Il n'y a rien de plus merveilleux qu'une flopée d'insultes au petit déjeuner. Ce matin, c'était un excellent cru de jus de colère accompagné d'une tartine de mauvaise foi. Je ne me suis pas resservie. Même si c'était succulent, c'était trop pour moi au niveau décibel. Puis comme je n'ai rien fait de mal, je n'ai pas compris tout de suite ce qu'il m'arrivait. Surtout venant de sa part.
« Mais enfin, Lorcan ! Pourquoi tu t'énerves comme ça ? Qu'est-ce que j'ai fait ?
– Arrête de te foutre de ma gueule, tu sais très bien ! »
Un, je n'aime pas quand les gens disent ça parce que je ne sais jamais et que j'ai toujours l'air ridicule à ouvrir la bouche sans répondre. Deux, ça fait deux semaines qu'il m'évite et ne m'adresse pas la parole, sans compter cet été où c'était silence radio. Alors qu'il revienne vers moi pour me crier dessus, ce n'est pas que je ne comprends pas, c'est que je trouve ça détestable. Il continue à me fusiller du regard alors que je secoue la tête pour lui montrer que je n'arrive pas à résoudre sa devinette. Il me hurle dessus, c'est à peine s'il n'aboie pas :
« Bien sûr, Molly Weasley est trop fière pour l'avouer ! Comment as-tu pu me faire ça ? »
Je vois du dégoût dans ses yeux bleus qui paraissent beaucoup plus sombres que d'habitude. Il tourne les talons et s'en va rapidement, me laissant sans voix, scotchée sur place. Tout le monde attend une réaction de ma part. Je ne suis pas normalement du genre à me laisser crier dessus comme ça mais je n'ai rien pu faire. Pas avant d'avoir compris ce qu'il me voulait. J'aurais pu bien sûr le poursuivre, le prendre par le bras et lui demander de s'expliquer mais je n'ai pas réussi à bouger. Je reste là, assise sur mon banc, à boire mon thé en en renversant un peu à côté de moi, dans un état presque second.
Roxanne pose une main sur mon front, comme pour voir si je n'étais pas malade et me chuchote :
« Molly ? Tu es sûre que ça va ? Qu'est-ce qu'il s'est passé exactement ? »
Je n'ai pas plus réagi alors elle a continué à me regarder bizarrement. Je regarde le fond de mon bol comme s'il pouvait y avoir la réponse à mes questions à l'intérieur. Si les feuilles de thé pouvaient aussi expliquer les événements, en plus de prédire l'avenir, ça m'aiderait beaucoup. Je soupire, jetant un coup d'œil autour de moi. Les gens, rendus curieux par le spectacle, essayent tous de me regarder pour comprendre, certains se lèvent même sur leur chaise ou commentent à voix haute. Si moi-même je ne comprends pas, comment le pourraient-ils ?
Je me lève, un peu brusquement, en repensant à ce que m'avait écrit l'inconnu. Il avait un secret à révéler. Il a pu se vexer parce que j'ai refusé de l'aider et a mis à exécution la menace. J'ai envie de jurer en runique mais je me retiens, pas question d'être encore plus étrange que je ne le suis déjà. Je prends mes affaires et file à travers les couloirs pour trouver un peu de calme. Je me retrouve adossée à un mur, dans les cachots, attendant le cours de Potion. Où il y aura Lorcan. Je ferme les yeux, me prenant la tête entre les mains. Au fond, qu'est-ce que j'ai comme secret que l'inconnu aurait pu dire à Lorcan ? Si je pouvais savoir au moins ça, ça m'aiderait. Et je pourrais peut-être avancer dans mes recherches, il suffirait que Lorcan me dise qui lui a révéler ça. Demander directement au Scamander me paraît risqué, il ne voudra pas m'aider, surtout après « ce que je lui ai fait ». Je tape du pied, énervée. J'ai assez joué comme ça, je préfère avoir des réponses.
« Mollynette ! »
Je me retourne vivement, ayant cru entendre Lorcan mais ce n'est que Lysander, la pâle copie. Je le dévisage alors qu'il s'approche avec le regard plutôt sérieux. Je croise les bras en m'exclamant froidement :
« Quel plaisir de te voir, Scamander !
– Sérieux, je t'avais manqué ?
– Bien sûr que non. Qu'est-ce que tu me veux ? Si tu veux m'insulter, je t'en prie, n'hésite pas, aujourd'hui, c'est la journée de l'indulgence. »
Il hoche la tête, compréhensif. Il a dû aussi voir dans quel état était son frère, ça a même l'air de le préoccuper. Il fronce les sourcils et dit :
« J'avais cru comprendre mais je ne viens pas pour ça.
– Lorcan veut me présenter des excuses mais il a trop peur des représailles ? tenté-je avec une lueur d'espoir.
– Non plus, fait-il en grimaçant. C'est plutôt même le contraire. Il s'est aussi beaucoup énervé contre moi ce matin. »
Il n'a pas besoin d'en dire plus, j'ai compris. Vu son regard désolé, l'absence de sourire de son côté comme du mien, ça veut dire qu'on est autant concerné l'un que l'autre. Je fais la moue. Quelqu'un lui a dit pour ce qu'il s'était passé l'année dernière. Très mauvaise nouvelle. Il l'a mal pris. Lysander confirme mes pensées en ajoutant :
« Il a appris, je ne sais pas comment, pour notre aventure.
