La Saga Du Cristal - Tome 1 (partie 1 à 197) - [ Wattys 2018 Présélection ]

- Partie 105 -

        Filius se réveilla au lever du soleil, il avait toujours été matinal. L'apaisante nuit qu'il venait de passer à l'auberge du Chaudron Doré lui avait permis de reprendre un peu de ses forces. Grâce à la donation que Matéo lui avait remise à son départ, il avait été en mesure de s'offrir quelques luxes, comme celui d'un véritable lit sous un véritable toit. Ayant bien récupéré, l'érudit serait prêt à reprendre la route, disons après une autre journée de repos. En arrivant dans la salle commune de l'auberge, Filius ne fut pas surpris de découvrir Reis assis en solitaire en plein centre de la pièce vide. Cette auberge était étrangement tranquille en ce début de journée, mais après tout, c'était mieux ainsi concéda Filius. Ce fut donc avec une certaine bonne humeur qu'il aborda Reis.

- Toi alors, tu ne dors donc jamais ? questionna humoristiquement Filius.

La réponse prit quelque temps à venir.

- Combien de temps dort un homme en général ? demanda directement Reis.

Depuis le début, Filius se doutait bien que Reis avait un petit quelque chose d'anormal, mais à présent, il en était convaincu. Ayant hérité d'une certaine ouverture d'esprit de son éducation, Filius ne condamnait pas systématique l'anormalité. Certaine personne anormale possédait de véritable talent inaccessible au commun des mortels. Chose certaine, quelque chose démarquait radicalement Reis du commun des mortels. Plongé dans cette situation, aussi bien jouer le jeu, se dit Filius.

- De six à dix heures par jour. Ça dépend des individus, et de l'âge.

- Que faites-vous durant votre sommeil ?

- Bien... heu... peu de choses à vrai dire, on se repose, et on rêve un peu, parfois, tenta d'expliquer Filius.

Pourquoi jouer les hypocrites plus longtemps ? se dit-il. Piqué de curiosité, Filius voulait en avoir le cœur net. Mettons cartes sur table.

- Excusez-moi, mais... vous n'êtes pas vraiment humain... n'est-ce pas ? questionna Filius, incertain.

Reis resta impassible, pas le moindre sautillement de paupières ou retroussement des lèvres. Comme la réponse tardait à venir, le moment de silence plongea Filius dans l'embarras. Mais dans quoi venait-il de mettre le pied ? À bien y penser, il avait fait preuve d'une impolitesse épouvantable. Filius s'apprêtait à s'excuser au moment ou Reis lui répondit.

- Est-ce très apparent ? questionna Reis tout calmement.

Un peu décontenancé, Filius répondit avec un certain soulagement.

- Non, non, pas du tout. Bien en fait, oui, mais seulement si l'on vous observe attentivement. Ce sont vos manières d'agir, qui parfois, sont un peu... enfin, vous voyez.

Filius fut sauvé par l'entrée impérieuse d'une petite femme habillée tout de rouge et d'or. En ignorant parfaitement leur présence, elle se dirigea d'un pas assuré au comptoir de l'auberge. Lorsqu'il put finalement voir son visage, Filius sursauta puis tourna rapidement la tête en direction opposée.

- Tu la connais ? demanda alors Reis à voix basse.

À l'aide d'une assiette, la nouvelle arrivée frappa rageusement sur le comptoir.

- Servez-moi mon déjeuner. Et par la suite, je ne veux plus être importunée, commanda férocement la jeune femme.

Puis d'un pas toujours aussi décidé, elle repartit en direction des chambres sans jeter un regard en arrière. C'était elle ! Par miracle, il l'avait retrouvée ! Il s'agissait sans l'ombre d'un doute de cette étrange femme qu'il avait épiée à la bibliothèque.

- Non, mentit maladroitement Filius à la question de Reis.

- Je sens son odeur sur vos vêtements, souleva Reis sans méchanceté.

Abasourdi, et extrêmement mal à l'aise, Filius concéda.

- Ha oui, je la replace à présent. Je l'ai croisée brièvement à la bibliothèque d'Elexcaris, répondit-il, non sans une certaine gêne.

- Et quelles ont été vos relations ?

Filius sursauta, pratiquement choqué par l'impertinence de Reis. Il eut l'impression que son visage trahissait beaucoup plus d'information qu'il le souhaitait réellement.

- Heu. Rien de particulier, on s'est simplement heurtés en cherchant un livre, esquiva Filius.

- Tu en connais beaucoup sur Xédriana ?

- Qui ? Quoi ? Non ! Je ne connaissais même pas son nom, c'est vrai.

- Mais tu sais autre chose, non ? persévéra Reis.

- Oui, non... enfin, peut-être. OK, d'accord, je dis tout. C'était à la bibliothèque, elle a attiré mon attention. En épiant les livres qu'elle consultait, j'ai cru comprendre qu'elle cherchait à atteindre le royaume des dieux. Cela a piqué ma curiosité, c'est tout, expliqua Filius satisfait de ne pas en avoir trop dévoilé sur ses propres motivations.

- Je vois, répondit Reis avec un regard compatissant.

Reis semblait bien connaître cette orageuse petite Xédriana, ce qui intensifia l'intérêt de Filius. Tant de choses convergeaient vers le même centre, ce ne pouvait pas simplement être le fruit du hasard. Il aurait bien aimé questionner Reis pour en savoir un peu plus, mais aujourd'hui, il lui semblait avoir déjà posé toutes les questions malaisantes auxquelles il avait droit. C'est avec regret qu'il mit temporairement ses interrogations de côté.

- Je vous offre le déjeuner, en remerciement pour votre aide de ces derniers jours, proposa cordialement Filius. Enfin, si vous avez faim.

C'est alors qu'il vit Reis sourire pour la première fois.

- J'accepte ton offre volontiers, c'est apprécié. Et ne t'en fais pas, je suis capable de manger tout à fait normalement, et même que cela pourrait te surprendre.

- Aubergiste, deux déjeuners, je vous prie !