Manette au poing

By Chipstouille

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J'aime les jeux-vidéo. C'est ma plus grande passion. De mes premières découvertes à l'envie de dépasser le si... More

Préface
#01 - Je veux jouer à Zelda II
#02 - Fish 'n Chips
#03 - Load et Reload
#04 - Mise au poing
#05 - Tous les chemins y mènent
#06 - Alexandre le tyran
#07 - Moi vice-président
#08 - Le regard du dragon aux yeux d'un bleu lagon
#09 - Le ciel, les jeux-vidéo et ma mère
#10 - Voler n'est pas jouer
#11 - Pas ma guerre
#12 - Rien que pour vos yeux
#14 - Le carnaval des animaux
#15 - Ô temps ! Suspends ton vol...
#16 - Rencontres irréelles
#17 - Perdu paradis
#18 - Un peu de sérieux
#19 - Lost in translation
#20 - Bide et musique
#21 - Le premier pont
#22 - Les tortues se cachent pour mourir
#23 - Le messie
#24 - Princess in another castle
Lexique

#13 - La faute à la manette

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By Chipstouille

Confins du Poitou, chez moi, 1994

Seul dans mon salon j'enrageais, pas moyen de sortir ce fichu "Panda Splash" !

J'avais récemment troqué, définitivement, mon exemplaire de Zelda III contre une cartouche de Ranma 1/2. Ce jeu de combat très moyen, n'emportait en effet aucune adhésion chez mon ami Sylvain. Je n'avais pas non plus 36 jeux... Aussi, une fois rentré chez moi, j'exploitais la cartouche de fond en comble. J'avais terminé le jeu des dizaines de fois, maîtrisé tous les coups spéciaux, débloqué les personnages cachés. J'avais presque fait le tour de la question.

Sauf pour Genma. Le père de Ranma, ici transformé en panda géant, est en effet capable dans ce jeu d'une attaque surpuissante. D'un coup, il bondit sur sa cible en tournant sur lui-même, pour l'écraser sous son poids. La moitié de la barre de vie de l'adversaire y passe. L'ordinateur m'assénait ce coup régulièrement. J'étais même parvenu à sortir cette technique secrète une fois, sans trop savoir comment... Mais pas moyen de reproduire cet exploit.

La notice était muette à ce sujet. Tous les personnages partageaient des coups spéciaux nécessitant grosso-modo les mêmes combinaisons. La plupart des coups étaient à concentration, ce qui pénalisait malheureusement grandement le rythme du jeu. Les rares qui ne l'étaient pas se réalisaient en pressant les touches des coups de poings et pieds au même moment. C'était désespérément prévisible et manquait de variété. Sauf que malgré cette homogénéité, le "Panda Splash" continuait à m'échapper.

J'avais même épluché tous les magazines auxquels j'avais accès sur la question. On y trouvait divers codes secrets. Aucun d'entre eux ne mentionnait la moindre ligne sur ce fameux "Panda Splash" annoncé dans la notice.

En ce dimanche après-midi solitaire, j'enchainais les parties comme un forcené. J'étais lassé de jouer avec ce panda géant, mais j'étais résolu à découvrir ce dernier secret qui me résistait. Quand soudain, miracle ! Le panda se mit à bondir dans les airs, tournoyant sur lui-même et écrasant sa proie. J'étais enfin parvenu à reproduire sa botte secrète.

Enfin je le croyais. Combat suivant, je réitérais la manipulation que je pensais avoir maitrisée et mémorisée. Rien à faire, ce panda paresseux restait cloué au sol. La pression était en train de monter. Je poursuivis mes recherches sans parvenir à mes fins. Belotte, rebelotte, 10 de der. Pas moyen. J'enrageais, je fulminais.

Deux bonnes heures plus tard, le miracle se produit de nouveau... Mais je ne parvenais toujours pas à comprendre comment. Quelques essais infructueux en plus et des musiques bien répétitives plein la tête, je finissais par jeter ma manette de rage par terre. J'étais ivre de colère.

Du côté de mon père, les 3/4 de l'arbre généalogique ont des anecdotes croustillantes similaires, à propos d'excès de colère ainsi manifestés sur des objets du quotidien. Pour mon père lui-même, ex vice-champion de Bretagne de lancer de disque, c'était un allume-gaz qui avait ainsi voltigé à une centaine de mètres de la maison pour plonger la tête dans un bassin. Il devait le récupérer le lendemain matin, coincé dans une grille. L'objet de cette colère, qui détient probablement encore le record du monde de distance en vol plané dans sa catégorie, fonctionnait encore. Chacune de mes tantes possède au moins une anecdote similaire à raconter à propos de mes oncles. C'est d'autant plus gênant et hilarant, que la majorité du temps, nous faisons par ailleurs preuve de calme et de patience.

Ma manette venait donc de percuter le carrelage en terre cuite du sol de notre salon. Je laissais passer mon émotion, un peu con, puis me levais pour récupérer ma victime en plastique. Souhaitant vérifier que je n'avais pas endommagé mon bien le plus précieux, je reprenais la partie. Non seulement le "Panda Splash" était condamné à rester secret, mais plus rien ne semblait fonctionner.

Quelques heures plus tard, tournevis cruciforme en main, je confirmais mes inquiétudes. Le circuit imprimé de ma manette Super Nintendo avait plié en son milieu. Ce qui avait eu pour effet de briser du même coup des pistes cuivrées indispensables à son bon fonctionnement. Ma manette était cassée.

J'étais trop honteux pour partager ma mésaventure. Mes quelques cours de "techno" ne me permirent pas d'envisager quelques soudures pour réparer l'ensemble. Je regrette encore à ce jour de ne pas avoir conservé les pièces détachées. Le tout finit à la poubelle. J'étais dégouté.

***

Locminé (56), 1999

Cette fois-ci, j'étais décidé, j'allais m'acheter la manette SideWinder de Microsoft. A l'époque, le nom ne faisait référence qu'au tout premier modèle, et non une gamme complète. L'ennui, avec les joueurs PC, c'est que ces derniers ne jouaient alors qu'au clavier et à la souris. FPS, RTS, point and clic et quelques rares jeux de stratégie étaient leur pain quotidien. J'étais le seul idiot à vouloir jouer sur ordinateur, à des jeux de plateforme, de combat et d'action-aventure vieux de 10 ans. J'étais le seul idiot à avoir besoin d'une manette pour jouer à tout cela sur PC.

Microsoft ne tarissait pas d'éloges pour vanter les mérites de sa bête de course : options en tous genres, 6 boutons faciaux de tir à droite, deux gâchettes et reconnaissance de mouvements. Avec tout ça l'animal coutait le double de tout autre objet similaire. Mais j'avais fait les frais par le passé d'un matériel au rabais. Qui n'a pas perdu quelques heures sur une manette de seconde zone, chez quelqu'un qui se gardait le matériel officiel d'origine pour son propre confort ? J'étais donc décidé à mettre le prix, faute de bons conseils à ce sujet. La SideWinder était livrée dans une boîte luxueuse. Son installation était simplissime. Il n'y avait plus qu'à tester.

Je commençai naturellement avec un jeu de combat, genre nécessitant le plus de précision. Super Street Fighter II était mon maître étalon. Ryu était mon personnage de choix pour me mettre en pouces à chaque nouvelle partie. Il fallait cependant configurer la manette. Ça commençait mal, je peinais à indiquer à la machine les bonnes directions.

Puis, début des combats. Ryu partait bien à droite, puis à gauche, puis... Pourquoi se mettait-il soudainement à sauter ? Je tentais une boule de feu, qui ne sortait pas. Etais-je rouillé ? Je pris mon mal en patience mais j'avais beau faire, mon personnage ne répondait pas au doigt et à l'œil... J'étais bien embêté.

Second test, Zelda III. Notre avatar en vert se déplaçant dans 8 directions différentes, j'allais enfin en avoir le cœur net. Mais je n'avais pas démarré la partie qu'il fallait entrer un nom pour mon personnage. La sélection des lettres dans ce menu intermédiaire s'avéra déjà être un calvaire. Passé quelques dialogues, j'itérais quelques exercices pratiques. Mon hyrulien préféré décrivait d'étranges trajectoires.

A l'évidence, le tampon faisant office de croix de direction était inutilisable. Ça m'avait coûté la moitié du prix d'un jeu... Etudiants de ma promotion, sites internet, forums de discussion... Je passerai encore plusieurs années à trouver une solution viable. Un adapteur pour brancher la manette Playstation sur le PC, encore fallait-il savoir que cela existait, fut la solution miracle. Encore que certains programmes ne le reconnaissent pas. Aujourd'hui le choix de manettes viables pour PC est désormais conséquent. Ce ne fut pas toujours le cas par le passé.

***

Paris intra-muros, 2004

Mahmoud avait un talent que j'admirais. Il savait transmettre sa passion par les mots. Nous nous étions rencontrés par forum interposé. Ce n'était pas un grand bavard du clavier. Mais à chaque rencontre nous parlions jeux-vidéo sans voir le temps passer. Je buvais ses paroles.

Après quelques déceptions en chaîne côté jeux, et des pannes à répétition, je commençais un peu à bouder ma Playstation 2. Pour la première fois depuis 12 ans, je n'étais plus à l'affut des nouveautés. Dans mon premier studio que je me payais enfin par mes propres moyens, ma liste de jeux non terminés commençait à croitre.

Mahmoud était adepte d'animés japonais, et d'à peu près tout ce qui contenait une histoire en matière de jeu vidéo. Le plus surprenant était qu'il pouvait vous narrer en détail les péripéties du moindre personnage de jeu de combat. Je n'avais pour ma part, jamais vraiment prêté la moindre attention à ce que je considérais comme des fioritures. Lui avait étudié la question en détail. Il connaissait des anecdotes à propos de jeux n'ayant jamais dépassé le périmètre d'obscures salles d'arcade au Japon. Il s'était même coltiné des adaptations en animés, y compris celles considérées comme parfaitement dispensables.

C'est avec lui que je découvrais, par exemple, que l'univers de Mortal Kombat possédait une continuité au gré de ses suites. Il maîtrisait l'arbre généalogique des centaines de combattants ayant défilé dans les colonnes de King of Fighters. Par la magie du conte, il parvenait à rendre fascinant la plus insignifiante des histoires à propos de Street Fighter.

A force de l'écouter en parler des étoiles plein les yeux, je finissais par me pencher de nouveau sur quelques jeux de combats. J'avais lâché l'affaire quelques années auparavant, faute de camarade de jeu. En outre, depuis la simplicité de la première version de Street Fighter II, le genre avait accumulé de plus en plus de règles. Même Soul Calibur, pourtant réputé pour son accessibilité, me paraissait impossible à maîtriser.

De mon point de vue, 10 personnages et une poignée de secrets étaient en général bien suffisants. La tendance du moment était de dépasser les 30 ou 40. Même Capcom et SNK, les deux compagnies rivales de toujours spécialisées sur la question, avaient finalement décidé de s'associer. Ce couple éphémère inattendu, enfanta de plusieurs bébés bien joufflus.

Sous l'influence de ses conseils d'une part, et de ses attentes d'une autre, j'acquis Capcom versus SNK 2 dans un premier temps, puis SNK vs Capcom Chaos par la suite. L'un comme l'autre était devenu bien trop complexe pour le combattant virtuel occasionnel que j'étais devenu. Chacun arborait entre 40 et 50 personnages. De combats en 1 contre 1, il fallait désormais choisir et maîtriser 3 personnages. Il y avait une ribambelle de systèmes au choix et de principes à maîtriser. J'étais perdu. Chaque producteur y adaptait la concurrence à sa propre sauce. Ce n'était pas dénué d'intérêt, mais dans l'isolement de ma chambre, les louanges de Mahmoud ne trouvaient pas d'écho.

Bien sûr, je m'entretenais de mes déceptions avec ce dernier. Sans surprise, celui-ci me reprécisa ce que je savais déjà :
" - Non mais Chips, les jeux de baston, ça se joue à plusieurs !
- Oui je sais... Mais je ne trouve pas tellement l'occasion de jouer contre d'autres personnes... Tu veux passer faire une partie chez moi ?
- Attends... On va faire mieux, je vais te présenter à des potes, c'est des pros."

Je n'étais qu'à moitié convaincu par sa démarche. J'étais parti dans l'idée de renouer avec la convivialité du canapé de mon adolescence en ne mouillant que le petit doigt de pied. Deux personnes auraient suffi. Je savais que mon niveau de compétence n'était pas très glorieux. Je suivais néanmoins Mahmoud, de peur de mourir idiot. Je ne me doutais pas de la profondeur de la piscine dans laquelle il allait me jeter.

Chez ses amis, je retrouvais une configuration qui m'était familière. Deux grands téléviseurs avaient trouvé place dans la pièce. Un émulateur tournait à plein régime sur le PC local. Cette accumulation d'écrans me rappelait le salon de mon ami Sylvain. La surface est plus onéreuse en plein cœur de Paris qu'aux confins du Poitou. Ce salon/chambre/appartement-là était évidemment plus petit. Nous ne faisions donc pas face à deux télés tout en étant confortablement installés dans un canapé. Ici, il fallait faire preuve de souplesse, contourner meubles et câbles pour finalement se contenter du bord d'un lit.

Le programme était annoncé, à des jeux de combats nous allions nous adonner. Les 3 écrans figuraient autant d'arènes. La variété des genres n'était ici pas de mise. Je n'étais pas surpris. Les joueurs déjà installés avaient tous sur leurs genoux d'encombrants périphériques rectangulaires. En lieu et place des manettes d'origine des consoles, dont je m'étais toujours contenté, eux jouaient sur des joysticks arcade de près d'un kilogramme chacun. Les jeux de combat ont en effet toujours été produits dans l'objectif de tourner dans des cafés ou des salles de jeu dédiées. Les contrôleurs des bornes d'arcades, présentent bien des différences face aux manettes usuelles des consoles. Je me rendais alors compte, envahi par ces parallélépipèdes en profusion, que je n'avais jamais joué qu'à des adaptations.

On me tendit l'un de ces périphériques au bout de quelques minutes. N'étant pas adepte du joystick, je demandais aux habitués des lieux s'il était possible de jouer avec une manette classique. Je jetais alors un froid dans la pièce. On me laissa cependant naviguer au gré des câbles difficiles d'accès. Je devais essuyer quelques gentilles piques au passage, mais il m'en fallait plus pour m'impressionner.

Une fois la manette traditionnelle de la PlayStation branchée, j'étais parti direction les menus, afin de configurer les permutations d'usage. Pour une raison étrange, les coups les plus forts sont en effet configurés par défaut sur les gâchettes des manettes, sur Super Nintendo comme sur Playstation. Toutes les personnes avec qui j'avais joué jusque-là permutaient de coutume cette configuration fallacieuse. On me fit vite remarquer, que je n'allais pas pouvoir dérouler ce manège à chaque fois que mon tour reviendrait.

N'ayant pas joué depuis des années, je n'étais pas échauffé. Aussi je me pris en toute logique, une méchante raclée. On me laissa retenter une seconde fois, sans plus de succès. Je devais laisser ma place, et l'opération inverse, inversion des manettes et retour aux menus, dut donc être déroulée.

Quand revint mon tour de jouer, celui-ci fut accompagné de râles de mécontentement. Je fus de nouveau autorisé à reprendre une manette, sans pouvoir toucher aux options de permutation. Ce nouvel handicap flagrant ne me rapprochant pas de la victoire, je laissais de nouveau mon tour aux suivants.

Arriva un troisième essai. Compte tenu de l'animosité ambiante, je laissais la manette aux vestiaires, et tentait de m'adapter aux périphériques volumineux. Je n'étais guère plus à l'aise et pris de nouveau ma raclée. Si Mahmoud s'amusait, je fus très vite lassé.

Le quatrième essai fut le dernier. J'avais totalement perdu mes marques. J'avais compris ma leçon. Les jeux de combat n'étaient définitivement pas pour moi. Je laissais donc l'affaire aux "pros", et abandonnait les jeux de combats pour de bon.

***

Boulogne (92), 2008

Quelques années plus tard, un épisode similaire devait de nouveau m'interdire les portes des jeux de combat. A ce moment précis, Street Fighter IV faisait un tonitruant retour aux sources. Porté par la compétition en ligne, le poulain de Capcom refaisait d'un coup beaucoup parler de lui.

A cette époque précise, je jouais essentiellement sur console Xbox 360. Microsoft était en train de gagner la bataille (mondiale) contre son principal concurrent Sony. Les deux consoles ne se différenciaient que très peu. Mes déceptions en série du côté de Sony m'avaient définitivement enjoint à voir du côté de la concurrence américaine. Contre toute attente, l'outsider américain avait fini par me séduire.

Il subsistait malheureusement un léger petit souci. Le tampon faisant office de croix de direction de la manette Xbox 360, malgré un sans-faute sur tout le reste, n'est pas des plus précis. Mon expérience malheureuse avec la Sidewinder du géant américain m'avait appris à me méfier. Aussi je m'étais bien gardé d'acheter Street Fighter IV, avant de ne pouvoir le tester.

Une soirée passée avec des collègues me confirma mes doutes. Aussi je ne m'intéressais guère plus, au jeu dont tout le monde parlait.

***

Chateaugiron (35), 2014

Microsoft, conscient de ses lacunes, finit par sortir une manette à la croix directionnelle plus précise. Celle-ci est assez peu conventionnelle. Je présumais alors que pour contrer les brevets de la concurrence, il ne leur restait plus que l'innovation.

La nouvelle manette Xbox 360 possédait donc une étrange croix directionnelle pivotable. Par la même, elle devait permettre de basculer entre deux modes de jeu. Le premier, classique, renouait avec l'imprécision habituelle. Le second, novateur, permettait de se rapprocher d'un contrôle satisfaisant. La seule nouveauté consistait à pouvoir basculer de l'un à l'autre.

Un peu frustré de ne pouvoir jouer à certains jeux dans des conditions optimales sur ma console favorite, j'avais rapidement fait l'acquisition de cet engin. Il coûtait un bras, mais avait le mérite du confort. Je n'étais pas déçu de mon achat. L'objet onéreux vint donc rapidement remplacer la manette habituelle.

Un an plus tard, Microsoft avait entre-temps débuté une politique très agressive de rétention de ses clients. Avec l'abonnement pour jouer en ligne, il était désormais possible de télécharger sans surcoût de nouveaux jeux tous les mois.

Ce mois-ci, c'était le tour d'une des nombreuses versions du fameux Street Fighter IV, que je m'étais au préalable refusé à acheter. Je n'avais, depuis cette après-midi d'essai infructueuse, pas eu l'occasion de retenter un jeu de combat. Entre ma nouvelle manette qui allait alors fêter sa première bougie, et l'occasion de jouer sans avoir à payer, je me laissais retenter.

Je lançai le jeu et enchaînai donc quelques parties. Malgré des heures passées sur des itérations précédentes dans le salon de Sylvain, le jeu me semblait difficile à manier. Pour être plus précis, je me faisais laminer. Avec les années, j'avais appris à dominer mes rares colères. Savoir que d'autres jeus m'attendaient après cet essai  facilitait également mon détachement.

Seulement Street Fighter IV ne me laissa pas même le temps de m'agacer. Après quelques manipulations loupées, je finis par entendre un "clac" sous mon pouce gauche. Ma manette hors de prix venait de rendre l'âme, la croix directionnelle pivotable s'était détachée.

En regardant en ligne, je m'aperçus que j'étais loin d'être le seul dans mon cas. Les louanges déclamées à la sortie du périphérique avaient rendu son principal défaut silencieux. La manette de Microsoft ne supportait pas la moindre usure, j'étais une fois de plus bien déçu.

J'ai fini par acquérir depuis une seconde console Xbox 360 en édition limitée. Celle-ci est aux couleurs des droïdes de Star Wars. La console imite R2D2 à la perfection. Le contrôleur, une version améliorée à croix directionnelle pivotable, est recouvert d'une peinture jaune dorée rappelant C3PO. La console tourne régulièrement. La manette en revanche, je n'ose à peine la toucher, de peur de la casser.

***

Retour aux confins du Poitou, plus chez moi depuis bien longtemps, 2020

Comme chacun, j'ai subi cette année 2020 les aléas du Covid, qui m'avaient jusque-là été plutôt cléments. Entre temps, j'avais eu l'occasion de m'adonner à quelques jeux de combat seul dans mon canapé. Dragon Ball Fighter Z et Persona 4 Arena avaient en effet trouvé grâce à mes yeux. Même si je m'étais contenté d'explorer leurs modes "histoire" en solitaire, manette de Xbox One dans les mains.

La dernière-née de Microsoft avait enfin corrigé ce problème qui collait tant à la peau du géant américain. La croix directionnelle fit enfin son office. Mais avec les années, j'avais l'impression persistante que mes réflexes n'étaient plus ceux qu'ils avaient été. La faute à mon âge avancé, sans doute. Je loupais des coups, je galérais à enchaîner. Je me confortais dans l'idée que le genre n'avait jamais été fait pour me plaire.

En cet été 2020 donc, où les restrictions anti-covid étaient enfin allégées, j'étais toujours au chômage technique. J'avais donc pleinement le temps de me balader. J'eus ainsi l'occasion de retourner dans le Poitou de mon enfance.

Je tentais donc de joindre Sylvain sur une vieille adresse e-mail, sans grand espoir de réponse. Je lui avais laissé un ultimatum impossible à tenir, il était sans doute trop occupé. L'adresse était encore valide. Il tenta de me joindre une première fois sans succès. Dans les tréfonds du Poitou, le réseau 2G se faisait encore rare. Je finis par le rappeler et nous échangions alors pour la première fois depuis 10 ans.

Je vous épargne le détail des retrouvailles, c'était comme si nous ne nous étions jamais quittés. J'avais pris tous les kilos qu'il avait perdu entre-temps. Je retrouvais son salon de rêve. La pièce était désormais exclusivement consacrée à notre passion du jeu-vidéo.

Ce qui me surpris le plus, c'était la familiarité de l'odeur. Elle n'était ni bonne ni mauvaise. Ce mélange de cire, produits ménagers et de poussière domestique était juste très spécifique au lieu. L'odorat a cette étrange capacité de s'associer à des choses très profondément enfouies dans notre mémoire. Avec les années, ce phénomène de mémoire olfactive, qui fait ressurgir avec elle tant de souvenirs, me donnait à l'occasion, des retours d'impressions oubliées de plus en plus troublants.

Nous passions rapidement aux choses sérieuses : faire quelques parties en souvenir du bon vieux temps. Ses consoles avaient pris autant d'années que nous. La lentille de sa Dreamcast avait pris un sacré coup. D'autres consoles ne démarraient tout simplement plus. Après quelques jeux collaboratifs, nous décidions de repasser aux choses sérieuses avec un jeu de combat. Le genre une fois décidé, nous nous regardions un court instant. Dans une clameur synchrone, nous chantions ensemble le nom d'un seul et même jeu :
"X-Men : Children of the Atom !"

Il convient donc à cet instant, pour les pros de la manette comme pour les ignorants, de présenter ce jeu sorti il y a maintenant bien longtemps. Capcom, la maison mère de Street Fighter, avait réussi à signer un deal avec Marvel, l'éditeur de comics que nous connaissons tous aujourd'hui. Le développeur de jeux-vidéo entamait ainsi une série en premier lieu associée à la licence X-Men, reprenant les codes de Street Fighter pour en faire quelque chose de plus spectaculaire et nerveux. L'épisode suivant étendit la liste des personnages aux Avengers. Rapidement, toutes les célébrités du catalogue Marvel vinrent se joindre à la fête. A la fin, toutes les licences des deux firmes se mélangèrent. Pour un résultat encore une fois trop complexe pour les débutants.

X-men donc, était le premier de tous. 10 personnages sélectionnables, plus 2 cachés et un boss. A ce jour je ne connais pas meilleur jeu du style. Il s'agit encore aujourd'hui du parfait équilibre entre plaisir immédiat, profondeur de jeu et grand spectacle.

Avec Sylvain, nous avions découvert ce bijou sur la regrettée Saturn, une console au destin funeste. La machine de Sega avait tenu tête à bien plus forte qu'elle. L'argument massue de son concurrent direct Sony et sa Playstation ? 50 dollars de différence de prix à leurs sorties respectives, sur le territoire nord-américain. Ce qui n'enlevait rien à la qualité des jeux du côté de Sega. La console recèle quantité de petites pépites totalement passées inaperçues. X-men était bien sorti sur la Playstation première du nom. Mais il était de notoriété publique à l'époque que la console phare du moment était à la ramasse concernant de tels jeux de combat en 2D. Le genre était de toutes façons en train de passer de mode. Rares étaient les privilégiés à pouvoir donc bénéficier des conversions de l'arcade dignes de ce nom. Sylvain et moi étions de ceux-là.

Il me tendit la manette de la Saturn. Cela faisait une éternité que je n'en n'avais pas tenue une dans les mains. Profil confortable, 6 boutons faciaux idéals pour les jeux de combat de l'écurie Capcom. Ses deux gâchettes ont un retour immédiat, ce qui évite toute sensation de latence.

La partie démarra. Je pris directement mon Wolverine favori, Sylvain opta pour son éternel Silver Samurai. Tout revint instinctivement. Les coups sortaient avec aisance. On s'enchainait des bourre-pifs à répétition. Il n'y avait aucun temps de latence, aucun mouvement inutile. Nos deux combattants suivaient les pas d'une danse fantastique, gorgée de couleurs et de jeux de lumières saisissants. Les parties s'enchainaient à la vitesse de l'éclair. Tous les combattants furent incarnés à tour de rôle. Je retrouvais enfin le plaisir d'antan.

Prétendre que mon incompétence est due au périphérique que j'utilise n'est pas de mon genre. J'assume totalement le fait que pour tout ce qui concerne les jeux compétitifs, je ne réponds que rarement présent. Mais il n'y a pas à tergiverser, pour tout ce qui concerne les jeux de combats en 2D, rien ne vaut une bonne vieille manette Saturn.

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