– S'il te plaît, n'appelle pas ça une aventure. Ce n'était même pas volontaire !
– Eh bien, il est au courant maintenant et il n'est vraiment pas content.
– Sans blague ? »
Il hausse les épaules, un peu inquiet et on reste là, tous les deux, à regarder dans le vide et regretter cet instant. Je crois que je peux dire adieu définitivement à mon amitié avec Lorcan, ça ne pouvait pas se finir plus mal. J'en ai presque les larmes aux yeux mais je les ravale en voyant d'autres gens arriver. L'inconnu a bien réussi son coup. Je lance un regard à Lysander qui a sorti son livre de potion pour patienter, me laissant tranquille pour une fois. Je m'approche de lui pour lui demander à voix basse :
« Tu l'avais dit à quelqu'un ? Ce qu'il s'était passé, l'aventure ? »
Il hausse un sourcil presque amusé et ferme son livre en observant les personnes qui commençaient à discuter devant la salle. Il secoua le tête en me répondant :
« Personne. Je ne sais vraiment pas comment il l'a su.
– Je ne l'avais même pas dit à Roxanne, dis-je en me mordant le poing pour ne pas exploser.
– Peu importe qui l'a dit, c'est trop tard, conclut-il. Je pense qu'on ferait mieux de ne pas rester à côté. »
Il a raison, je recule de quelques pas pour aller me placer sur le mur d'en face. S'il nous voit en parler tous les deux, ça n'arrangera rien. Je ferme les yeux, essayant de me souvenir de comment c'était quand on était les meilleurs amis du monde, au début de l'année dernière. Tout a irrémédiablement changé. Depuis la rentrée, j'espère secrètement qu'il va venir me voir pour qu'on en discute ou j'essaye de me donner assez de courage pour aller à sa rencontre mais il a pris tellement de soin à ne pas croiser ma route que je ne pouvais pas gâcher ses efforts. Je lui en veux, dans un sens, de ne pas être venu plus tôt, de ne pas m'avoir demandé ce qui n'allait pas et pourquoi tout avait changé. Je lui aurais certainement expliqué la situation, avec mes propres mots mais il s'est créé très rapidement un fossé entre nous, que je ne peux plus combler. Je m'en veux aussi beaucoup, de m'être trompé de frère et d'avoir déclaré ma flamme à Lysander à sa place. Mais celui à qui j'en veux le plus, je ne le connais même pas, ça me rend folle.
Eugénie me tapote l'épaule, doucement, en demandant :
« Est-ce que ça va ? Tu veux m'en parler ? »
Je la regarde avec des yeux piteux et elle m'entoure de ses bras musclés par le Quidditch, me caressant le dos pour me consoler. Je n'ai pas vraiment envie d'aborder le sujet, j'ai plutôt envie de me venger. Quand elle s'écarte de moi pour observer mon visage, je suis plus déterminée que jamais.
Mais j'aperçois derrière ses cheveux blonds son visage passer, encore un peu rouge de rage et je me crispe instantanément. Il ne daigne pas me regarder. J'en tremble presque, tout de suite moins téméraire. Mon amie de Serdaigle me serre la main et quand Madame Griffith ouvre la porte, elle me tire pour que j'entre rapidement. Heureusement finalement qu'il a changé de place dès le début d'année avec ce Scott de Poufsouffle, l'ambiance à la table aurait été vraiment angoissante sinon. Le Poufsouffle me lance un regard étrange, comme un peu amusé par ma mine sombre. Je hausse un sourcil perplexe et essaye tant bien que mal de me concentrer sur les paroles de la Professeur qui présente en détail tous les ingrédients du Véritasérum.
Je me suis perdue dans mes pensées toute la journée, prenant néanmoins la décision d'aller demain, quand j'aurais les idées plus claires, prendre des nouvelles d'Emeline Lovener et pourquoi pas la tourmenter quelque peu pour qu'elle m'en dise plus. Au point où j'en suis rendue, elle est presque mon dernier espoir d'avoir de vraies réponses. J'envisage un instant de prendre un peu de Véritasérum avec moi mais Minerva ne serait pas d'accord. En même temps, serait-elle d'accord avec le chantage que je subis ? Non plus, il me semble.
Je n'ai pas vraiment essayé de discuter avec Lorcan, pas dans l'état dans lequel il est. Il est à vif, se sent certainement trahi et n'a pas l'air d'être en condition pour en parler paisiblement. Je ne veux pas empirer les choses en allant le voir et insister, remuer le couteau dans la plaie. Roxanne y est allée, je ne sais pas ce qu'elle lui a dit ou s'il lui a dit ce qu'il s'était passé parce qu'elle ne m'a pas raconté ce qu'il s'était passé. J'ai tenté, par divers moyens, de me détendre. Pensant à des images d'Emeline mangée par un Scroutt-à-pétard, ou de Léon Wilkes brûlé par un Dragon, faisant office de bouclier. Mais je regrette l'inefficacité de ces pensées. Il y a toujours Lorcan en plein milieu qui apparaît rouge, furieux et me criant des choses horribles. Je vais avoir bien du mal à dormir cette nuit.