Je me réveille en sursaut lorsque j'entends des pas lourds monter l'escalier grinçant, mais je garde cependant mes paupières closes et tends l'oreille. Mais où suis-je ? Je ne suis probablement pas allongée dans mon lit puisque ce qui me sert de matelas me gratte atrocement le dos, un peu comme ... de la paille ? Une couverture recouvre mon corps complètement nu et des bras puissants m'entourent.
Mais qu'ai-je bien pu fabriquer hier soir ? Je me concentre et quelques bribes de souvenirs me reviennent en mémoire. Oh non ...
J'entends quelques murmures s'élever tout autour de moi et feins toujours le sommeil. Soudain, les chuchotements cessent. Je n'ai pas le temps de réfléchir, je reçois un énorme coup de pied dans les côtes. J'ouvre brusquement les yeux et tiens mon ventre à présent douloureux tout en poussant un cri. Des rires fusent dans la pièce et je lève les yeux sur les cinq soldats massés autour de moi.
Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
– Allez dire à Shardiz qu'on a trouvé les deux recrues manquantes, ordonne l'un d'eux.
Je vois deux jeunes soldats hocher la tête et s'éclipser tandis que les trois autres me fixent toujours avec un regard mauvais.
– Eh bien, on dirait que vous avez passé une sacrée soirée tous les deux, ricane l'un d'eux.
Je fronce les sourcils. Vous ? Je me retourne lentement et découvre avec horreur que Reiner est aussi nu et désemparé que moi. Nous nous dévisageons un instant avant de rougir simultanément. Des bribes de souvenirs me reviennent en mémoire et je tente de cacher ma honte sous la couverture. D'ailleurs, où diable avons-nous trouvé une couverture, en pleine nuit, dans le grenier de l'écurie ?
– Magnez-vous et habillez-vous, hurle un des soldats. Shardiz n'attend plus que vous et il est déjà d'une humeur exécrable après votre petite fête.
Je reste immobile, abasourdie et incapable d'esquisser le moindre geste. J'attends que les soldats s'en aillent, ou qu'ils aient au moins la décence de se retourner pour que je puisse m'habiller, mais ils n'en font rien. Ils restent là, à nous observer et à jubiler de notre impuissance.
Comprenant qu'ils ne comptent pas détourner le regard, je me contorsionne pour remettre mes sous-vêtements tout en restant dissimulée sous la couverture. Reiner, lui, n'en a que faire d'être épié de la sorte et se rhabille normalement, complètement à découvert. Les soldats ricanent en me voyant galérer sous ma couverture, je deviens encore plus rouge qu'une tomate et je donnerais n'importe quoi pour disparaitre.
– Tu ne faisais pas ta prude comme ça hier soir, me nargue un soldat.
Je le fusille du regard et me retiens de lui faire un doigt, j'ai déjà assez d'ennuis comme ça. Je me contente d'ignorer sa remarque et de baisser la tête pour masquer ma honte grandissante. Lorsque je suis enfin prête, je me remets debout sur mes deux pieds, beaucoup trop rapidement puisque ma vision devient floue et je vacille. Dans un réflexe inattendu, je me penche sur le côté et vomis dans la paille, sous le regard dégouté des soldats.
– Alors toi, t'es vraiment un déchet sur pattes.
Lorsque ma nausée est passée, nous suivons les soldats et descendons l'escalier en bois pour rejoindre l'écurie et sortir ensuite dans la cour. Je suis étonnée de voir que le ciel est encore sombre, signe qu'il fait toujours nuit. Quelle heure est-il ? Je n'en ai aucune idée, et je sens qu'il vaut mieux ne pas le demander à notre escorte personnelle.
Nous sommes escortés jusqu'au bureau de Shardiz où nous attendent déjà Sasha, Jean et Connie. Nous entendons les cris de Shardiz depuis l'autre bout du couloir, nos camarades sont probablement en train de passer un sale quart d'heure. Le soldat en tête de file toque à la porte et attend l'autorisation d'entrer.
– On a trouvé ces deux-là en train de fricoter dans les écuries, explique-t-il.
Ce lâche nous pousse ensuite à l'intérieur du bureau et s'éclipse en coup de vent. Je sens tous les regards posés sur nous et fixe attentivement le sol, les joues en feu. Mes camarades sont plutôt surpris et arborent un air étonné tandis que Shardiz est sur le point d'exploser, ne contrôlant plus sa colère.
Il nous hurle longuement dessus, répétant sans cesse que nous sommes la honte de la nation et qu'un tel comportement est tout bonnement inadmissible. Apparemment nous sommes de la mauvaise graine et nous attirons nos camarades dans notre perversion. Il se tourne ensuite vers Reiner et moi, rouge de colère.
– Quant à vous deux, vous avez de la chance que je ne vous renvoie pas sur le champ ! Dois-je vous rappeler que toute relation entre deux recrues est complètement proscrite ?
Je déglutis difficilement et secoue rapidement la tête. Mon regard reste braqué sur la pointe de mes chaussures, je cligne rapidement des yeux pour chasser les larmes qui menacent de couler. Je ne vais quand même pas pleurer pour ça ! Je suis sûre d'être aussi rouge qu'une tomate, mes joues sont littéralement en feu.
– Demain matin, vous me nettoierez les écuries de fond en comble, maintenant que vous vous êtes bien familiarisés avec les lieux. Essayez de contenir vos pulsions cette fois-ci.
J'entends Jean pouffer à ma droite et me retiens de lui refaire le portrait, je me contente donc de lui lancer un regard aussi noir que mon âme.
– Vous trois, reprend Shardiz en s'adressant aux autres, vous commencerez par astiquer le matériel.
J'entends les soupirs abattus de mes amis et adresse un discret doigt d'honneur à Jean, ravie qu'il soit également puni.
– Aucun de vous ne s'entrainera pendant la semaine à venir. Vous alternerez les tours de terrain et le nettoyage de chaque parcelle de ce camp. J'espère que ça suffira à vous faire retenir la leçon.
Je sens qu'il a fini son monologue alors j'ose enfin lever les yeux vers Shardiz. Je retiens in extremis un fou rire lorsque je remarque qu'il est en pyjama, j'étais tellement honteuse que je n'y ai pas fait attention. Il passe devant nous et ouvre enfin la porte de son bureau.
– Maintenant déguerpissez ! Il est 4h du matin et je veux que vous soyez debout dans deux heures pour commencer à récurer cet endroit.
Nous nous dévisageons longuement, abasourdis par cette nouvelle. Deux heures de sommeil ? Mon Dieu, je vais mourir ...
– Foutez-moi le camp ! hurle Shardiz.
Je sursaute et prends mes jambes à mon cou sans demander mon reste. Je n'attends même pas mes camarades et détale à travers les couloirs jusqu'à mon dortoir. Je m'enfouis sous les couvertures sans même prendre la peine de me mettre en pyjama. Je grimace déjà rien qu'à l'idée de devoir me lever dans deux heures et tente de m'endormir.
***
A six heures tapante, Sasha me secoue l'épaule pour me réveiller. J'ouvre difficilement les yeux et suis immédiatement prise de vertiges. Ma tête tourne horriblement et ma vision est floue à cause de l'alcool. Je me lève du lit et serre les dents pour ne pas vomir, le moindre geste me donne la nausée.
Je suis Sasha en trainant les pieds jusqu'au réfectoire où sont déjà attablés nos camarades de punition. La vue de la nourriture dans leurs assiettes m'écœure et j'estime qu'il vaut mieux que je ne mange rien. Tout le monde mange en silence, même Jean ferme sa gueule pour une fois, alors je pose mes bras sur la table et pose ma tête sur ceux-ci en fermant les yeux. Je finis par somnoler.
Je sursaute et me redresse brusquement lorsque Reiner me secoue doucement par l'épaule.
– Rose ? Réveille-toi, il faut qu'on aille nettoyer les écuries, murmure-t-il.
C'est la première fois qu'il m'adresse la parole depuis nos ébats. Je hoche la tête et étire mes bras avant de me lever à contrecœur. Chaque pas me donne un haut-le-cœur et accentue ma migraine. Je traine les pieds en suivant Reiner jusqu'aux écuries. Quelle idée ai-je eue de proposer cet endroit pour faire des galipettes ? Nous voilà beaux maintenant, à devoir ramasser le fumier de ces sales canassons à l'odeur nauséabonde. On devrait vraiment inventer un moyen de transport qui n'implique pas d'utiliser de chevaux, et surtout qui empeste moins.
Reiner et moi récurons les écuries en silence, et tant mieux d'ailleurs. Je ne suis pas vraiment d'humeur à faire la conversation, et je ne veux pas que nous revenions sur les évènements qui s'étaient produits plus tôt dans la nuit. Nous avons tous deux trop bu, et la situation a quelque peu dérapé. Du moins, c'est ce que je pense.
Bien qu'il ait bu une quantité considérable d'alcool, Reiner semble aussi frais que la rosée du matin. Comment fait-il pour être dans une telle forme ? Il a certes l'air un peu fatigué, mais il est loin de ressembler à un déchet comme moi.
Je suis soudain prise d'un haut-le-cœur à cause de l'odeur du crottin et me penche en avant pour vomir une nouvelle fois. Putain ... Je râle et vais chercher de quoi ramasser mon vomi. Qu'est-ce que c'est humiliant ...
– Je ne boirai plus jamais, maugréé-je.
Reiner rigole dans mon dos et vient m'aider à nettoyer mes cochonneries.
– C'est vrai que tu as forcé sur la boisson hier soir, plaisante-t-il.
– Et je ne suis pas la seule, mais il faut dire que mes soixante kilos ne jouent pas en ma faveur.
Une fois les écuries propres et étincelantes, nous allons voir le lieutenant Shardiz pour qu'il nous donne la suite de notre punition. Pour mon plus grand malheur, il nous ordonne de courir pendant deux heures. Je râle et nous rejoignons Sasha, Jean et Connie qui sont déjà en train de faire des tours de terrain.
Nous faisons le tour de la cour en courant pendant que les autres s'entrainent au corps à corps au centre. Certains nous lancent des regards compatissants et désolés, mais ils sont probablement bien heureux que nous cinq ayons pris pour tout le monde.
Je suis soulagée lorsque la pause de midi arrive et que nous sommes enfin autorisés à arrêter de courir. Je me force à manger un peu, bien que ma nausée soit toujours aussi présente, car je sens que si je n'avale rien, je risque de m'évanouir. Jean ne se gêne pas pour se moquer de moi et de mon état végétatif mais je ne réplique pas, je n'en ai pas la force ni même l'envie. Tout ce dont je rêve en ce moment, c'est de mon lit douillet.
Après-midi, Shardiz nous envoie nettoyer le grand hall pendant que les autres continuent l'entrainement au combat. Agenouillée à côté de mon seau d'eau savonneuse, je m'efforce de frotter le sol avec une petite brosse. Jean n'est pas loin de moi et s'amuse à m'envoyer des remarques acerbes auxquelles je réponds en l'éclaboussant.
Je m'apprête à lui lancer mon seau entier à la figure mais me ravise à la dernière seconde lorsque j'entends des voix provenir de l'entrée. Je jette un regard par-dessus mon épaule et guette les nouveaux venus. Le lieutenant Shardiz est accompagné de plusieurs soldats qui semblent haut gradés. Je m'approche furtivement de Jean et lui donne un violent coup de coude. Je le coupe avant qu'il n'ait le temps de protester :
– Qui sont ces gens ?
Il regarde discrètement par-dessus son épaule et écarquille les yeux.
– Merde, ils ont choisi le bon jour pour venir ceux-là ...
– C'est qui ?
Il lève les yeux au ciel et soupire.
– T'es vraiment un boulet, c'est pas possible ... Le grand chauve à moustache, c'est Dot Pixis, le chef de la garnison.
Je hoche la tête et l'incite à poursuivre.
– Le grand aux cheveux noirs c'est Naile Dork, le chef des brigades spéciales.
Je me retourne une nouvelle fois pour mettre un visage sur les différents noms que m'énonce Jean et constate qu'ils se sont rapprochés de nous. Il reste un grand blond aux sourcils bien fournis et un gnome aussi expressif qu'une porte de prison.
– Et les deux autres ? l'encouragé-je à poursuivre.
– Le grand blond c'est le major Erwin Smith, il dirige le bataillon d'exploration. Le dernier, c'est le caporal-chef Livaï, le meilleur soldat de l'armée à ce qu'on dit.
Je hausse les épaules et lâche un petit rire.
– C'est plutôt le caporal demi-portion si tu veux mon avis.
Je ricane et Jean me fixe avec des yeux horrifiés. Je ne comprends pas ce qui lui prend jusqu'à ce que j'entende un raclement de gorge dans mon dos. Oh non ... Je me retourne lentement et mon visage se décompose lorsque je reconnais la personne qui me fait face.
– Qu'est-ce que tu as dit ?
Devant moi, la caporal Livaï me dévisage de son regard froid et inexpressif.