autant de mauvais sang pour une question si peu importante.

- Bien, alors, je vais le prendre, proposa Filius afin de soulager le vieillard.

Un large sourire s'épanouit sur le visage de son interlocuteur.

- Ho, merci, merci mille fois, mon seigneur. Dieu vous sera reconnaissant, dit-il en exécutant une courte révérence.

Puis il partit comme il était arrivé, ce qui se résume finalement à très peu de choses. Filius resta à regarder le livre, intrigué et à la fois un peu inquiet. Une simple couverture de cuir usé protégeait une vingtaine de feuilles de parchemin. La curiosité l'emporta; Filius posa une main sur la couverture et l'ouvrit avec grande précaution.Et alors... rien ne se produisit, en fait, rien d'autre que l'ouverture du livre. Il y avait longtemps que Filius ne s'était pas adonné au plaisir de la lecture. C'est avec joie qu'il entreprit donc de lire ce mystérieux bouquin. Toutefois, cette joie naissante se transforma rapidement en déception, lorsqu'il vit que seule la première page était griffonnée, tout le reste du manuscrit restait vierge.

Canard à l'orange de Ricardo.

1 canard déplumé

5 oranges

6 cuillerées de beurre

1 cuillerée de sucre

1 louche d'alcool

Dans une cocotte, faites fondre le beurre et revenir le canard. Faites blanchir les zestes d'orange. Couvrez et laissez cuire à feu modéré environ 45 minutes. Pelez à vif les 5 oranges dont vous avez prélevé le zeste. Ajoutez-y le jus d'orange, les zestes blanchis, le sucre, et la louche d'alcool. Découpez le canard. Placez-le sur le plat de service, décorez le plat avec les tranches d'oranges et servez.

La croyance sans le doute, ça laisse un goût de lait moisi dans la bouche.  

C'était tout, vraiment tout. Un peu de philosophie accompagnée d'une recette de canard à l'orange. Qui pouvait bien gaspiller un précieux parchemin pour écrire une simple recette de cuisine ? Étrange, pensa Filius. Une autre chose capta également son attention, la calligraphie. La forme des lettres avait un quelque chose d'un peu trop, comment dire, parfait. On aurait dit que chaque A était un modèle parfait de A, que chaque B était un modèle parfait de B, bref, dans ce style. Maintenant qu'il avait accepté ce manuscrit, il ne pouvait s'en départir sans raison. Cela aurait été de la trahison de confiance, et ça, Filius ne le pouvait pas. Il rangea donc le livre dans son sac et se dirigea vers la chambre que Matéo avait gracieusement payée. Il fallait se reposer pour la prochaine longue journée de marche qui l'attendait.

La Saga Du Cristal - Tome 1 (partie 1 à 197) - [ Wattys 2018 Présélection ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant