- Partie 158 -

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        Xédriana chevauchait à la suite de Galgaror depuis plus de trois heures maintenant. Selon le plan cartésien qu'elle maintenait en mémoire, ils étaient sur le point d'atteindre le lac qui entourait le mont Taris-Atar. La route principale qu'ils empruntaient actuellement tournait vers le sud pour longer le cours d'eau à bonne distance. Ils devraient donc quitter la route et s'aventurer dans la forêt pour atteindre le rivage.

C'est aux abords du lac qu'une solution miracle leur permettant de traverser les eaux se présenterait à eux, enfin selon les dires de Galgaror. Depuis leur départ ce matin, aucune embûche ne s'était dressée sur leur chemin. La route était calme et paisible, Xédriana avait même l'impression que les mouches s'écartaient sur leur passage. Tout cela était beaucoup trop calme, quelque chose se tramait dans les fils du destin. La magicienne restait sur ses gardes, toujours prête à électrocuter la moindre branche ayant un mouvement suspect. Mais plutôt que de regarder la forêt, elle aurait dû porter son attention devant elle, car c'est au dernier moment seulement qu'elle remarqua que Galgaror s'était arrêté.

- Il y a un petit sentier ici, qui entre dans la forêt. Il devrait nous mener jusqu'au rivage. On y trouvera certainement un abri de pêcheur ou autre chose du genre, dicta Galgaror d'un ton serein et confiant.

Depuis ce début de journée, Xédriana avait remarqué un petit quelque chose d'étrange chez le vieux guerrier. Il semblait distant, comme s'il évoluait dans son propre univers, loin de tout. Commençait-il à perdre confiance en sa quête ? Quelque chose le troublait, c'était une évidence. Pourvu qu'il tienne jusqu'au bout. La magicienne avait absolument besoin de la présence du vieux guerrier pour faire diversion pendant qu'elle s'occuperait à mettre en action son plan grandiose.

Suivant Galgaror, elle emprunta l'étroit sentier qui s'enfonçait à l'intérieur de la forêt. Les branchages cognaient continuellement contre la magicienne et son cheval s'éraflait dans la végétation dense. Visiblement, ce chemin piétonnier était plus que rarement fréquenté. Xédriana doutait beaucoup d'y trouver quoi que ce soit d'utile, mais comme Galgaror semblait assuré de son choix, elle n'osa pas s'y opposer, pour le moment du moins.

Une centaine de mètres plus loin, l'étroit sentier déboucha enfin dans une large clairière et ce qui s'y trouva surprit Xédriana. Au centre se tenait une petite église de style rustique entourée de quelques bâtiments secondaires. Les pierres noircies de ces constructions ancestrales étaient couvertes de mousse et de végétation grimpante. Bien que visiblement entretenues, leurs propriétaires ne faisaient rien pour rajeunir leur apparence. L'église au centre était d'une architecture simple, qui devait dater de près d'un millénaire. Au premier coup d'oeil, on remarquait immanquablement ces grands vitraux verticaux multicolores. Alignés tout le long des murs latéraux, ces véritables chefs-d'œuvre proféraient au bâtiment une apparence sereine, quasi divine. C'était le genre de chef-d'œuvre que même les plus infâmes brigands n'oseraient profaner.

Si l'état des lieux pouvait laisser croire que la place était abandonnée, une dizaine d'hommes habillés de longues tuniques brunes prouvaient le contraire. À l'arrivée des voyageurs, tous relevèrent la tête, mais aucun n'eut l'air surpris. Un par un, les moines cessèrent leurs activités et se mirent debout afin d'observer poliment les nouveaux arrivants. Xédriana libéra ses mains et répéta mentalement une formule magique offensive, se préparant au pire. Aux vues de la magicienne, ces moines avaient un quelque chose de louche avec leur altitude trop détendue et complice. De son côté, le vieux guerrier ne semblait nullement inquiété. Xédriana avait appris de son père qu'il faut toujours se méfier des gens à l'apparence inoffensive. C'est pourquoi elle redoubla de prudence lorsqu'un moine se détacha du groupe et s'avança vers eux. Bien qu'il n'affichait aucun ornement spécial, il était évident que ce vieux moine courbé était le chef de ce regroupement. Xédriana s'attendait à quelque chose du genre, « halte qui va là ? » ou « fuyez de nos terres sacrées ! », mais le vieil homme n'ouvrit même pas la bouche. Il se contenta de soulever un bras en leur indiquant une direction.

