Fugace

By elonaballon

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« Dans chaque cœur résonne l'amour de la liberté. » Aislinn, membre d'un comité culturel, est prise en otage... More

Fugace
Avant-goût
Chapitre un
Chapitre deux
Chapitre trois
Chapitre quatre
Suspension
Chapitre cinq
Chapitre six
Chapitre sept
Chapitre huit
Chapitre neuf
Chapitre dix
Chapitre onze
Chapitre douze
Chapitre treize
Chapitre quatorze
Chapitre quinze
Chapitre seize
Chapitre dix-sept
Chapitre dix-huit
Chapitre dix-neuf
Chapitre vingt
Chapitre vingt-et-un
Chapitre vingt-deux
Trêve du cadran
Chapitre vingt-trois
Chapitre vingt-cinq
Chapitre vingt-six
Chapitre vingt-sept
Chapitre vingt-huit
Chapitre vingt-neuf
Bulle
Aparté
Chapitre trente
Chapitre trente-et-un
Épilogue
Un mot pour la fin ?

Chapitre vingt-quatre

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By elonaballon

Aislinn

Je m'extirpai de l'alvéole à pas de loup. L'ancienne chirurgienne se tenait dos à moi, seule et désarmée. Je m'approchai dans le plus incertain des silences et, sans crier gare, lui portai un coup dans la nuque. Quand son corps frêle fut sur le point de s'écrouler sur le sol, je le retins de justesse afin de minimiser l'impact sonore. Même inconscient, son visage ne se départait pas de son austérité.

Je m'élançai à toute allure à travers le pénitencier. Une seule idée en tête : retrouver le reste du groupe et partir sans nous retourner.

— Bordel, Aislinn ! s'affola Hosana en me voyant arriver. Je t'avais dit de m'attendre là-bas, je t'avais demandé de ne pas bouger !

J'encadrai ses mâchoires de mes mains. Mon geste apaisa brièvement la jeune femme, puis elle commença à vaciller. Je la fis s'asseoir par terre.

— Ressaisis-toi, lui intimai-je.

J'observai les silhouettes ballantes statufiées derrière elle. À cette vue, la rage étreignit mon cœur. Nous n'étions plus que huit. Je ne m'en apercevais que maintenant tant j'avais été rongée par la peur, la faim et la fatigue.

— La porte est condamnée, Aislinn. Condamnée ! On est fichus...

— La police enverra forcément des hélicoptères...

— Merde, arrête de rêver ! Vassilis va débarquer d'une minute à l'autre, vingt-six bombes ont été posées... Comment est-ce que tu veux qu'elle parvienne à les désactiver ?

J'ignorais d'où Hosana tenait ces informations, mais quelque chose me poussait, depuis le début, à lui vouer une confiance aveugle.

— On doit faire diversion en attendant que la police décèle une faille dans les infrastructures.

***

Attica

— On rebrousse chemin ! ordonna l'inspectrice dans mon oreillette. La porte ne cédera pas, on a perdu suffisamment de temps comme ça !

Le groupe d'intervention se replia sur lui-même, contournant le bâtiment désaffecté. J'exigeai leur silence et leur coopération. Je tâtai les murs, déterrai le sol par endroits, toquai contre les parois de béton.

À mille lieues d'abandonner, je poursuivis mes fouilles et distinguai un renflement à peine perceptible. Une brique dépassait du mur. Je tirai dessus jusqu'à l'en sortir. Mon regard s'illumina en même temps que celui de mes coéquipiers. J'inspirai un grand coup, puis glissai ma main au travers du trou béant. Un courant d'air happa mon bras, me glaçant jusqu'à la moelle.

— Faites-moi la courte échelle !

Dubitatif, je calai ma chaussure de sécurité dans la faille. Je tendis le bras au-dessus de moi. Mes mains coururent sur le mur, à l'aveugle, avant de saisir une autre pierre. Fragile, je parvins à la dégager et sautai à pieds joints sur l'herbe.

— Voilà ce qu'on va faire...

*

À force d'acharnement, nous parvînmes au sommet du vétuste pénitencier. Aucun des otages ne daignait faire acte de présence. De nouveau, mon estomac se tordit d'appréhension.

Je me retournai précipitamment, alerté par des bruits de pas. À une dizaine de mètres, de l'autre côté des palettes empilées faisant office de barricades, surgit le sbire de Randy, armes en mains. Pistolets mitrailleurs, grenades assourdissantes : ce temps de réaction aurait pu m'être fatal si mon gilet pare-balles n'avait pas freiné les offenses.

Dès lors, les événements s'enchaînèrent très vite. Je réduisis la distance entre nous, ripostant, protégeant mes coéquipiers tour à tour. Je contournai le ravisseur, puis ces derniers prirent le relais.

Je bondis hors du toit, détalai à travers le corridor exigu et tombai nez à nez avec les otages, à découvert. Une femme d'origine asiatique était ligotée au sol, à moitié éveillée – Saveria Doyle à coup sûr.

Ne restait plus qu'à mettre la main sur le forcené.

Je la traînai dans une cellule adjacente, actionnant un verrou de fortune. Blessé par son époux, je sentis ma chair brûler sous mon équipement. Je n'en tins pas compte et demandai du renfort.

— On va vous sortir d'ici, leur dis-je. Restez groupés derrière moi. Sans ça, vous serez pris pour cibles.

Je les escortai. Nous regagnâmes le toit en un temps record. L'adrénaline prit le pas sur l'inquiétude : les deux complices avaient été interceptés.

Je conduisis les détenus au bord du précipice, surveillant le périmètre tandis que la seconde colonne d'assaut succédait à la première. Munis de baudriers, de casques de protection et de cordes, trois otages opérèrent une descente en rappel en toute sécurité.

Le temps pressait. Même si les officiers effectuaient leur mission à la perfection, je gardais en tête que Randy Oloveiros pouvait débarquer à tout moment.

Une quinzaine de secondes après que j'y eusse songé, le forcené ouvrit le feu. La fusillade s'intensifia, quatre autres prisonniers déguerpirent le plancher. L'un d'eux s'emmêla les pieds dans la corde. L'homme qui me supervisait dût lui venir en aide.

Alors, Randy approcha, un couteau sous la gorge de la dernière otage – une jeune fille aux traits angéliques et aux mèches dorées.

Mon pouls s'intensifia. J'empêchai mes émotions de dominer mon mental. J'avançai toujours dans sa direction, plus happé par son regard ambré que par les balles.

***

Point de vue inconnu

Cherry Blossom disait : « C'est bon de rêver, et cela calme la souffrance. Mais ne mêle jamais l'homme à ton rêve, car là où est l'homme, là est la douleur, la haine et le meurtre. L'homme ne représente que ses propres passions et ses propres intérêts, lesquels sont contraires aux tiens. »

Debout, le corps secoué de spasmes, je fixai un point dans le vide sans ciller du regard. Ma poitrine se soulevait et s'abaissait dans des souffles hâtifs, désespérés. L'aura qui m'entourait semblait maléfique. M'appartenait-elle, ou bien Vassilis en était-il la source ?

Je ressentais tout. La fraîcheur de l'air contre ma chevelure ballante, les battements de mon cœur à travers mes tempes. L'humidité de mon visage, le goût de la pluie sur mes lèvres. L'atroce douleur au niveau de mon abdomen, plus supportable encore que celle qui persistait à l'intérieur de mon organe vital.

J'entendais tout. Chaque son que produisait la tempête, incluant le plus infime de tous, amplifiait la mélodie sourde qui tournait dans ma tête.

Les branches des arbres se fracassèrent contre le sol. Les graviers crépitèrent sous les pneus crissant des véhicules alentours. Sous la lumière agressive des gyrophares, je lis l'horreur dans les yeux du gardien de la paix. Les mouvements s'enchaînèrent sans que je pusse stopper le temps qui s'écoulait inexorablement.

Des gouttes d'eau s'écroulèrent le long de mes épaules dénudées, semblant percer ma peau jusqu'au sang. Paupières closes, je savourai les dernières secondes de liberté qu'il me restait à vivre.

J'ouvris mes bras en grand, paumes vers l'horizon, menton incliné vers le ciel. Je hurlai de toutes mes forces, brisant mes cordes vocales une à une. Ce cri symbolique jaillit du plus profond de mon être. Il en sortit comme on en extrairait un couteau planté dans la chair – avec douleur, mais soulagement.

Je m'écroulai sur le sol. Les coins de ma bouche se retroussèrent, un sourire illumina mon visage. Je ris aux éclats, si intensément que le monde fuit un peu plus autour de moi.

Au lieu de courber le dos, de me replier sur moi-même, je bombai le torse. Puis d'un regard, je les défiai. Je défiai l'humanité d'exploiter ses rêves, de ne pas porter de masque. D'être transparente, de ne plus profiter d'autrui ou dissimuler de vices.

L'averse cessa. J'agrippai le bras de l'officier accroupi près de moi. L'origine de mes tourments se vit menottée à son tour tandis que l'hélicoptère survolait le bâtiment. Au moins, j'avais la certitude que Vassilis paierait pour ses agissements.

— J'ai peur, soufflai-je.

L'homme pleurait.

Sensation de brûlure, envie de hurler.

— Parle-moi, susurrai-je, la bouche sèche. Lis-moi... Lis-moi le...

Je ne parvins pas à articuler un mot de plus. Il s'exécuta sans se faire prier, d'une voix si apaisante que je me laissai aller dans ses bras.

— « J'aurais voulu que la vie circulât en moi avec une plénitude insoutenable, qu'elle... Qu'elle y dessine ses mouvements anonymes avant l'individuation, désir exclusif de la vie d'être partout, et d'être parallèle à... À la mort. »

Je sentis mes forces me quitter définitivement. Dans un dernier souffle, un dernier battement de cils, je le coupai dans sa tirade et formulai une demande. Sa voix brisée se tut. Il me toisa de son regard verdâtre, le plus beau que j'ai jamais vu.

— Je t'en prie, dis à mes proches que je les aime.

Ses lèvres embrassèrent le dos de ma main, en hommage à tout ce que nous avions vécu. Il me le promit.

De violents spasmes me prirent. Je m'accrochai tant que possible à la vie.

Dans la nuit noire et anxiogène, au cœur de ma prison de fer, seules les arabesques de l'astre lunaire avaient éveillé en moi une profonde bouffée d'espoir. Je me savais condamnée, mais eux étaient sauvés.

Une nouvelle chance leur serait accordée. Leur première vie s'effacerait aux dépens de la seconde, durant laquelle ils réaliseraient leurs rêves les plus fous. Ils aimeraient à en mourir, riraient à en pleurer.

Comme des bourgeons ils prendraient forme, s'épanouiraient au sein d'un vaste univers où tous les horizons leur seraient rendus possibles.

— Reste avec moi, s'étrangla le policier en me brutalisant. Les secours sont en train d'escalader.

— Merci d'être qui tu es, soufflai-je douloureusement. Ne... Ne change jamais.

Dans chaque cœur résonnait l'amour de la liberté. Dans le mien, cet écho assourdissant s'y était répercuté, murmurant tout bas qu'il s'agissait seulement d'un mauvais rêve.

Toutefois, l'enfer sur terre n'avait strictement rien d'une illusion.

Aujourd'hui, je subissais l'indicible. Cette folie, cette part de noirceur que Vassilis s'était efforcé de dissimuler pendant des années. La facette cachée qu'il n'avait osé révéler au grand jour sous peine de voir sa vie s'effondrer, ses proches le rejeter au compte-gouttes.

Hélas, sa véritable nature avait fini par le rattraper.

Si tel était le prix à payer pour le faire enfermer, je l'acceptais. Lui, aurait le poids de ses erreurs sur ses épaules jusqu'à son dernier souffle. Il me semblait improbable qu'il parvienne à le supporter.

Sur ces pensées, je partis en paix.

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