Sans discussion, Galgaror se dirigea vers le lieu indiqué. Xédriana, plus prudente, observa l'entourage avec attention. Mais que se passait-il ici ? Les yeux aguerris de la magicienne observaient chacun des moines, espérant y trouver un quelconque signe de complot. Mais rien, tous ces types semblaient parfaitement sereins et honnêtes. C'est alors que le regard de Xédriana tomba sur une toile qu'un moine était en train de peindre à leur arrivée. Ce qu'elle vit lui glaça le sang plus qu'aucune vision d'horreur n'en aurait été capable. Le tableau présentait un chevalier blanc croisant l'épée avec un grand guerrier qui, sans l'ombre d'un doute, était Galgaror. L'œuvre d'une grande qualité était déjà fort avancée. Quelqu'un les avait forcément avisés de leur passage ! Mais qui ? On leur tendait un piège ! L'esprit rationnel de la magicienne n'arrivait pas à expliquer toutes ces conjectures, ce qui la fit paniquer.

Pendant ce temps, Galgaror, qui suivait sereinement son guide, tourna derrière un vieux bâtiment de pierres. Ne désirant nullement être laissée à l'écart, la petite magicienne se lança au galop derrière son associé. Si c'était un piège, mieux valait l'affronter à deux. Derrière le bâtiment, un étroit sentier descendait une côte pour aller joindre un quai où une petite embarcation était amarrée. Galgaror, déjà descendu de son cheval, s'apprêtait à mettre le pied dans le navire. Le déroulement de la situation était complètement hors de contrôle de la magicienne, et cela elle ne le supportait pas. Abordant un petit moine à proximité, elle lui lança rageusement.

- Mais qu'est-ce qui se passe ici ? lança-t-elle, menaçante.

Le moine, nullement effrayé, se contenta de lui indiquer le navire de la main sans dire un mot.

- J'ai posé une question et j'attends une réponse ! s'impatienta Xédriana.

Sans perdre son sourire, le moine se posa une main sur la bouche, puis fit le signe de croix. Des moines cloîtrés ayant fait vœu de silence, quelle chance se dit Xédriana sarcastique. S'il y a bien un type de personnes que Xédriana ne comprenait jamais, c'était bien ces moines altruistes qui réfutaient tout ce qu'offrait la vie : plaisir, fortune, gloire et pouvoir. Que pouvait bien être la motivation qui les poussait dans cette voie morne et sans attrait ? La magicienne ne comprenait pas, mais des êtres semblables ne pouvaient pas présenter de réel danger. Elle ne pouvait imaginer quelle raison pourrait pousser ces moines humanistes à leur tendre un piège. Et si son cerveau n'était pas capable de trouver une raison, c'est qu'il ne devait pas en exister. Alors le chemin était sécuritaire. Bien qu'elle ne comprenait pas tout à fait, elle décida de profiter de l'occasion qui s'offrait à eux. Il devait forcément s'agir d'un extraordinaire concours de circonstances, rien de plus.

Xédriana descendit de son cheval et lui assigna ses commandes avant d'aller rejoindre le quai. D'ici quatre jours, elle serait de retour, son destrier ne devait pas trop s'éloigner. Xédriana mit finalement un pied sur le quai, jetant sans arrêt des regards méfiants aux moines qui les entouraient. Galgaror, placé à la proue du navire, semblait toujours flotter dans un autre monde. Aidée par le moine qui tenait le rôle de marin, Xédriana grimpa à bord de l'embarcation, accompagnée de son précieux orbe magique. Puis, sans un mot, le moine largua les amarres du navire et leva les voiles. Une douce brise prit en charge l'embarcation sur une eau lisse et calme. C'est ainsi qu'en s'éloignant du continent, les voyageurs se rapprochèrent tranquillement de la conclusion de leur quête épique. Déjà à l'horizon, on pouvait apercevoir le mont Taris-Atar s'élever majestueusement, tel le gardien des cieux.

La Saga Du Cristal - Tome 1 (partie 1 à 197) - [ Wattys 2018 Présélection ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant